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Rozhodnutí
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 25164/94
présentée par Gérard MORLET
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 29 novembre 1995 en
présence de
M. H. DANELIUS, Président
Mme G.H. THUNE
MM. G. JÖRUNDSSON
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
F. MARTINEZ
L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
P. LORENZEN
Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 14 juillet 1994 par Gérard MORLET
contre la France et enregistrée le 16 septembre 1994 sous le N° de
dossier 25164/94 ;
Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le
11 avril 1995 et les observations en réponse présentées par le
requérant le 3 octobre 1995 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant français né en 1941. Il est
chauffeur-livreur-magasinier et est actuellement détenu au centre de
détention Les Vignettes de Val de Reuil. Devant la Commission, il est
représenté par Maître Thierry Duchesne, avocat au barreau d'Evreux.
Les faits, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent
être résumés comme suit.
a. Circonstances particulières de l'affaire
Le 8 septembre 1988, le requérant fut condamné par la cour
d'assises de Paris à vingt ans de réclusion criminelle pour viol sous
la menace d'une arme sur mineur de quinze ans, attentat à la pudeur
avec violence sur mineur de quinze ans, enlèvement de mineur et coups
et blessures volontaires.
Alors qu'il purgeait sa peine au centre de détention de Toul, le
requérant, par lettre du 29 septembre 1993, demanda aide et assistance
à la Ligue des Droits de l'Homme à Paris. S'estimant innocent des
faits pour lesquels il avait été condamné, il demandait une assistance
juridique afin, semble-t-il, qu'une procédure en révision de son procès
pût être engagée. Le service juridique de la ligue lui répondit le
12 octobre 1993 que seul un avocat était habilité à prendre en charge
son dossier et lui renvoya le dossier qu'il avait transmis avec sa
demande.
Le 3 janvier 1994, le requérant remit au vaguemestre de
l'établissement pénitentiaire son dossier ainsi qu'un pli ouvert
adressé à un avocat, Maître C., dont il sollicitait le concours pour
le traitement à titre gracieux de son affaire.
Le 7 janvier 1994, le chef de poste du bâtiment abritant la
cellule du requérant informa ce dernier, verbalement, qu'une
autorisation du directeur de l'établissement était nécessaire pour
l'envoi de son courrier.
En réponse à la demande adressée en ce sens par le requérant, le
directeur lui notifia le 10 janvier 1994 que "ce dossier ne sera(it)
envoyé que si l'avocat accept(ait) par écrit: 1° de le recevoir 2° de
le conserver à titre définitif".
Après avoir eu un entretien le 11 janvier 1994 avec le directeur,
qui ne permit pas de débloquer la situation, le requérant écrivit au
ministre de la Justice le 18 janvier 1994 pour s'en plaindre, mais
n'obtint pas de réponse à son courrier.
b. Eléments de droit interne applicables en matière de
correspondance des détenus avec leur avocat
Les règles en la matière diffèrent très sensiblement, selon que
le détenu est prévenu et bénéficie dès lors de la présomption
d'innocence, ou condamné. Ainsi, la correspondance des détenus
prévenus avec leur avocat peut, conformément à l'article D. 69 du Code
de procédure pénale, s'effectuer sous pli fermé, échappant de la sorte
à tout contrôle de la part des autorités pénitentiaires. En revanche,
s'agissant des détenus condamnés, deux situations peuvent se présenter,
selon que l'avocat avec lequel ils veulent correspondre est ou n'est
pas celui qui les a assistés au cours de la procédure. L'article 419
du Code de procédure pénale établit cette distinction :
"Les défenseurs correspondent, dans les conditions visées à
l'article D 69, avec les prévenus et avec les condamnés qu'ils
ont assistés au cours de la procédure. Pour ces derniers, ils
doivent justifier auprès du chef de l'établissement qu'ils ont
personnellement apporté cette assistance.
Les avocats n'ayant pas assisté le condamné au cours de la
procédure, (...) peuvent être autorisés à correspondre avec les
condamnés dans les conditions fixées aux articles D 414 et D 416.
Pour le cas où ils désirent bénéficier dans leur correspondance
des dispositions particulières prévues à l'article D 69, ils
doivent joindre à leur demande une attestation délivrée par le
parquet de leur résidence, selon laquelle le secret de la
communication paraît justifié par la nature des intérêts en
cause."
Par ailleurs, l'article D. 66 du Code de procédure pénale dispose
ce qui suit :
"Il est interdit au personnel de l'administration pénitentiaire
et à toute personne qui apporte sa collaboration à cette
Administration, d'agir de façon directe ou indirecte auprès des
détenus, pour influer sur leur moyen de défense et sur le choix
de leur défenseur."
Les courriers que les détenus condamnés souhaitent adresser à un
nouvel avocat, qui n'a pas eu à connaître de l'affaire à l'origine de
leur condamnation, sont donc a priori soumis au contrôle habituel de
l'administration pénitentiaire. Les articles D. 414, D. 415 et D. 416
prévoient les principales modalités de ce contrôle à l'égard des
détenus condamnés :
Article D. 414 : "Les détenus condamnés peuvent écrire à toute
personne de leur choix et recevoir des lettres de toute personne.
Le chef d'établissement peut toutefois interdire la
correspondance occasionnelle ou périodique avec des personnes
autres que le conjoint ou les membres de la famille d'un condamné
lorsque cette correspondance paraît compromettre gravement la
réadaptation du détenu ou la sécurité et le bon ordre de
l'établissement. Il informe de sa décision la commission de
l'application des peines."
Article D. 415 : "Les lettres adressées aux détenus ou envoyées
par eux doivent être écrites en clair et ne comporter aucun signe
ou caractère conventionnel.
Elles sont retenues lorsqu'elles contiennent des menaces précises
contre la sécurité des personnes ou celle des établissements
pénitentiaires."
Article D. 416 : "(...)les lettres de tous les détenus, tant à
l'arrivée qu'au départ, peuvent être lues aux fins de contrôle.
Celles qui sont écrites par les prévenus, ou à eux adressées,
sont au surplus communiquées au magistrat saisi du dossier de
l'information dans les conditions que celui-ci détermine.
Les lettres qui ne satisfont pas aux prescriptions réglementaires
peuvent être retenues."
GRIEFS
1. Le requérant se plaint d'atteintes à son droit à la libre
correspondance et à son droit au libre choix d'un avocat. Il se plaint
d'avoir eu à demander une autorisation pour expédier sa correspondance
et du fait que des conditions ne reposant sur aucune base légale lui
ont été imposées. Il invoque l'article 8 de la Convention.
2. Le requérant se plaint des répercussions psychologiques et
physiques de cette situation, qui lui vaut des nuits blanches et un
manque d'appétit, entraînant des souffrances telles qu'il pourrait être
amené à se suicider. Il invoque l'article 3 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 14 juillet 1994 et enregistrée le
16 septembre 1994.
Le 17 janvier 1995, la Commission (Deuxième Chambre) a décidé de
porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de
l'inviter à lui présenter par écrit des observations sur sa
recevabilité et son bien-fondé en ce qui concerne le grief du requérant
tiré de la violation de son droit au respect de sa correspondance.
Les observations du Gouvernement ont été présentées le
11 avril 1995 et celles du requérant le 3 octobre 1995.
Le 24 mai 1995, la Commission a décidé d'accorder au requérant
le bénéfice de l'assistance judiciaire.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint que le refus opposé par le directeur de
l'établissement pénitentiaire de laisser partir un courrier destiné à
un avocat porte atteinte à son droit au respect de sa correspondance,
garanti par l'article 8 (art. 8) de la Convention qui dispose :
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est
prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à
la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense
de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la
protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des
droits et libertés d'autrui."
Sur la qualité de victime du requérant
Le Gouvernement défendeur excipe en premier lieu du défaut de
qualité de victime du requérant, au sens de l'article 25 (art. 25) de
la Convention. Selon le Gouvernement, le problème de la confidentialité
de la correspondance entre le requérant et son conseil n'est pas ici
en jeu puisque c'est le requérant lui-même qui a spontanément transmis
sous pli ouvert aux autorités pénitentiaires le courrier accompagnant
le dossier qu'il destinait à Maître C., avec lequel il n'avait jamais
été en contact auparavant. Le requérant se plaint de l'attitude du
directeur de la prison, qui aurait opposé un refus à sa demande d'envoi
du courrier litigieux ; en réalité, le directeur voulait que le
requérant s'assurât au préalable de l'acceptation de l'avocat de
prendre en charge son affaire et de conserver ensuite le dossier, dans
l'hypothèse où il accueillerait favorablement la demande du requérant.
C'est donc pour aider le requérant que le directeur de la prison a
estimé opportun de lui conseiller d'obtenir d'abord l'accord de Maître
C., avant de procéder à l'envoi du volumineux dossier. En refusant de
rédiger ce courrier préalable, il a lui-même contribué à l'absence
d'envoi du dossier de son affaire, ainsi que du courrier qui
l'accompagnait à Maître C. Dès lors, le Gouvernement estime qu'il n'y
a pas eu une quelconque ingérence dans son droit au respect de sa
correspondance.
Le requérant, quant à lui, estime que le fait de ne pas s'être
plié aux exigences de l'administration pénitentiaire en refusant
d'écrire le courrier préalable ne saurait en aucun cas être considéré
comme manifestation d'une quelconque mauvaise foi de sa part, mais tout
simplement comme le refus d'exécuter une exigence qui pour lui violait
la Convention.
La Commission constate que, selon le droit interne pertinent, les
détenus condamnés peuvent correspondre avec toute personne de leur
choix et recevoir des lettres de toute personne sous réserve du
contrôle effectué par l'administration pénitentiaire.
La Commission relève que le requérant a voulu adresser un
courrier accompagné d'un dossier concernant son affaire à un avocat
afin, semble-t-il, qu'il engage une procédure en révision de son
procès. Elle note que, sur décision du directeur de la prison, son
courrier n'a pas été envoyé. Elle constate que la mesure dont il se
plaint a été appliquée à son détriment et qu'il en a subi directement
les effets puisqu'il n'a pu correspondre avec l'avocat qu'il souhaitait
contacter. La Commission estime que, dans ces conditions, le requérant
peut se prétendre victime d'une violation de la Convention au sens de
l'article 25 (art. 25) de la Convention. Elle considère que la
possibilité donnée au requérant de rédiger un courrier préalable à
l'avocat qu'il venait de choisir n'est pas de nature à le priver de la
qualité de victime. L'exception du Gouvernement ne saurait dès lors
être retenue.
Sur l'épuisement des voies de recours internes
Le Gouvernement excipe ensuite du défaut d'épuisement des voies
de recours internes, au sens de l'article 26 (art. 26) de la
Convention. En effet le requérant pouvait porter plainte et se
constituer partie civile à l'encontre des fonctionnaires de
l'administration pénitentiaire qui n'avaient pas transmis aussitôt son
courrier, en se fondant sur l'article 187 du Code pénal qui punit le
délit de suppression de lettres confiées à la poste commis par un
fonctionnaire ou un agent du Gouvernement. A cet égard, le
Gouvernement précise que les juridictions ont interprété l'acte
matériel de suppression comme un fait ayant pour résultat d'empêcher
ou de retarder la remise d'un pli à son destinataire. En outre il
aurait pu exercer un recours de plein contentieux devant les
juridictions administratives afin d'obtenir une indemnisation en
réparation du préjudice subi pour faute de service en raison de
l'illégalité de la décision.
Le requérant, quant à lui, admet qu'il n'a pas engagé
l'intégralité des voies de recours qui lui étaient théoriquement
ouvertes en droit interne. Il fait observer nonobstant qu'il a engagé
un recours hiérarchique de nature administrative auprès du ministre de
la Justice ainsi qu'une plainte pénale adressée au procureur général
de Nancy. Il souligne cependant que l'allégation de violation portée
devant la Commission ne découle pas de l'interdiction qui lui a été
faite de correspondre avec l'avocat de son choix, mais plutôt de
l'exigence qui lui a été soumise d'adresser préalablement à Maître C.
un courrier lui demandant s'il acceptait de prendre en charge son
dossier. Il estime que les recours dont fait état le Gouvernement sont
inefficaces dans la mesure où même une condamnation pénale du
fonctionnaire de l'établissement pénitentiaire n'entraînerait pas la
possibilité d'adresser le dossier en question à l'avocat de son choix.
Quant à la saisine de la juridiction administrative, elle n'apparaît
pas plus efficace compte tenu de la lenteur de la procédure et du fait
qu'il souhaite former un pourvoi en révision.
La Commission rappelle que les voies de recours qui ne permettent
pas de redresser le dommage ou le grief allégué ne sauraient être
considérées comme efficaces ou suffisantes et n'ont donc pas besoin
d'être épuisées (cf. notamment No 6780/74 et 6950/75, déc. du 25.5.75,
D.R. 2 p. 125 ; No 7308/75, déc. du 12.10.78, D.R. 16 p. 32 ;
No 17419/90, déc. 8.3.94, D.R. 76-A p. 26).
Concernant, en premier lieu, la possibilité d'une plainte avec
constitution de partie civile contre les fonctionnaires de
l'administration pénitentiaire, la Commission relève que la disposition
du Code pénal invoquée par le Gouvernement concerne la correspondance
en général. La correspondance des détenus obéit quant à elle, du fait
de la loi, ainsi que le rappelle le Gouvernement, à des dispositions
spécifiques. Celles-ci écartent la possibilité d'invoquer utilement les
prescriptions de l'article 187 du Code pénal en l'espèce. En outre,
l'existence d'un tel délit suppose que l'intention délictueuse soit
prouvée. Or les explications du Gouvernement sur l'absence de faute et
le bien-fondé du comportement du directeur de la prison interdisent de
penser que le requérant aurait pu rapporter la preuve d'une telle
intention fautive.
La Commission observe en second lieu que le recours en plein
contentieux devant la juridiction administrative suppose que le
requérant rapporte la preuve de l'existence d'une faute dans
l'exécution du service. Or le Gouvernement explique lui-même que le
directeur de la prison n'a commis aucune faute, puisqu'il aurait retenu
le courrier du requérant uniquement pour l'aider (cf. No 19103/91,
déc. 2.12.94, non publiée).
La Commission estime donc que les recours invoqués par le
Gouvernement n'étaient pas efficaces pour remédier aux griefs du
requérant. L'exception tirée du défaut d'épuisement des voies de
recours internes ne saurait non plus être retenue.
Sur le bien-fondé
Le Gouvernement soutient qu'il n'y a pas eu ingérence dans le
droit invoqué par le requérant.
Le requérant maintient son point de vue. Il estime qu'en lui
imposant une procédure particulière pour contacter un avocat dans le
cadre d'un recours envisagé contre une décision de justice,
l'administration pénitentiaire n'a pas respecté l'article D. 66. Il
considère que l'ingérence n'était pas prévue par la loi et, qu'en tout
état de cause, elle ne constituait une mesure nécessaire à la défense
d'aucun des motifs énoncés au paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2)
de la Convention. Par ailleurs, il est d'avis que la recherche d'un
conseil pour engager une voie de recours prévue en droit interne, n'est
pas de nature à compromettre ni sa réadaptation, ni la sécurité et le
bon ordre de l'établissement pénitentiaire.
La Commission estime, à la lumière des critères dégagés par la
jurisprudence des organes de la Convention en matière de correspondance
des détenus et de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief
pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être
résolues à ce stade de l'examen, mais nécessitent un examen au fond.
Il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal
fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. La
Commission constate en outre que cette partie de la requête ne se
heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
2. Le requérant se plaint des répercussions d'ordre psychologique
que lui cause cette situation. Il invoque l'article 3 (art. 3) de la
Convention qui dispose que "nul ne peut être soumis à la torture ni à
des peines ou traitements inhumains ou dégradants".
Toutefois, dans la mesure où les allégations ont été étayées et
où elle est compétente pour en connaître, la Commission n'a relevé
aucune apparence de violation des droits garantis par la disposition
invoquée de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée
comme étant manifestement mal fondée, conformément à l'article 27
par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du
requérant tiré de la violation de son droit au respect de sa
correspondance,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
Le Secrétaire de la Le Président de la
Deuxième Chambre Deuxième Chambre
(M.-T. SCHOEPFER) (H. DANELIUS)