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Rozhodnutí

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 41126/98

présentée par Juan Cruz Jesús URDICIAIN VALENCIA[Note1]

contre l'Espagne[Note2]

La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en chambre le 12 janvier 1999 en présence de

M. M. Pellonpää, président,

M. G. Ress,

M. J.A. Pastor Ridruejo,

M. L. Caflisch,

M. J. Makarczyk,

M. I. Cabral Barreto,

Mme N. Vajić, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section ;

Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 15 décembre 1997 par Juan Cruz Jesús URDICIAIN VALENCIA [Note3]contre l'Espagne et enregistrée le 3 mai 1998 sous le n° de dossier 41126/98 ;

Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;

Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :


EN FAIT

Le requérant est un ressortissant espagnol domicilié à Burgos. Devant la Cour, il est représenté par Me Francisco Javier Díaz Aparicio, avocat au barreau de Madrid.

Les faits, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

En 1992, une procédure pénale fut engagée contre le requérant devant le juge d’instruction n° 5 de Burgos.

Le 13 octobre 1993, Me Q., avocat du requérant qui avait assisté celui-ci lors de sa première déposition devant le juge, renonça à continuer d’assurer sa représentation, quelques jours avant que les parties accusatrices formulent leurs accusations respectives, les 21 et 29 ctobre 1993.

Le 17 novembre 1993, le juge ordonna le renvoi en jugement (auto de apertura de juicio oral) devant le juge pénal de Burgos. Le requérant fut requis de nommer un avocat et un avoué de son choix pour assurer sa représentation. Ne l’ayant pas fait, le 9 décembre 1993, un avocat, Me V., et un avoué lui furent commis d’office. Par un acte (providencia) du juge d’instruction du 21 novembre 1993, ils furent tenus pour désignés. Copie du dossier fut transmise à l’avoué pour qu’il présente, dans un délai de cinq jours, un mémoire en défense.

Le 3 janvier 1994, l’avocat d’office ainsi désigné, Me V., présenta le mémoire « provisoire » en défense (escrito de calificación provisional) et demanda que certains moyens de preuve fussent administrés, sans avoir toutefois pris contact avec le requérant qui prétend ne pas avoir été informé par le juge d’instruction d’une telle désignation.

Par une ordonnance (providencia) de renvoi du 4 janvier 1994, le juge d’instruction transmit le dossier au juge pénal n° 1 de Burgos, pour jugement.

Estimant avoir été mis dans l’impossibilité de se défendre correctement, le 21 septembre 1994, le requérant demanda que la procédure fût déclarée nulle, ce qui fut refusé par une décision du juge pénal du 22 septembre 1994.

Le 28 septembre 1994, le requérant, assisté par Me V., comparut devant le juge pénal n° 1 de Burgos et prit alors connaissance de la désignation de son avocat d’office et de l’état du dossier. Estimant que les peines susceptibles d’être infligées au requérant pourraient, par application de l’article 69 bis du code pénal, dépasser les six ans et un jour de prison (prisión menor) prévus par la loi pour déterminer la compétence des juges pénaux en tant que juridictions de jugement, le ministère public sollicita la suspension des débats oraux (juicio oral) et le renvoi en jugement devant l’Audiencia provincial. Par une décision du même jour, le juge pénal de Burgos fit droit à la demande du ministère public.

Les débats oraux eurent lieu le 17 janvier 1995 devant l’Audiencia provincial de Burgos. Le requérant était représenté par Me V. et, suite à la renonciation de ce dernier, par Me D., nouvel avocat commis d’office, dont la désignation fut dûment notifiée à l’avoué du requérant. Le nouvel avocat , Me D., ne formula pas de protestations ni ne demanda que la
procédure fût déclarée nulle. Il considéra comme définitives et confirma les conclusions en défense présentées par son prédécesseur, Me V. Les moyens de preuve proposés, entre autres, des dépositions de témoins et des expertises, furent examinés à l’audience. Le requérant déclara n’avoir rien à ajouter.

Par un arrêt du 10 février 1995, l’Audiencia provincial condamna le requérant pour délits continus de faux en écriture et détournement de fonds (apropiación indebida), avec application, dans chaque cas, de la circonstance aggravante d’abus de confiance, à des peines de dix ans de prison, à une amende de 1 000 000 pesetas et au versement d’indemnités à la partie adverse. Le requérant, conseiller fiscal de R., fut reconnu coupable d’avoir présenté périodiquement, au nom de ce dernier et de Mme R., ainsi que de la société R., S.A., des déclarations fiscales signées par le requérant lui-même ou par des membres de sa famille ou ses employés, imitant les signatures des personnes mentionnées et rédigées à partir des documents fournis par R., que le requérant falsifia par la suite d’une façon telle que lesdites déclarations ainsi présentées aux centres des impôts donnèrent lieu à des inspections fiscales.

Le 22 juin 1995, le requérant se pourvut en cassation.

Par un arrêt du 23 juillet 1996, le Tribunal suprême confirma pour l’essentiel l’arrêt rendu par la juridiction a quo, et le cassa partiellement quant aux peines infligées au requérant, en les réduisant à six ans de prison et à une amende, estimant que le délit de continu de détournement de fonds n’avait pas été commis avec abus de confiance.

Au sujet du moyen tiré par le requérant du non-respect du droit à un juge établi par la loi, dans la mesure où le juge pénal se déclara incompétent et renvoya l’affaire à l’Audiencia provincial de Burgos alors que, d’après le requérant, les peines susceptibles de lui être infligées ne pourraient pas dépasser les six ans et un jour de prison, durée maximale de la peine, établie par le code de procédure pénale, pour limiter la compétence des juges pénaux, le Tribunal suprême nota que tant le ministère public que la partie civile avaient qualifié les faits de délits continus de faux en écriture et de détournement de fonds. Or un délit continu de faux en écriture étant passible, en vertu des articles 303 et 69 bis du code pénal, d’une peine pouvant aller jusqu’à douze ans de prison (prisión mayor), le Tribunal suprême conclut que le moyen devait être écarté.

Pour ce qui est du moyen tiré de l’impossibilité pour le requérant de se défendre correctement, le Tribunal suprême constata que le requérant avait été représenté tout au long de la procédure et que tous les actes de procédure effectués par Me V. avaient été ratifiés et confirmés ultérieurement par Me D., désigné à sa place. Par ailleurs, de nouveaux moyens de preuve, si besoin était, auraient pu être proposés lors des débats oraux, ce qui ne fut pas fait. Le Tribunal suprême nota qu’en tout état de cause, les relations entre les avocats nommés pour représenter l’accusé et ce dernier n’avaient pas de nature strictement processuelle et que, comme le précisa le ministère public, la façon dont un professionnel désigné d’office prépare la défense et présente les moyens de preuve à décharge ne pouvaient être l’objet d’une révision dans le cadre du pourvoi en cassation, mais relevaient plutôt des autorités du barreau ou de l’Ordre des avocats ou, dans des cas graves, d’une procédure pour obstruction à la justice et faute professionnelle.


Quant aux moyen présenté par le requérant selon lequel il aurait été condamné pour faux en écriture sur la base de documents privés alors que le délit de faux exige que les documents en cause aient le caractère de documents publics, le Tribunal suprême se référa à sa propre jurisprudence selon laquelle un document privé à l’origine est considéré comme un document officiel lorsque sa destination est publique, à savoir lorsqu’il a pour objet la production d’effets publics et de décisions de l’administration. Un des juges du Tribunal suprême formula toutefois une opinion dissidente à cet égard, estimant que l’arrêt violait le principe de légalité dans la mesure où le concept de « document officiel par sa destination » impliquait une extension par analogie du délit pour lequel le requérant avait été condamné, qui ne se réfère qu’aux documents officiels.

Invoquant notamment l’article 24 de la Constitution espagnole (droit à un procès équitable, à un juge établi par la loi et au respect de la présomption d’innocence), le requérant forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Par une décision du 23 juin 1997, le Tribunal constitutionnel déclara le recours irrecevable comme ne soulevant aucune question de droit constitutionnel. La haute juridiction précisait, d’une part, que la détermination du juge établi par la loi était une question de légalité ordinaire qui relevait des juridictions ordinaires et, d’autre part, qu’à supposer même qu’il y ait eu un malentendu entre le requérant et son avocat, aucune méconnaissance de ses droits de la défense n’avait eu lieu. Enfin, la décision nota que le fait que le requérant n’était pas d’accord avec l’interprétation de la loi pénale ne saurait constituer, en soi, une violation du droit à un procès équitable, dans la mesure où les dispositions légales abstraites sont naturellement soumises à la discrétion du juge dans leur application. En l’espèce, aucun dépassement de « l’exigence impérative de prédétermination légale des conduites illicites » ne saurait être apprécié, compte tenu, au demeurant, de l’acceptation jurisprudentielle de la notion de « documents officiels par sa destination ».

GRIEFS

Le requérant se plaint que Me V., avocat qui lui fut commis d’office assuma sa représentation et présenta un mémoire en défense sans avoir même pris contact avec lui. Il prétend n’avoir pas été informé de ladite désignation et estime que cela porte atteinte à ses droits de la défense, en violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

Le requérant se plaint aussi que l’Audiencia provincial de Burgos a interprété de façon extensive et par analogie, lui portant préjudice, les dispositions du code pénal en vertu desquelles il a été condamné pour faux en écriture, dans la mesure où sa condamnation est fondée sur des documents privés alors que le délit de faux exige que les documents en cause aient le caractère de documents publics. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention.

Le requérant se plaint enfin qu’il n’a pas eu droit à un juge établi par la loi dans la mesure où le juge pénal se déclara incompétent et renvoya l’affaire à l’Audiencia provincial. Il fait valoir que les délits pour lesquels il était inculpé, étaient passibles de peines d’une durée inférieure à six ans de prison (prisión menor), de sorte que le juge pénal était compétent. Il invoque les articles 6 § 1 et 7 de la Convention.


EN DROIT

Le requérant, invoquant l’article 6 §§ 1 et 2, et 7 de la Convention, se plaint que sa défense n’était pas correctement assurée et que la juridiction de jugement a interprété de façon extensive et par analogie les dispositions du code pénal en vertu desquelles il a été condamné pour faux en écriture. Il estime par ailleurs qu’il n’a pas eu droit à un juge établi par la loi dans la mesure où le juge pénal a, en renvoyant l’affaire devant l’Audiencia provincial de Burgos, méconnu les règles de la compétence des juridictions.

Les dispositions citées sont, dans leurs parties pertinentes, ainsi libellées :

Article 6

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) établi par la loi, qui décidera(…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…)

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie (…). »

Article 7 § 1

« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. (…) »

a. Le requérant se plaint, au titre de l’article 6 § 2 de la Convention, de la conduite dans la procédure de son avocat d’office, Me V. La Cour a examiné ce grief sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention. Elle rappelle d’emblée que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti au plan général par le paragraphe 1. C’est pourquoi elle estime approprié d’examiner le grief du requérant sous l’angle des deux textes combinés (voir notamment les arrêts Pullar c. Royaume-Uni du 10 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, p . 796, § 45, et Foucher c. France du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 464, § 30). La Cour rappelle en outre que la question de savoir si une procédure s'est déroulée conformément aux exigences du procès équitable, telles que prévues à l'article 6 § 1 de la Convention, doit être tranchée sur la base d'une appréciation de la procédure en cause considérée dans sa globalité. La Cour renvoie à cet égard à la jurisprudence constante des organes de la Convention (cf., par exemple, arrêt Barbera, Messegué et Jabardo c. Espagne du 6 décembre 1988, série A n° 146, p. 31, § 68 ; 7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18 p. 31).

Elle note que lors des débats oraux du 17 janvier 1995 devant l’Audiencia provincial de Burgos, le requérant était représenté par Me V. et que, suite à la renonciation de ce dernier, Me D., nouvel avocat commis d’office et dont la désignation avait été correctement notifiée à l’avoué du requérant, le remplaça. Me D. ne formula pas de protestations ni ne demanda que la procédure fût déclarée nulle. Il considéra comme définitives les conclusions en défense présentées par son prédécesseur, Me V, alors qu’il aurait pu, s’il l’avait estimé nécessaire, les modifier. Par ailleurs, le requérant déclara lui-même devant l’Audiencia provincial qu’il n’avait rien à ajouter. La Cour relève qu’à supposer même qu’il y ait eu un malentendu entre le requérant et son avocat Me V., ceci aurait été résolu par l’intervention de Me D., et aucune méconnaissance de ses droits de la défense imputable aux juridictions ayant examiné l’affaire ne saurait donc être constatée, le requérant ayant bénéficié d’une procédure contradictoire dans laquelle il a pu demander que des nouveaux moyens de preuve soient administrés. Le fait qu’il a été condamné à l’issue de cette procédure ne saurait suffire à conclure à une violation de la disposition de la Convention qu’il invoque. La Cour tient à souligner, au demeurant, qu’elle souscrit aux arguments donnés par le Tribunal suprême dans son arrêt, à savoir que la façon dans laquelle un professionnel désigné d’office prépare la défense et présente les moyens de preuve à décharge relèvent des autorités du barreau ou de l’Ordre des avocats ou, dans des cas graves, d’une procédure pour obstruction à la justice et faute professionnelle. Elle rappelle en effet que les actes ou omissions d’un avocat, même désigné d’office, ne sont, en principe, pas directement imputables à une autorité de l’Etat et, comme tels, ne peuvent, sauf circonstances particulières, engager la responsabilité de ce dernier au regard de la Convention (cf., mutatis mutandis, Cour eur. D.H. arrêts Artico c. Italie du 13 mai 1980, série A n° 37, p. 18 § 36, et Kamasinski c. Autriche du 19 décembre 1989, série A n° 168, pp. 32-33 § 65).

Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.

b. Concernant les griefs du requérant selon lesquels, d’une part, la juridiction de jugement a interprété de façon extensive et par analogie les dispositions du code pénal en vertu desquelles il a été condamné pour faux en écriture en violation de l’article 7 de la Convention et, d’autre part, sa cause n’a pas été examinée par un tribunal établi par la loi conformément à l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour a examiné les arguments développés par l’Audiencia provincial de Burgos et le Tribunal suprême, ainsi que par le Tribunal constitutionnel dans sa décision rendue en amparo.

Pour ce qui est, en particulier, du grief tiré de l’interprétation extensive de la notion de document public, la Cour estime que le fait que le requérant n’est pas d’accord avec l’interprétation de la loi pénale ne saurait constituer, en soi, une violation du droit à un procès équitable, dans la mesure où les dispositions légales abstraites sont naturellement soumises à la discrétion du juge dans leur application. La Cour relève que d’après le Tribunal suprême, un document privé à l’origine est considéré comme un document officiel lorsque sa destination est publique dans la mesure où il a pour objet la production d’effets publics et de décisions de l’administration, comme c’était le cas en l’espèce, et que la haute juridiction se référa à la jurisprudence existant sur la notion litigieuse, à savoir « documents officiels par sa destination » et au fait qu’aucun dépassement des limites de prédétermination légale des conduites illicites ne saurait être apprécié en l’espèce.

Quant au grief tiré de l’absence d’un tribunal établi par la loi, la Cour observe que l’arrêt rendu en cassation précisa que tant l’accusation du ministère public que celle de la partie civile avaient qualifié les faits de délits continus de faux en écriture et de détournement de fonds et qu’un délit continu de faux en écriture étant passible, en vertu des articles 303 et 69 bis du code pénal, d’une peine pouvant aller jusqu’à douze ans de prison (prisión mayor).


Au vu de ce qui précède, la Cour rappelle qu’elle n’est pas compétente pour se prononcer sur la question de savoir si l’interprétation des dispositions du droit interne était correcte ou non, une telle interprétation relevant exclusivement des juridictions internes. La Cour constate que les tribunaux internes ont condamné le requérant en se fondant sur la législation en vigueur et considère, à cet égard, qu’il n'apparaît pas que les juridictions espagnoles aient fait montre d'arbitraire dans l'interprétation des dispositions légales applicables en l'espèce. Elle ne saurait d’ailleurs pas se prononcer sur des règles de compétence des juridictions internes. A la lumière des principes dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention, la Cour estime que rien dans le dossier ne permet de déceler une quelconque apparence de violation par les juridictions espagnoles du droit à un procès équitable ni du principe de légalité, tel que reconnus aux articles 6 § 1, et 7 de la Convention.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.

Vincent Berger Matti Pellonpää
Greffier Président


[Note1]Attention, ne mettre que les initiales si non public. prénom et, en majuscules le nom de famille ; nom corporatif en majuscules ; pas de traduction des noms collectifs.

[Note2]Première lettre du pays en majuscule. Mettre l’article selon l’usage normal de la langue.

[Note3]En minuscules.