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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
15.6.2000
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 34049/96
présentée par Ryszard ZWIERZYŃSKI
contre la Pologne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 15 juin 2000 en une chambre composée de

Mme E. Palm, présidente,
Mme W. Thomassen,
M. J. Makarczyk,
M. R. Türmen,
M. C. Bîrsan,
M. J. Casadevall,
M. R. Maruste, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,

assisté de M. K. Ryngielewicz, référendaire.[Note1]

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 15 juillet 1996 et enregistrée le 5 décembre 1996,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur le 31 juillet 1997 et celles présentées en réponse par le requérant le 2 octobre 1997,

Vu les observations présentées oralement par les parties à l’audience du 23 mai 2000,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

Le requérant est un ressortissant polonais, né en 1949 et résidant à Olsztyn.

A. Circonstances particulières de l’affaire

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

En 1937, le père du requérant acquit de S. une propriété sise à Łomża.

En 1950, l’Office régional (Urząd Wojewódzki) de Białystok adressa une demande à la section du livre foncier du Sąd Grodzki de Łomża d’insérer un avertissement précisant qu’une procédure d’expropriation a été engagée sur la propriété dont B. Zwierzyński, le père du requérant, était désigné comme propriétaire. Le 26 juin 1950, Sąd Grodzki décida de déposer la demande au livre foncier et d’en informer les intéressés.

Le 24 juillet 1952, le Directoire Régional du Conseil National (Prezydium Wojewódzkiej Rady Narodowej) de Białystok, en application du décret du 7 avril 1948, expropria pour cause d'utilité publique la propriété du père du requérant. Une indemnité lui fut allouée par décision du 10 juillet 1961, confirmée le 10 février 1962. Le montant de l'indemnité fut déposé au dépôt national, sans que l'intéressé ni ses héritiers en prennent possession.

Le 2 décembre 1980, le ministre de l'Economie (Minister Gospodarki) rejeta la requête formée par le père du requérant en vue de l'annulation de la décision d'expropriation.

Le 10 août 1990, après le décès du père, la mère du requérant introduisit une requête en annulation de la décision du ministre du 2 décembre 1980. Le 18 juillet 1991, le ministre de l'Economie annula toute la procédure antérieure depuis la décision d'expropriation de 1952, pour erreur manifeste de droit.

En effet, en 1945, le propriétaire avait conclu un contrat de bail avec l'administration de l'Etat. Dès lors, le ministre considéra qu'on ne pouvait valablement affirmer que le terrain et la construction avaient été unilatéralement occupés par les autorités administratives. En conséquence, la situation ne rentrait pas dans le champ d'application du décret sur l'expropriation de 1948.

Le bureau régional de police (Komenda Wojewódzka Policji) de Łomża, qui occupe actuellement les lieux, fit appel de la décision du ministre auprès de la cour administrative suprême (Naczelny Sąd Administracyjny) de Varsovie.

Le 19 décembre 1992, la cour administrative annula la décision du ministre et lui renvoya l'affaire pour réexamen.

Le ministre constata de nouveau la nullité de la procédure depuis 1952, par décision du 24 juillet 1992, confirmée le 23 novembre 1993 par la cour administrative suprême.

Le 21 juin 1994, le tribunal de district de Olsztyn partagea la succession des parents du requérant en deux parts égales entre lui et sa soeur.

Le 12 septembre 1994, le tribunal de district, section du livre foncier (Sąd Rejonowy Wydział Ksiąg Wieczystych) inscrivit la propriété au livre foncier, en mentionnant le requérant et sa soeur comme propriétaires. Depuis lors, la propriété ne leur a jamais été restituée. Des négociations ont eu lieu pour la vente du bien avec le bureau régional de la police, occupant des lieux. Toutefois, elles échouèrent. De surcroît, l'occupant des lieux ne s'acquitta jamais du loyer fixé par les propriétaires.

Depuis 1995, le requérant s’acquitte de la taxe foncière.

Le 28 septembre 1992, le Trésor public (Skarb Państwa), assisté du directeur de l'Office de district (Kierownik Urzędu Rejonowego) de Łomża, en se substituant au bureau régional de police, occupant des lieux, engagea une action devant les tribunaux civils, tendant à acquérir le bien par voie d’usucapion (stwierdzenie nabycia własności nieruchomosci przez zasiedzenie). Le 25 novembre 1992, le tribunal de district de Łomża suspendit la procédure à la demande du directeur de l’Office de district de Łomża. Le tribunal accueillit l’argument selon lequel l’issue de la procédure administrative tendant à annuler la décision d’expropriation de 1952, qui était pendante devant la cour administrative suprême, était décisive pour la présente action. Le 18 janvier 1995, à la demande du directeur de l’Office de district de Łomża, le tribunal leva la suspension.

Le 6 octobre 1995, le tribunal de district accueillit la demande, au motif que l'autorité publique avait été occupante de bonne foi du bien pendant la période requise par l'article 172 du code civil (vingt ans). Cette décision fut confirmée le 1er février 1996 par le tribunal régional (Sąd Wojewódzki) de Łomża.

Le 3 octobre 1996, le ministre de la Justice introduisit, au nom du requérant, un recours en cassation auprès de la Cour suprême (Sąd Najwyższy) : il faisait valoir qu'à la lumière de la jurisprudence de la Cour suprême il ne pouvait y avoir possession de bonne foi si la décision d'expropriation était annulée. Le ministre en concluait que le requérant était demeuré rétroactivement propriétaire, pendant toute la période d'occupation des lieux par l'Etat, suite à la décision de 1993 annulant l'expropriation de 1952.

Le 29 octobre 1996, la Cour suprême annula les décisions rendues, et renvoya l'affaire pour réexamen au tribunal de district. La Cour rappela que la question semblable lui a été soumise à plusieurs reprises. Selon une jurisprudence établie, si le droit pour le Trésor public de disposer d’un bien « comme un propriétaire » est fondé sur une décision administrative, laquelle a ensuite été annulée pour erreur manifeste de droit avec effet ex tunc, la période d’occupation ne peut être prise en compte pour calculer la durée de la possession au sens de l’article 172 du code civil qui peut conduire à l’acquisition du bien par voie d’usucapion.

La juridiction de renvoi, le tribunal de district de Łomża, fut de nouveau saisie de l’affaire. Le 11 février 1997, le directeur de l’Office de district, représentant de l’Etat, demanda la suspension de la procédure. Il motiva sa requête par le fait que ses organes ont adressé au ministre de la Justice une demande d’introduire un pourvoi en cassation contre la décision du tribunal de district de Olsztyn du 21 juin 1994 ayant procédé au partage de la succession des parents du requérant entre lui et sa soeur.

Le 24 février 1997, le tribunal de district de Łomża, section du livre foncier, informa le requérant que le Trésor public a été inscrit en tant que propriétaire du bien. Il précisa toutefois qu’un avertissement fut inséré d’office mentionnant la procédure tendant à acquérir le bien par voie d’usucapion, ceci afin de protéger les prétentions du requérant et de sa soeur.

Le 2 avril 1997, le ministre de la Justice introduisit le pourvoi devant la Cour suprême et le 24 juin 1997 le tribunal de district de Łomża suspendit la procédure.

Le 9 septembre 1997, la Cour suprême accueillit le pourvoi en cassation, infirma la décision du 21 juin 1994 et renvoya l’affaire au tribunal de district. La Cour rappela qu’il convenait dans un premier temps de définir si les parents des héritiers étaient effectivement propriétaires des biens en question. A l’époque de l’acquisition du bien par les parents du requérant, la loi exigeait, sous peine de nullité, l’établissement d’un acte notarié. Au cas ou un tel acte n’existerait pas et la période requise pour acquérir le bien par voie d’usucapion ne serait pas satisfaite, la masse successorale ne comporterait pas le bien mais la possession (posiadanie).

La Cour releva également que le pourvoi en cassation fut accueilli après l’écoulement du délai fixé par l’article 421 § 2 du code de la procédure civile (soit plus de six mois à compter de la décision litigieuse), mais estima que les questions concernant le droit de propriété exigeaient une protection particulière. L’établissement du droit de propriété sans fondement contreviendrait aux intérêts de la République de Pologne, dans la mesure où ceci porterait atteinte à un droit incombant en réalité à une autre personne.

Le 8 juillet 1998, le tribunal de district de Olsztyn, juridiction de renvoi, procéda au partage de la succession des parents du requérant en deux parts égales entre lui et sa soeur. La masse successorale comprenait le bien litigieux. La décision rendue était identique quant au fond avec celle rendue le 21 juin 1994.

Le 23 septembre 1998, le tribunal de district de Łomża leva la suspension de l’action tendant à acquérir le bien par voie d’usucapion ordonnée le 24 juin 1997.

Le 17 septembre 1998, le requérant adressa au tribunal de district de Łomża, section du livre foncier, une demande de rectifier l’inscription en le désignant en tant que propriétaire. Il motiva sa demande par le fait que le 8 juillet 1998, le tribunal de district de Olsztyn l’a désigné avec sa soeur comme successeurs de leurs parents. Le 6 novembre 1998, le tribunal de district, section du livre foncier, demanda au requérant, sous peine de rejeter la demande, de présenter une décision prouvant que l’inscription au livre n’était pas conforme avec la situation juridique du bien. Le requérant fit appel, rejeté le 14 janvier 1999 par le tribunal régional de Łomża. Le 3 février 1999, le tribunal de district, section du livre foncier rejeta la demande du requérant.

En décembre 1998, le requérant fut convoqué devant le tribunal de district de Olsztyn, tribunal ayant statué sur la question de partage de la succession. Il apprit que les héritiers de S., tiers duquel le père du requérant avait acquit le bien litigieux en 1937, demandaient la réouverture de la procédure de partage de l’héritage. Ils précisaient avoir pris connaissance de l’issue de l’action de partage de la succession de la part du conseiller juridique du bureau régional de police et formulaient des droits sur le bien litigieux. A ce moment, le tribunal de district chargé de la demande du Trésor public d’acquérir le bien par voie d’usucapion suspendit, le 14 décembre 1998, l’examen de l’affaire jusqu’à l’issue de l’action en réouverture de la procédure en partage de l’héritage.

Après des audiences du 28 janvier, 9 mars, 26 avril et 13 mai 1999, le tribunal de district de Olsztyn rejeta leur demande, décision confirmée en appel le 27 octobre 1999 par le tribunal régional de Olsztyn. Le 17 décembre 1999, les héritiers de S. introduisirent un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. La procédure est pendante à ce jour devant la Cour suprême.

B. Droit et pratiques internes pertinents

1. L’article 172 du code civil précise :

« § 1. Celui qui détient le bien alors qu’il n’en est pas le propriétaire, l’acquiert s’il le détient de manière continue et autonome depuis vingt ans, sauf s’il est entré en possession de mauvaise foi ».

§ 2. Après trente ans, le détenteur du bien en acquiert la propriété, même s’il est entré en possession de mauvaise foi ».

2. Selon une jurisprudence établie de la Cour suprême, si le droit pour le Trésor public de disposer d’un bien « comme un propriétaire » est fondé sur une décision administrative, laquelle a ensuite été annulée pour erreur manifeste de droit avec effet ex tunc, la période d’occupation ne peut être prise en compte pour calculer la durée de la possession au sens de l’article 172 du code civil qui peut conduire à l’acquisition du bien par voie d’usucapion (voir notamment OSP 1993/7-8/153 ; OSNCP 1994/3/49).

3. L’article 156 du code du contentieux administratif confère à un organe de l’administration de l’Etat le pouvoir d’annuler une décision administrative sous certaines conditions. L’article 160 du même code permet, à la personne qui a subi un dommage du fait d’une décision administrative rendu en violation de l’article 156, d’engager une action en dommages et intérêts pour préjudice réel subi contre, en principe, l’organe administratif qui a rendu une telle décision. La procédure en dommages et intérêts est régie par le code civil.

GRIEFS

1. Le requérant invoque l'article 6 par. 1 de la Convention, estimant que sa cause n'a pas été entendue dans un délai raisonnable.

2. Il allègue également la violation de l'article 1 du Protocole N1 à la Convention, dans la mesure où il a été porté atteinte à son droit de propriété à la suite d'une procédure inéquitable.

EN DROIT

Le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure engagée par le Trésor public et tendant à acquérir la propriété par voie d’usucapion et invoque à ce titre l’article 6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

Le Gouvernement défendeur soulève une exception d’irrecevabilité tirée de l’incompétence ratione temporis de la Cour à connaître d’une partie de la requête.

La Cour constate que la Pologne a reconnu la compétence de la Commission européenne des Droits de l’Homme à être saisie de requêtes individuelles émanant de « toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers, qui se prétend victime d'une violation de la Convention en raison de tout acte, de toute décision et de tout fait survenus après le 30 avril 1993 ». Selon l’article 6 du Protocole n° 11 à la Convention, cette limitation détermine également la juridiction de la Cour. Dès lors, la Cour n’est pas compétente pour examiner les griefs relatifs aux faits et décisions antérieurs au 1er mai 1993. La Cour constate toutefois que dans les cas où elle est incompétente ratione temporis à connaître d’une partie de la procédure, elle examine l’état d’avancement de celle-ci au 30 avril 1993 (voir Proszak c. Pologne, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, n° 59, p. 2772, § 32). Il s’ensuit que la Cour n’est compétente que quant aux faits survenus après le 30 avril 1993, eu égard au stade auquel se trouvait la procédure à cette date.

Quant au fond le gouvernement défendeur considère que la requête est manifestement mal fondée. Il définit d’emblée la période à prendre en compte pour le calcul de la durée de la procédure. Celle ci a débuté le 28 septembre 1992, avec l’introduction de la requête par le directeur de l’Office de district de Łomża et est toujours pendante à ce jour. Sa durée est selon le Gouvernement « d’environ sept ans ».

Le Gouvernement rappelle que la procédure a été suspendue à trois reprises. La durée de ces suspensions est au jour d’aujourd’hui d’environ cinq ans et six mois. Ceci l’amène à préciser que les débats quant au fond n’ont duré qu’environ deux ans. Pendant cette période l’affaire a été examinée par les tribunaux de deux instances et la Cour suprême.

Le Gouvernement procède ensuite à l’analyse des critères de la jurisprudence de la Cour en matière de la durée de la procédure, et ceci pour chaque étape de l’affaire séparément.

1. En ce qui concerne la procédure devant le tribunal de district de Łomża, le Gouvernement précise qu’elle a débuté le 28 septembre 1992 et s’est achevée le 6 octobre 1995 avec la décision accueillant la demande du Trésor public d’acquérir le bien par voie d’usucapion. Le laps de temps entre l’introduction de la requête et l’issue pourrait, selon le Gouvernement, paraître considérable, mais la durée s’explique essentiellement par une suspension pendant deux ans et dix mois en attendant la décision de la cour administrative suprême statuant sur l’annulation de la décision d’expropriation.

La suspension a été levée le 18 janvier 1995 à la demande du directeur de l’office de district. Le Gouvernement souligne à ce stade qu’en droit polonais, les parties à une procédure civile ont l’obligation d’apporter toute la diligence nécessaire à son bon déroulement. Tel n’a pas été selon lui le cas en l’espèce. En effet, le Gouvernement relève qu’aucun des participants n’avait entrepris des démarches tendant à lever la suspension immédiatement après que la cour administrative suprême ait rendu sa décision, soit dès le 23 novembre 1993.

Le Gouvernement poursuit en rappelant qu’entre le mois de février et août 1995, le tribunal a ajourné quatre audiences uniquement à la demande du requérant. Ensuite, le 8 mars 1995, le requérant a demandé la révocation du tribunal de district de la présente affaire. L’examen de sa demande a, selon le Gouvernement, contribué à retarder les débats quant au fond de deux mois.

2. Quant à la procédure devant le tribunal régional de Łomża, le Gouvernement souligne la rapidité de l’examen de l’appel du requérant qui a été introduit le 20 novembre 1995 et la décision a été rendue dès le 1er février 1996.

3. En ce qui concerne l’examen du pourvoi en cassation introduit le 3 octobre 1996, dans l’intérêt du requérant, devant la Cour suprême, par le ministre de la Justice, le Gouvernement insiste sur la rapidité de son examen. Il précise que la décision de la Cour a été rendue le 29 octobre 1996, soit moins d’un mois après l’introduction du pourvoi par le ministre.

4. Le Gouvernement conclut en analysant le déroulement de la procédure devant le tribunal de district de Łomża, juridiction de renvoi après l’arrêt de cassation. Il ne conteste pas que les deux suspensions de l’examen de l’affaire ordonnées par le tribunal de district de Łomża les 24 juin 1997 et 14 décembre 1998 ont retardé les débats quant au fond d’environ deux ans et huit mois. Le Gouvernement précise toutefois que les causes des suspensions constituaient des facteurs objectifs lesquels ne saurait être imputés aux autorités judiciaires.

Le requérant combat les thèses avancées par le Gouvernement. Il souligne que plusieurs audiences devant les tribunaux de Łomża ayant statué sur l’affaire n’ont pas pu avoir lieu du fait de l’absence du représentant du Trésor public, alors que lui faisait le déplacement depuis son domicile situé à environ deux cents kilomètres de Łomża

La Cour estime qu’à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable » et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, le grief relatif à la durée de la procédure doit faire l’objet d’un examen au fond.

2. Le requérant cite l’article 1 du Protocole N° 1 à la Convention qui se lit comme suit :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi (...). »

Le Gouvernement défendeur soulève une exception d’irrecevabilité tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes.

La Cour relève que dans ses observations écrites sur la recevabilité de la requête, le Gouvernement soutenait que la requête était prématurée du fait que la procédure tendant à acquérir le bien par voie d’usucapion était toujours pendante devant les tribunaux polonais. Ceci entraînait des doutes quant à la situation juridique du bien et remettait en cause la qualité du requérant en tant que propriétaire.

Lors de l’audience, le Gouvernement a précisé qu’après une analyse plus détaillée de l’affaire sa conviction qu’en l’espèce il n’y avait pas de violation des droits du requérant a été renforcée. Il précise également que la jurisprudence de la Cour suprême sur le mode de calcul de la durée de la possession pour des actions engagées par le Trésor public tendant à acquérir le bien par voie d’usucapion est discutable.

Toutefois, il a également assuré la Cour de sa disponibilité pour engager des pourparlers avec le requérant et précisé que des efforts conséquents allaient être entrepris afin de trouver une issue au litige.

Dans un premier temps, selon le Gouvernement, le requérant n’a pas exécuté la décision du 6 novembre 1998 du tribunal de district de Łomża, section du livre foncier, par laquelle le juge lui avait ordonné de présenter une décision prouvant que l’inscription au livre n’était pas conforme avec la situation juridique du bien.

Le Gouvernement estime également que le requérant avait la possibilité, en vertu de l’article 160 du code du contentieux administratif, d’engager une action en dommages et intérêts pour préjudice réel subi du fait d’une décision administrative qui a ensuite été annulée. Selon le Gouvernement l’indemnité ainsi perçue serait plus importante que la valeur réelle de l’immeuble, dans la mesure où l’actuel occupant des lieux aurait engagé des investissements importants pour l’entretien et la modernisation du bien.

Le requérant combat les thèses avancées par le Gouvernement.

La Cour rappelle que l'épuisement des voies de recours internes n'implique l'utilisation des voies de droit que pour autant qu'elles sont efficaces ou suffisantes, c'est-à-dire susceptibles de remédier à la situation en cause (voir n° 17419/90, déc. 8.3.1994, D.R. 76, p. 26). En outre, c'est à l'Etat qui excipe du non-épuisement des voies de recours internes qu'il appartient d'établir l'existence de recours efficaces et suffisants (voir n° 23413/94, déc. 28.11.1995, D.R. 83, p. 31).

En ce qui concerne la présente requête, la Cour observe d’emblée que la Pologne a ratifié le Protocole N° 1 le 10 octobre 1994. Dès lors, elle n’est compétente que pour examiner les faits survenus après cette date. La Cour constate toutefois que dans les cas où elle est incompétente ratione temporis à connaître d’une partie de la procédure, elle ne saurait faire abstraction de la situation du bien avant cette date. Il s’ensuit, qu’au titre de l’article 1 du Protocole N°1 à la Convention, la Cour n’est compétente que quant aux faits survenus après le 10 octobre 1994, eu égard au stade auquel se trouvait la procédure à cette date.

En ce qui concerne l’argument du Gouvernement selon lequel la requête était prématurée du fait que l’action tendant à acquérir le bien par voie d’usucapion était toujours pendante devant les tribunaux polonais, ce qui entraînait des doutes sérieux quant à la qualité de propriétaire du requérant, la Cour considère que ceci relève du fond de l’affaire et ne nécessite pas d’examen à ce stade de la procédure.

Quant à l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant n’aurait pas épuisé les voies de recours internes en omettant d’exécuter la décision du tribunal de district de Łomża du 6 novembre 1998, la Cour constate dans un premier temps que le requérant avait été inscrit au livre foncier à la suite de la décision du 21 juin 1994 partageant l’héritage de ses parents. La Cour relève ensuite qu’à la demande de l’Office de district, l’inscription au livre a été assortie d’un avertissement faisant état d’une procédure intentée par le Trésor public et tendant à rectifier l’inscription, afin qu’elle reflète la réalité de la situation juridique du bien. La Cour constate enfin qu’au jour d’aujourd’hui le Trésor public figure au livre foncier en tant que propriétaire du bien, mais cette inscription porte l’avertissement faisant état du déroulement de la procédure engagée par l’Office de district et tendant à acquérir le bien par voie d’usucapion. L’avertissement a été inséré d’office par le tribunal le 24 février 1997, afin de sauvegarder les prétentions du requérant et de sa soeur sur le bien litigieux. Par conséquent, tant que la procédure tendant à acquérir le bien par voie d’usucapion est en cours, le requérant n’est pas en mesure d’exécuter la décision du tribunal de district de Łomża du 6 novembre 1998.

La Cour constate, d’une part, que le Gouvernement n’a pas démontré de quelle manière le recours invoqué était susceptible de remédier à la situation du requérant. D’autre part, elle relève que le Gouvernement n’a pas précisé si la décision demandée par le service du livre foncier du tribunal de district existait et si le requérant était en mesure de la produire.

En ce qui concerne l’argument selon lequel le requérant avait la possibilité d’engager une action au titre de l’article 160 du code du contentieux administratif, la cour relève qu’un tel recours ne peut concerner que le préjudice subi du fait de la décision d’expropriation, soit entre les années 1952 et 1993. D’une part, ceci n’est pas l’objet de la présente requête et, d’autre part, la Cour ne partage pas l’avis du Gouvernement que ce recours serait susceptible de remédier à la situation du requérant. L’argument que l’indemnité perçue à l’issue d’une telle procédure serait plus importante que la valeur réelle du bien demeure purement spéculatif et n’est corroboré par aucun élément objectif.

La Cour constate que le Gouvernement n’a pas démontré que le requérant disposait de voies de droit efficaces ou suffisantes susceptibles de remédier à la situation en cause.

Sur le fond de l’affaire le Gouvernement souligne d’office la complexité des faits. Il soutient qu’il existe des doutes sérieux quant à savoir si le père du requérant pouvait valablement être considéré comme le propriétaire du bien.

Le Gouvernement précise, d’une part, que le registre foncier de l’époque de la vente du bien en 1937 a été détruit durant la seconde guerre mondiale. D’autre part, il affirme que des incertitudes persistent quant aux conditions de la vente et l’acquisition du bien par le père du requérant entre les années 1937 et 1939.

Le Gouvernement estime également que l’article 1 du Protocole N °1 à la Convention n’est pas applicable en l’espèce. Il précise que l’Etat au moment de l’expropriation en 1952 exerçait ses prérogatives dans sa qualité d’« imperium ». Une fois l’annulation de la décision d’expropriation prononcée, soit depuis 1992, l’Etat agit en tant que sujet d’une relation de droit civil (« dominium »). Le Gouvernement souligne que la décision administrative annulant l’expropriation rétablissait le statut du bien de 1952, mais ne conférait pas au requérant le droit de propriété. Il estime que le requérant et sa soeur n’ont à aucun moment prouvé qu’ils étaient les seuls héritiers pouvant avancer des prétentions sur l’objet du litige.

En se fondant sur la jurisprudence de la Cour en matière de l’article 1 du Protocole N° 1 à la Convention, le Gouvernement rappelle que cette disposition ne vaut que pour des biens actuels. Il poursuit en précisant que le requérant doit pouvoir justifier d’une espérance légitime de pouvoir exercer son droit de propriété et enfin que la Convention ne garantit pas de droit de devenir le propriétaire d’un bien (Cour eur. D.H., arrêts Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, série A n° 31 ; Raffineries Grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce du 9 décembre 1994, série A n° 301 ; Brumarescu c. Roumanie du 28 octobre 1999).

Le requérant quant à lui, soutient qu’il est le propriétaire du bien. En premier lieu, il présente une décision de Sąd Grodzki, section du livre foncier, du 26 juin 1950. En l’espèce le bien litigieux était déjà prévu à l ‘expropriation. L’Office régional (Urząd Wojewódzki) de Białystok avait adressé une demande à la section du livre foncier d’insérer un avertissement précisant qu’une procédure d’expropriation a été engagée sur le bien litigieux dont B. Zwierzyński, le père du requérant, était clairement identifié en tant que propriétaire.

En second lieu, le requérant précise que seul un propriétaire pouvait être exproprié en 1952. La décision d’expropriation désignait son père en tant que propriétaire du bien exproprié et c’est à lui qu’elle allouait des dommages et intérêts. L’annulation de la décision d’expropriation avec effet rétroactif a rétabli l’état d’avant 1952. Le 8 juillet 1998, le tribunal de district de Łomża a reconnu sa qualité d’héritier, notamment quant au bien en question. Dès lors, il succède au droit de propriété de son père.

La Cour estime qu’à la lumière de la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « droit au respect des biens » et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, le grief invoqué sous l’angle de l’article 1 du protocole N° 1 à la Convention doit faire l’objet d’un examen au fond.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE LA REQUÊTE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.

Michael O’Boyle Elisabeth Palm
Greffier Présidente


[Note1] Nom du ou des agents du greffe présents et responsables du dossier.