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DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 37971/97
présentée par Sociétés COLAS EST,
COLAS SUD-OUEST, SACER et JEAN FRANCOIS
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 21 octobre 1998 en présence de
MM. J.-C. GEUS, Président
M.A. NOWICKI
G. JÖRUNDSSON
A. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
I. CABRAL BARRETO
D. ŠVÁBY
P. LORENZEN
E. BIELIŪNAS
E.A. ALKEMA
A. ARABADJIEV
Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 2 décembre 1996 par Sociétés COLAS EST, COLAS SUD-OUEST, SACER et JEAN FRANCOIS contre la France et enregistrée le 1er octobre 1997 sous le N° de dossier 37971/97 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérantes sont des sociétés anonymes de droit français, exerçant dans le domaine des travaux routiers. Les quatre sociétés requérantes, COLAS EST, COLAS SUD-OUEST, SACER et JEAN FRANCOIS, sont respectivement sises à Colmar, Mérignac, Boulogne-Billancourt et Marseille. Devant la Commission, elles sont représentées par Maître Fabrice Goguel, avocat au barreau de Paris.
Les faits de l'espèce, tels qu'ils ont été exposés par les requérantes, peuvent se résumer comme suit.
Dans une note en date du 9 octobre 1985, le directeur de la direction nationale des enquêtes, rattaché à la direction générale de la concurrence et de la consommation, apporta des précisions, aux responsables interdépartementaux, sur l'enquête envisagée concernant les entreprises de travaux publics routiers lors de la passation de marchés locaux. A sa note fut annexée la liste des entreprises à visiter, soit dans leur siège, soit dans leur agence locale, dans un ou plusieurs des dix-sept départements cités : les trois premières requérantes y figuraient, mais non la quatrième.
A l'occasion d'une intervention simultanée réalisée le 19 novembre 1985 auprès de ces sociétés, des enquêteurs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes saisirent plusieurs milliers de documents.
Lors de ces interventions, les enquêteurs procédèrent à la saisie de divers documents sur le fondement des dispositions de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945, dispositions ne prévoyant aucune autorisation judiciaire.
Ces documents saisis permirent d'établir l'existence d'ententes illicites relatives à certains marchés ne figurant pas sur la liste des marchés concernés par l'enquête.
Le 14 novembre 1986, le ministre de l'Economie, des Finances et de la Privatisation saisit, sur la base des documents saisis, la commission de la concurrence de faits qu'il estimait pouvoir être qualifiés de concertation entre entreprises distinctes, de simulation de concurrence entre entreprises appartenant à un même groupe lors de la passation de marchés locaux de travaux publics routiers et de clauses limitant le jeu de la concurrence dans l'exploitation de centrales d'enrobage.
Le 30 juillet 1987, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes adressa une saisine complémentaire au conseil de la concurrence pour des faits de même nature. Cette saisine concernait cinquante-cinq entreprises, dont les requérantes.
Par décision en date du 25 octobre 1989, publiée au bulletin de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (BOCCRF), le conseil de la concurrence infligea aux trois premières requérantes des sanctions pécuniaires d'un montant respectif de douze millions de francs, quatre millions de francs et six millions de francs en raison de différentes pratiques illégales. Concernant la quatrième requérante, le conseil de la concurrence lui infligea, sur le fondement des documents saisis dans les locaux de la société V., une société tierce, une sanction pécuniaire d'un million de francs en raison des pratiques concertées dans les centrales communes d'enrobés.
Par arrêt du 4 juillet 1990, publié au BOCCRF, la Cour de cassation de Paris confirma les sanctions pécuniaires de douze millions de francs pour la première requérante, de quatre millions de francs pour la deuxième, de six millions pour la troisième, mais elle réduisit la sanction, concernant la quatrième requérante, à un montant de sept cent soixante mille francs. Les sociétés requérantes se pourvurent en cassation.
Par arrêt du 6 octobre 1992, publié au BOCCRF, la cour suprême cassa l'arrêt de la cour d'appel de Paris. Elle renvoya l'affaire devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
Le 4 juillet 1994, la cour d'appel de Paris autrement composée, par un arrêt longuement motivé et publié au BOCCRF, infligea des sanctions pécuniaires de cinq millions de francs à la première requérante, de trois millions de francs à la deuxième, de six millions à la troisième et de trois cent mille francs à la dernière. Les sociétés requérantes se pourvurent en cassation.
Par arrêt du 4 juin 1996, publié au BOCCRF, la Cour de cassation rejeta les pourvois. En particulier, la Cour de cassation rejeta le moyen fondé sur les articles 6 et 8 de la Convention, moyen qui visait la communication à l'administration, lors des visites domiciliaires, des pièces ayant par la suite servi de fondement à la condamnation des requérantes, aux motifs que les enquêteurs s'étaient fait communiquer les documents sans que l'enquête n'ait donné lieu à « perquisition » ni contrainte.
GRIEFS
1. Les requérantes estiment que la communication sous contrainte des pièces saisies, et l'utilisation ultérieure de ces documents pour fonder les poursuites à caractère pénal constituent une violation de l'article 6 par. 1 de la Convention.
2. Les requérantes estiment que les interventions des enquêteurs de l'administration, le 19 novembre 1985 et dans les jours qui ont suivi, ont constitué des violations de leurs domiciles, en dehors de tout contrôle ou de restrictions à l'égard des enquêteurs. Elles invoquent l'article 8 de la Convention.
EN DROIT
1. Les requérantes estiment que la communication sous contrainte des pièces saisies, et l'utilisation ultérieure de ces documents pour fonder les poursuites à caractère pénal constituent une violation de l'article 6 par. 1 de la Convention, lequel dispose notamment :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
La Commission rappelle que la question de savoir si un procès est conforme aux exigences de l'article 6 s'apprécie sur la base d'un examen de l'ensemble de la procédure et non d'un élément isolé. Elle rappelle également qu'elle n'a pas à se substituer aux juridictions nationales compétentes au premier chef pour juger de l'admissibilité des preuves (voir, notamment, Cour eur. D.H., arrêts Schenk c. Suisse du 12 juillet 1988, série A n° 140, p. 29, par. 46 ; Miailhe N° 2 c. France du 26 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, N° 16, p. 1338, par. 43). Elle doit néanmoins s'assurer que la procédure a revêtu dans son ensemble un caractère équitable, eu égard aux irrégularités éventuellement intervenues avant le renvoi de l'affaire devant les juges du fond en vérifiant, en pareil cas, qu'il a pu y être porté remède devant eux (arrêt Miailhe N° 2 c. France précité).
Tout d'abord, la Commission constate que la liste des entreprises et agences concernées par l'enquête et à visiter, liste annexée à la note du directeur de la direction nationale des enquêtes en date du 9 octobre 1985, ne mentionne pas la quatrième société requérante. Aucun autre élément du dossier ne fait apparaître qu'une visite de ses locaux aurait eu lieu. En conséquence, la Commission constate que la quatrième société requérante ne peut prétendre avoir été obligée de communiquer des documents qui servirent ensuite de fondement à sa condamnation.
Par ailleurs, la Commission ne relève aucun élément de nature à étayer la thèse selon laquelle, au cours des interventions aux sièges ou dans les agences des trois autres sociétés requérantes, les agents enquêteurs auraient tenté de contraindre les personnes présentes à produire la preuve d'infractions que les sociétés requérantes auraient commises. De tels éléments n'apparaissent d'ailleurs pas davantage dans les arguments soutenus par les sociétés requérantes devant les juridictions internes.
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, conformément aux dispositions de l'article 27 par. 2 de la Convention.
Reste à examiner la question de savoir si la procédure relative à l'utilisation des documents saisis, pour fonder la condamnation des quatre sociétés requérantes, a revêtu ou non un caractère équitable.
La Commission relève que les sociétés requérantes ont, dès la notification des charges retenues contre elles, obtenu communication de l'intégralité du dossier. Elles purent ensuite se faire représenter ou assister devant le conseil de la concurrence, avoir connaissance des conclusions du commissaire du Gouvernement avant l'audience et développer leur argumentation dans des mémoires écrits et dans le cadre d'observations orales à l'appui de leurs écritures. La Commission constate ensuite que les sociétés requérantes ont bénéficié d'un débat contradictoire devant la cour d'appel de Paris. Puis, ayant exercé leur droit de former un pourvoi en cassation, elles obtinrent la cassation de l'arrêt rendu par la cour d'appel. La Commission note que les requérantes ont bénéficié d'un nouveau débat contradictoire devant la cour de renvoi, puis d'un nouvel examen de leurs moyens fondés en droit devant la Cour de cassation.
En conséquence, la Commission relève que les autorités internes, à savoir le conseil de la concurrence puis les juges judiciaires, ont fondé leurs décisions, décisions au demeurant très motivées, sur les seules pièces versées aux débats et discutées contradictoirement devant elles, assurant ainsi aux requérantes un procès équitable. Avec un examen comportant un double degré de juridiction et la possibilité de former un pourvoi en cassation - possibilité utilisée avec succès durant la procédure - les requérantes ont pu discuter contradictoirement des pièces à charge et des accusations portées contre elles (arrêt Miailhe N° 2 c. France précité, p. 1338, par. 44 et p. 1339, par. 45).
En conséquence, la Commission estime que la procédure, considérée dans son ensemble, a revêtu un caractère équitable.
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, par application de l'article 27 par. 2 de la Convention.
2. Les requérantes estiment que les interventions des enquêteurs de l'administration en novembre 1985 ont constitué des violations de leurs domiciles, en dehors de tout contrôle ou de restrictions à l'égard des enquêteurs. Elles invoquent l'article 8 de la Convention, selon lequel :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Concernant la quatrième société requérante, la Commission rappelle, comme elle l'a relevé lors de l'examen du précédent grief, que la liste des entreprises et agences concernées par l'enquête et à visiter, liste annexée à la note du directeur de la direction nationale des enquêtes en date du 9 octobre 1985, ne mentionne pas la quatrième société requérante et qu'aucun autre élément du dossier ne fait apparaître qu'une visite de ses locaux aurait eu lieu.
Il s'ensuit que la quatrième requérante n'a pas qualité pour se prétendre victime d'une violation de son domicile.
Concernant les trois autres requérantes, la Commission rappelle, à titre préalable, que le rejet du grief tiré de l'article 6 n'interdit pas d'examiner le grief tiré de l'article 8 de la Convention (cf. mutatis mutandis, Cour eur. D.H., arrêt Miailhe c. France du 25 février 1993, série A n° 256 -C, pp. 87-90, par. 28-40 et Miailhe N° 2 c. France, précité, pp. 1333-1339, par. 33-46).
La Commission estime qu'en l'état actuel du dossier, elle n'est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur, en application de l'article 48 par. 2 b) du Règlement intérieur.
Par ces motifs, la Commission,
AJOURNE l'examen du grief des trois premières sociétés requérantes concernant l'atteinte à leur droit au respect de leur domicile ;
à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
M.-T. SCHOEPFER J.-C. GEUS
Secrétaire Président
de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre