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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
23.5.2000
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 35683/97
présentée par Marcel VAUDELLE et Alain VAUDELLE
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 23 mai 2000 en une chambre composée de

M. L. Loucaides, président,
M. J.-P. Costa,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve,
M. M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 7 août 1996 et enregistrée le 22 avril 1997,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

La requête est présentée par deux requérants, le père Marcel Vaudelle (ci-après le premier requérant) et le fils Alain Vaudelle (ci-après le second requérant). Ce dernier fut désigné curateur de son père par décision du juge des tutelles du tribunal d'instance du 16ème arrondissement de Paris, en date du 29 mars 1995. Il en fut déchargé par jugement du tribunal de grande instance de Tours du 9 janvier 1997.

Le premier requérant est un ressortissant français, né en 1934, à Tours. Il est sans emploi. Le second requérant est un ressortissant français, né en 1967, à Paris.

Les requérants sont représentés devant la Cour par Maître Hélène Farge, avocat à la Cour à Paris.

A. Circonstances particulières de l'affaire

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. Procédure pénale diligentée contre le premier requérant

Le 16 février 1995, une plainte fut déposée contre le premier requérant pour avoir à plusieurs reprises commis des attouchements sexuels sur mineur.

Entendu le 20 février 1995 par la gendarmerie, le premier requérant reconnut en partie les faits. Le procès-verbal d’enquête mentionnait que le premier requérant était sous la tutelle de son fils Alain, domicilié à Paris, et faisait état d’une ordonnance du juge des tutelles du 16è arrondissement de Paris datée du 7 novembre 1994. Aux termes de cette ordonnance, le second requérant était nommé mandataire spécial de son père dans l’attente du jugement statuant sur le placement sous curatelle de son père.

Un examen psychiatrique du premier requérant fut demandé par le parquet du tribunal de grande instance de Tours le 30 mars 1995. Le premier requérant ne répondit à aucune des deux convocations de l’expert, respectivement pour les 20 avril et 11 mai 1995.

Le 19 octobre 1995, suivant audience du même jour, le tribunal correctionnel de Tours condamna le premier requérant à douze mois d'emprisonnement dont huit avec sursis probatoire et mise à l’épreuve pendant dix-huit mois, ainsi qu'à des dommages et intérêts, pour des actes d'atteintes sexuelles sur deux mineurs de 15 ans.

Le tribunal releva que le requérant avait été régulièrement cité à comparaître à l'audience, et qu'il résultait de l'accusé de réception de la lettre recommandée envoyée par l'huissier qu’il signa le 7 octobre 1995 qu'il avait été touché par la citation et avait donc eu connaissance de la citation à comparaître devant le tribunal correctionnel de Tours. Toutefois, il ne comparaissait pas en personne, n'était pas représenté et ne justifiait d'aucun motif légitime de non-comparution. Il fut donc statué contradictoirement à son égard.

Le jugement fut signifié au premier requérant le 5 décembre 1995. Celui-ci exécuta sa peine du 16 avril au 19 juillet 1996.

Le second requérant affirme n’avoir été informé de l'arrestation de son père ainsi que du jugement de condamnation du 19 octobre 1995, que le 16 avril 1996, puisque toutes les convocations relatives à la procédure pénale avaient été directement communiquées à son père. Le 18 avril 1996, le second requérant s’adressa au juge des tutelles en lui faisant part de l’arrestation de son père et lui indiqua ne rien savoir de la procédure pénale diligentée contre son père. Le 20 avril 1996, il s’adressa également au parquet de Tours pour se plaindre de ne pas avoir été informé des poursuites engagées contre son père.

Selon le Gouvernement, il ressort du jugement en date du 1er mars 1995 (voir la deuxième procédure au point 2) que le juge des tutelles du tribunal d’instance du 16ème arrondissement de Paris, appelé à se prononcer sur la mise en curatelle du premier requérant, décida de surseoir à statuer en raison de l’existence de la présente procédure pénale. Il ressort de ce même jugement que le juge des tutelles convoqua le second requérant pour obtenir à ce sujet des éléments d’information.

Par lettre du 24 avril 1996, le juge des tutelles du tribunal d'instance de Loches, en réponse aux différents courriers du second requérant, informa ce dernier qu'il était impossible d'exercer une voie de recours contre le jugement du 19 octobre 1995, devenu définitif faute d’appel. Le juge précisa que le régime de curatelle sous lequel avait été placé le premier requérant, était un régime de simple assistance, ne comportant pas l'obligation d'aviser le curateur de la procédure pénale dirigée contre la personne mise sous curatelle.

Par lettre du 25 avril 1996, le Procureur de la République près du tribunal de grande instance de Tours, en réponse au courrier du second requérant en date du 20 avril 1996, fit remarquer que le premier requérant n’était pas présent à l’audience du tribunal bien qu’il avait reçu la citation par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 7 octobre 1995. Il n'avait pas jugé utile de se déplacer à l'audience du tribunal, pas plus qu'il ne s'était présenté à la convocation de l'expert psychiatre, mandaté par le Parquet pour l'examiner les 20 avril et
11 mai 1995; par ailleurs, le Procureur releva que le premier requérant n'avait en aucune façon, fait mention de la curatelle à laquelle il était soumis. Enfin, il rappela que le premier requérant avait reçu la notification du jugement.

Le 24 juin 1996, le second requérant déposa un recours à l'encontre du jugement en date du 19 octobre 1995 au motif que son père « était malade lors de l’audience et n’a pu se rendre à la convocation du tribunal ni faire appel ». Le 28 juin 1996, il lui fut répondu qu’il n'avait pas qualité pour l'exercer et que, par ailleurs, la décision de condamnation était devenue définitive. Le 30 mai 1997, le second requérant s’adressa une nouvelle fois au procureur pour s’opposer au jugement du 19 octobre 1995.

2. Procédure relative au placement sous curatelle du premier requérant

Par ordonnance du juge des tutelles du 16ème arrondissement de Paris en date du
7 novembre 1994, le second requérant était désigné mandataire spécial de son père. L’ordonnance précisait que ce mandat spécial recevrait effet jusqu’au jugement à intervenir sur l’éventuelle ouverture d’une mesure de tutelle ou de curatelle. Aux termes de l’ordonnance, le second requérant avait le pouvoir notamment de :

“ (...) recevoir tous courriers adressés à la personne protégée, à titre administratif ou patrimonial, même en la forme recommandée à charge pour le mandataire spécial de lui remettre son courrier personnel dans les 48 heures (...)”

Par jugement du 1er mars 1995, le juge des tutelles, appelé à statuer sur la mesure de curatelle du premier requérant, décida de surseoir à statuer du fait de la procédure pénale ouverte à l’encontre du premier requérant et convoqua en son cabinet le second requérant afin de compléter cette information.

Le 29 mars 1995, le premier requérant fit l'objet d'un jugement de curatelle par le juge des tutelles au tribunal d'instance du 16ème arrondissement de Paris. Le juge se référa à l'avis écrit émit par le procureur de la République en date du 14 février 1995 concluant à ce qu'il y avait lieu de placer le premier requérant sous curatelle. Le jugement indiquait notamment ce qui suit :

Vu le rapport d’expertise établi par le Dr L., médecin spécialiste inscrit sur la liste établie par Monsieur le Procureur de la république, en date du 16 septembre 1994,

Vu le certificat médical du Dr M., médecin traitant, en date du 16 septembre 1994,

Vu le procès-verbal d’audition de la personne à protéger en date du 1er février 1995,

Vu les procès-verbaux d’audition de Monsieur Vaudelle Alain et Madame N. en date du 1er février 1995

Vu l’avis écrit de Monsieur le Procureur de la République en date du 14 février 1995 concluant à dire qu’il y a lieu de placer Monsieur Vaudelle Marcel sous curatelle,

Attendu qu’il résulte du rapport du médecin expert et des renseignements recueillis qu’en raison de l’altération de ses facultés, Monsieur Marcel Vaudelle a besoin d’être représenté et assisté dans les actes de la vie civile ; qu’il y a lieu en conséquence de le placer sous le régime de la curatelle (...)

Le tribunal rappelle que le majeur protégé ne pourra, sans l’assistance de son curateur, faire aucun acte qui sous le régime de la tutelle des mineurs requerrait une autorisation du conseil de famille, notamment il ne pourra pas, sans l’assistance de son curateur, procéder à des partages, recevoir des capitaux ou en faire emploi, donner ou prendre des biens en locations, ester en justice, faire des donations (...)”

Avis du jugement portant ouverture de la curatelle fut transmis au Procureur de la République de Paris.

Le second requérant affirme avoir communiqué en sa qualité de curateur, par lettre recommandée adressée à la gendarmerie de son lieu de résidence, la décision du tribunal d'instance du 16ème arrondissement relative au placement sous curatelle.

Le second requérant affirme que lorsqu'il eut connaissance de la plainte déposée à l'encontre de son père, il s'informa auprès de la gendarmerie, afin d'obtenir des renseignements supplémentaires. Le second requérant prétend que l’on l’informa qu'aucune poursuite n'avait été engagée à l'encontre de son père, et que seule une demande d'expertise psychiatrique avait été requise.

Le 8 novembre 1995, le juge procéda à une nouvelle audition du second requérant concernant le changement de domicile de son père et les poursuites pénales engagées contre celui-ci. Au cours de cette audition, le juge des tutelles informa également le second requérant de sa seule qualité de curateur et de son obligation en conséquence de transmettre à son père son courrier. S’agissant de la procédure pénale, le second requérant affirma n’avoir pas de nouvelles depuis mars 1995.

Le 10 novembre 1995, compte tenu du changement de domicile du premier requérant, le juge des tutelles du tribunal d’instance du 16è arrondissement de Paris rendit une ordonnance de dessaisissement au profit du juge des tutelles de Loches.

Le 10 mai 1996, l’avocat du second requérant adressa une lettre au juge d'application des peines par laquelle il demanda à ce dernier de lui faire part des mesures à prendre en faveur du premier requérant dès lors qu'il était “insolite” qu'une personne sous curatelle soit condamnée sans avoir la possibilité de se faire assister à l'audience par (...) son curateur. L’avocat indiqua ce qui suit :

“ (...) Marcel Vaudelle a reçu personnellement les convocations qui lui ont été adressées tant par les greffes que par la gendarmerie, mais son fils Alain Vaudelle n’a jamais été informé de l’ensemble de ces correspondances alors qu’il avait indiqué à la gendarmerie compétente, que son père faisait l’objet d’une mesure de curatelle (...)”

Une expertise effectuée à la demande du juge des tutelles de Loches du 22 août 1996, à laquelle le premier requérant se rendit, conclut que les données de l’entretien « ne mettent pas en évidence de déficit intellectuel. Il n’y a pas d’altération majeure de la mémoire, des capacités d’attention et du raisonnement logique ».

Le 27 août 1996, le juge des tutelles entendit le premier requérant qui se plaignait de ce que son curateur lui prenait son argent sans lui en rendre compte. Il exprima également le souhait d’avoir un autre curateur.

Le 29 août 1996, le second requérant, entendu par le juge des tutelles, admit que les relations avec son père étaient perturbées et demanda à ce que son père soit placé sous tutelle.

3. Procédure en décharge de la mesure de curatelle concernant le second requérant

Le 25 septembre 1996, le juge du tribunal de grande instance de Loches prit une ordonnance par laquelle il constata l'existence d'un conflit entre le curateur et la personne mise sous curatelle. Par suite, il décida de décharger le second requérant de ses fonctions de curateur et désigna à sa place l'Association Tutelaire de la Région Centre-Ouest. Le second requérant déposa un recours contre la décision du juge des tutelles.

Le 27 septembre 1996, le Docteur J., psychiatre des Hôpitaux du centre hospitalier de Loches, établit un certificat en vue d'une transformation de la mesure de protection du premier requérant par lequel il confirma s'être entretenu avec lui le 2 août puis le 22 août 1996, et avoir constaté chez ce dernier, une altération partielle des facultés mentales ainsi “qu'une certaine tendance à ne pas réagir de façon adaptée et en particulier à ne pas prendre en compte ses propres intérêts”. A titre d'informations complémentaires transmises au juge des tutelles, le Docteur J. constata que “les réactions de Marcel Vaudelle et son mode de comportement y compris face au jugement et à la sanction pénale qu'il [avait] effectuée, [pouvaient] être en lien avec une forme d'inhibition de type névrotique”. Par suite, le docteur J. envisagea une transformation de la curatelle simple en curatelle.

Le 14 octobre 1996, le second requérant déposa une demande d'aide juridictionnelle. Il fut invité, par lettre du 15 novembre 1996, à se présenter à l'audience du 5 décembre 1996. Le 22 novembre 1996, le bureau de l'aide juridictionnelle lui accorda l’aide juridictionnelle et nomma Maître P. pour sa défense.

Par jugement du 9 janvier 1997, le tribunal de grande instance de Tours confirma la décision du juge des tutelles. Le second requérant était présent à l’audience et assisté de son avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle qui plaida en sa faveur.

Le 20 janvier 1997, le second requérant déposa une demande d'aide juridictionnelle afin de former un pourvoi en cassation. Sa demande fut rejetée pour défaut de moyen de cassation sérieux. Il déposa un recours.

Le second requérant se plaignit auprès du Bâtonnier de l'Ordre des Avocats du Barreau de Tours, du comportement de son avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle qui l’avait assisté devant le tribunal de grande instance de Tours. Il lui reprochait de ne l’avoir reçu que la veille de l’audience et de ne pas l’avoir correctement défendu devant le tribunal. Le Bâtonnier demanda à l’avocat des éclaircissements.

L’avocat lui répondit par écrit ce qui suit : il avait rencontré le requérant avant l’audience pendant un délai qu’il estimait suffisant après avoir pris connaissance du dossier au greffe ; les pièces utiles à l’affaire figurait dans le dossier du tribunal dont il avait pris connaissance ; il souligna avoir plaidé en faveur du second requérant avec les éléments du dossier.

B. Éléments du droit interne pertinent

Article 508 du Code civil

« Lorsqu'un majeur, pour l'une des causes prévues à l'article 490, sans être hors d'état d'agir lui-même, a besoin d'être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile, il peut être placé sous un régime de curatelle. »

Article 490 du Code civil

« Lorsque les facultés mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l'âge, il est pourvu aux intérêts de la personne par l'un des régimes de protection prévus aux chapitres suivants (...) »

Article 510-2 du Code civil

« Toute signification faite au majeur en curatelle doit l’être aussi à son curateur, à peine de nullité »

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que celle-ci a cassé un arrêt dont il résultait ni des mentions, ni des pièces de procédure, ni d’aucun autre élément de preuve que l’acte d’appel du jugement de divorce d’une personne en curatelle avait été porté à la connaissance de son curateur (Civ. 1re, 17 déc. 1991, Dalloz 1992, 373). Par contre, elle a déclaré recevable le pourvoi notifié à une personne en curatelle qui a ensuite été signifié au curateur (Civ. 1re, 6 janv. 1988, Bull. civ. I, n° 3)

Article 511 du Code civil

« En ouvrant la curatelle ou dans un jugement postérieur, le juge, sur l’avis du médecin traitant, peut énumérer certains actes que la personne en curatelle aura la capacité de faire seule par dérogation à l’article 510 ou, à l’inverse, ajouter d’autres actes à ceux pour lesquels cet article exige l’assistance du curateur. »

GRIEFS

Quant à la procédure pénale dirigée contre le premier requérant

Les requérants se plaignent que le premier requérant n'a pu être assisté par son curateur devant le tribunal correctionnel, alors que selon eux, il était incapable, selon le jugement de curatelle, de se défendre seul. Ils se plaignent de ne pas avoir pu être représenté devant le juge pénal. Ils se plaignent de ce que le curateur ne fut pas informé de la procédure pénale en cours à l'égard du premier requérant, ce qui a empêché ce dernier d'assurer correctement ses droits de la défense et qu'il n'a pu être assisté par son curateur, alors qu’il n'aurait pas été à même de comprendre la gravité des faits qui lui étaient reprochés, ainsi que l'ont attesté plusieurs expertises. Ainsi, ils se plaignent que bien que le premier requérant avait besoin d'un tiers pour l'assister, cela n'a pas pu avoir lieu dans la procédure pénale. Ils soulignent que le second requérant n'a pas pu interjeter appel du jugement de condamnation.

Les requérants allèguent la violation de l'article 6 et notamment de son paragraphe 3 a) de la Convention.

Quant à la procédure de décharge du second requérant de la mesure de curatelle

Le second requérant estime qu'il n'a pas eu la possibilité de disposer du temps nécessaire pour préparer sa défense. Il précise n'avoir eu connaissance du bénéfice de l'aide juridictionnelle que la veille de l'audience et qu'il n'a rencontré son avocat que trente minutes avant celle-ci en violation de l'article 6 § 3 b) de la Convention. Il se plaint de ce qu'il n'a pas eu la possibilité d'obtenir la convocation des témoins à décharge et par suite, de faire valoir ses arguments par un contradictoire. Il allègue la violation de l'article 6 § 3 d) de la Convention.

EN DROIT

Les requérants se plaignent de la violation de l’article 6 § 1 qui prévoit notamment :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Ils invoquent également l’article 6 § 3 a), b) et d) qui prévoient que :

« tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; (...) »

Sur les griefs tirés de la procédure pénale dirigée contre le premier requérant

Les requérants se plaignent de l’absence d’assistance du premier requérant dans cette procédure : placé sous curatelle, il n’aurait pas été en mesure d’assurer sa défense et d’exercer les voies de recours qui lui étaient ouvertes.

Le Gouvernement défendeur rappelle que le premier requérant était placé sous le régime de la curatelle simple, qui laisse à celui qui en est soumis sa capacité légale, hors les actes expressément visés par la loi. En droit interne, souligne le Gouvernement, la curatelle est un régime d’assistance qui vise les majeurs, qui sans être hors d’état d’agir eux-mêmes, ont seulement besoin d’être conseillés ou contrôlés dans les actes de la vie civile ; en pratique l’assistance se réalise par le consentement du curateur à l’acte conclu par le curatélaire.

Le Gouvernement affirme que les mesures applicables en matière civile ne sont pas transposables en matière pénale et que l’exercice de l’action publique contre un majeur sous curatelle n’est pas subordonnée à la mise en cause ou à une quelconque notification à son curateur. Il en va ainsi même de l’action civile jointe à l’action pénale, comme en l’espèce, puisque le premier requérant fut condamné à verser des dommages-intérêts aux mineurs en cause.

Le Gouvernement excipe à titre principal de l’absence de qualité de victime des requérants.

En ce qui concerne le second requérant, il considère que celui-ci a été informé de l’existence d’une procédure ouverte contre son père, sept mois avant l’audience correctionnelle au cours de laquelle la condamnation fut prononcée : le juge des tutelles avait en effet décidé de surseoir à statuer sur la mise en curatelle du premier requérant du fait même de l’existence de cette procédure, et convoqué le second requérant pour obtenir des renseignements complémentaires. De même, le 8 novembre 1995, lors d’une nouvelle audition par le juge des tutelles, le second requérant avait été informé de la poursuite de cette procédure. Pour autant, il ne serait intervenu que cinq mois plus tard. Le Gouvernement souligne que si, le 8 novembre 1995, le second requérant s’était soucié de la situation de son père, il aurait pu éventuellement lui conseiller de faire appel du jugement du 19 octobre 1995.

Le Gouvernement relève donc que le second requérant ne se serait pas tenu régulièrement informé de la situation de son père et l’estime par conséquent mal fondé à se prétendre victime de l’action pénale. De plus, il ne bénéficie plus actuellement de sa qualité de curateur du fait des détournements d’argent qu’il a commis au préjudice de son père, et est donc mal venu à se plaindre de l’équité de la procédure pénale dirigée contre son père.

Pour ce qui est de la qualité de victime du premier requérant, le Gouvernement indique que le régime de curatelle instaurée à son égard visait essentiellement à ce que son fils lui apporte une aide dans sa gestion des affaires patrimoniales et plus précisément dans le règlement de ses diverses factures. Le courrier destiné au premier requérant et relatif à la procédure pénale dirigée contre lui devait être communiqué à sa personne. Il est donc normal que les convocations de l’expert et sa citation à comparaître à l’audience devant le tribunal lui soient directement parvenues. Cette situation fut d’ailleurs rappelée au second requérant par le juge des tutelles lors de son audition du 8 novembre 1995 quand le juge lui indiqua qu’il devait, en qualité de curateur, transmettre à son père le courrier qui lui était destiné.

Le Gouvernement fait remarquer que la volonté clairement exprimée du premier requérant était de tenir son fils dans l’ignorance de « ses affaires personnelles », et notamment de la procédure pénale diligentée contre lui.

De plus, il expose que les rapports d’expertise concordent à dire que le premier requérant ne souffrait d’aucun trouble psychopathologique de sorte qu’une mesure de tutelle ne s’imposait pas. Il souligne les éléments suivants : l’expertise effectuée à la demande du juge des tutelles de Loches du 22 août 1996, à laquelle le premier requérant s’est rendue, conclut que les données de l’entretien « ne mettent pas en évidence de déficit intellectuel. Il n’y a pas d’altération majeure de la mémoire, des capacités d’attention et du raisonnement logique » ; le premier requérant s’était rendu à la gendarmerie en février 1995, et à l’expertise effectuée au mois d’août 1996, alors qu’il ne fournit aucune explication en ce qui concerne sa non-réponse aux deux convocations de l’expert de 1995 ainsi que son absence à l’audience du tribunal correctionnel ; par contre il se rendit à l’audience du tribunal de grande instance de Tours du 9 janvier 1997.

De son côté, la curatelle imposait une simple assistance, et non une représentation, de sorte que l’information du fils du requérant n’avait donc pas lieu d’être.

Pour les mêmes raisons, le Gouvernement expose, à titre subsidiaire, que le grief soulevé par le second requérant serait mal fondé.

En ce qui concerne les griefs du premier requérant, le Gouvernement estime, au vu des expertises, qu’il était apte à comprendre le déroulement et les enjeux de la procédure engagée contre lui. On ne saurait donc déduire de son placement sous curatelle son inaptitude à se défendre correctement et à faire valoir ses intérêts devant le tribunal correctionnel s’il l’avait estimé nécessaire. En outre, ayant de lui-même sollicité un changement de curateur, il aurait également été apte à se défendre devant un tribunal, et à interjeter appel d’un jugement de condamnation rendu contre lui.

Enfin, le Gouvernement relève que le premier requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes puisqu’il n’a pas relevé appel de ce jugement : la condition d’épuisement n’aurait pas été respectée dans la mesure où les juridictions internes n’ont pas eu la possibilité de mettre fin elles-mêmes à la violation alléguée.

Les requérants combattent cette thèse.

Sur la qualité de victime, les requérants rétorquent qu’en raison du handicap du premier requérant, souligné par les médecins, la volonté de celui-ci n’était pas normalement éclairée, en ce qu’il ne savait notamment pas adapter son comportement dans le sens de ses intérêts. On ne pourrait ainsi lui dénier la qualité de victime en se fondant sur sa seule volonté, par hypothèse viciée. Il est donc paradoxal que toute la défense du Gouvernement repose sur la volonté qu’aurait manifestée le premier requérant.

Sur le bien-fondé des griefs, les requérants s’opposent à la thèse du Gouvernement selon laquelle le premier requérant était apte à comprendre les actes de la procédure pénale ainsi que son enjeu.

Le placement sous curatelle du premier requérant se fit, sur l’avis conforme du procureur de la République, par décision du 9 mars 1995 qui relevait, en se fondant sur un avis médical et sur l’audition de l’intéressé qu’en « raison de ses facultés mentales, Monsieur Vaudelle Marcel a besoin d’être représenté et assisté dans les actes de la vie civile » et précisait qu’il ne pouvait ester en justice sans l’assistance de son curateur. Aussi, les requérants se demandent comment le premier requérant, médicalement et judiciairement jugé inapte à comprendre seul les actes et les enjeux d’une procédure civile, aurait retrouvé sa pleine capacité pour une procédure pénale dont les enjeux sont en principe plus essentiels. Si cette assistance était nécessaire pour un procès civil, cela aurait dû être le cas a fortiori pour un procès pénal dirigé contre lui et concernant ses droits fondamentaux. Ils objectent ainsi que, jugé inapte à intervenir dans un procès civil, il ne pouvait qu’en aller de même concernant une procédure pénale.

Les requérants en concluent que Marcel Vaudelle était dans l’incapacité physique et mentale de défendre ses intérêts. La procédure intentée contre lui sans le bénéfice d’aucune assistance s’avérerait manifestement inéquitable : tout d’abord du fait d’une inégalité des armes due à l’infériorité physique et mentale du requérant, et parce que le défaut d’assistance n’aurait pas permis au requérant d’être « informé dans une langue qu’il comprend ». Ainsi la diminution de ses facultés mentales l’aurait empêché à la fois de prendre une connaissance effective de l’accusation portée contre lui, et d’assurer efficacement sa défense.

De plus, les requérants relèvent que les autorités judiciaires chargées des poursuites pénales contre le premier requérant étaient informées de l’incapacité de celui-ci.

Il ressort d’un procès-verbal de gendarmerie du 13 mars 1995 que les autorités judiciaires ont été informées de la désignation d’Alain Vaudelle comme mandataire spécial de son père dans l’attente de la décision de placement sous curatelle, ainsi que l’indique le Gouvernement dans ses observations. De surcroît, le certificat médical du 27 septembre 1996 ferait apparaître l’inadaptation des réactions de Marcel Vaudelle qui ne prend « pas en compte ses propres intérêts ». Pourtant, les autorités françaises se sont bornées à adresser au premier requérant des convocations sans accomplir la moindre démarche ni se renseigner auprès du juge des tutelles, ni pour le faire bénéficier d’une assistance particulière.

Le Gouvernement serait ainsi mal fondé à reprocher à Marcel comme à
Alain Vaudelle de n’avoir pas fait les démarches nécessaires pour que le curateur soit informé des suites de la procédure pénale. L’iniquité de cette procédure serait par conséquent manifeste.

La Cour rappelle que selon la jurisprudence, la notion de « victime » désigne la personne directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux. En l’espèce, la violation alléguée vise le seul fait que les autorités judiciaires n’auraient pas donné au premier requérant les moyens nécessaires pour assurer ses droits de la défense au sens de l’article 6 de la Convention, puisqu’il été sous curatelle. La Cour en déduit que la personne directement concernée au sens de la jurisprudence précitée, est le premier requérant, partie à la procédure pénale dans le cadre de laquelle il invoque l’article 6, et qui peut donc se prétendre « victime » d’une violation de ses droits de la défense dans le cadre de cette procédure.

Le second requérant invoque, dans le cadre de ce grief, le droit qu’il devait avoir d’être également informé des actes de la procédure pénale notifiés à son père, en sa qualité de curateur de ce dernier. De l’avis de la Cour toutefois, il s’agit en réalité d’un argument tenant au bien-fondé du grief puisqu’il concerne l’efficacité de l’exercice des droits de la défense par son père. Elle relève dans ce sens que les requérants n’ont pas répondu, dans leurs observations en réponse à celles du Gouvernement, à l’argument du Gouvernement sur l’exception de défaut de qualité de « victime » du second requérant, mais ont abordé ce point dans le cadre du bien-fondé du grief. Il en résulte que le second requérant non partie à la procédure pénale critiquée, mais seulement curateur de son père accusé dans le cadre de cette procédure pénale, ne saurait se prétendre lui-même « victime » au sens de l’article 34 de la Convention de la violation alléguée de l’article 6 tel que formulée dans le cadre du présent grief.

Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement est partiellement recevable s’agissant du second requérant mais irrecevable pour ce qui est du premier requérant.

La Cour relève ensuite que pour autant que le Gouvernement invoque le non-épuisement des voies de recours internes, cette question est étroitement liée à la question du respect effectif des droits de la défense. En effet, le grief tel qu’il est formulé met en cause la capacité du premier requérant à assurer ses droits de la défense et notamment à épuiser les voies de recours internes en faisant appel du jugement prononcé contre lui. La question de l’épuisement des voies de recours internes se trouve donc étroitement liée à l’examen du bien-fondé de la requête. La Cour décide donc de la joindre à l'examen du fond de l'affaire.

Quant au bien-fondé du grief, après avoir procédé un examen préliminaire des faits et des arguments des parties, la Cour considère que ce grief pose des questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de la procédure et nécessitent un examen au fond de l’affaire. Dès lors, il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. En outre, il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

Sur le grief tiré de la procédure de placement sous curatelle

Le second requérant estime qu'il n'a pas eu la possibilité de disposer du temps nécessaire pour préparer sa défense. Il précise n'avoir eu connaissance du bénéfice de l'aide juridictionnelle que la veille de l'audience et qu'il n'a rencontré son avocat que trente minutes avant celle-ci. Il se plaint, sans plus de précisions, de ce qu'il n'a pas eu la possibilité d'obtenir la convocation des témoins à décharge et, par suite, de faire valoir ses arguments.

Il allègue la violation de l'article 6 § 3 b) et d) de la Convention précités. S’agissant d’une procédure de nature civile, la Cour a examiné le grief sous l’angle du paragraphe 1er de l’article 6 précité.

Elle rappelle que l’article 6 ne précise pas les conditions d’exercice des droits de la défense ; « il laisse ainsi aux Etats contractants le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir ; la tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie qu’ils ont emprunté cadre avec les exigences du procès équitable » (arrêt Imbrioscia c. Suisse du 24 novembre 1993, série A n° 275, § 38).

En l’espèce, la Cour relève que le second requérant avait obtenu l’aide juridictionnelle pour se faire assister devant le tribunal et qu’un avocat avait été désigné à ce titre pour l’assister devant le tribunal. Il ressort du dossier, et des explications fournies au Bâtonnier par l’avocat, que l’avocat avait pu prendre connaissance en temps utile avant l’audience, tant du dossier du requérant que des pièces utiles à sa plaidoirie, et s’entretenir de manière suffisante avec le second requérant avant l’audience. L’avocat plaida ensuite à l’audience, son client étant également présent, ainsi que cela ressort du jugement. La Cour ne voit pas donc en quoi le second requérant n’aurait pas bénéficié du droit à un procès équitable en l’espèce. Cette partie du grief est donc manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Pour autant que le second requérant se plaint de ne pas avoir pu convoquer de témoins à l’audience, la Cour note qu’il ne ressort pas du dossier qu’il aurait formulé une demande en ce sens auprès de juge compétent alors même qu’il était assisté par un avocat. Il n’a donc pas épuisé les voies de recours internes sur ce point au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que cette partie du grief doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du premier requérant concernant le respect de ses droits de la défense dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui ;

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE pour le surplus.

S. Dollé L. Loucaides

Greffière Président