Přehled
Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION FINALE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 31883/96
présentée par Hasan Hüseyin ÖZBEY
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 8 mars 2001 en une chambre composée de
MM. C.L. Rozakis, président,
A.B. Baka,
G. Bonello,
P. Lorenzen,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. A. Kovler, juges,
Ş. Alpaslan, juge ad hoc,
et de M. Fribergh, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 24 mai 1996 et enregistrée le 13 juin 1996,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu la décision partielle de la Commission le 29 juin 1998,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant turc, né en 1973. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la maison d’arrêt de Zile. Il est représenté devant la Cour par Mes Hasan Basri Özbey et Oya Aydın, avocats au barreau d’Ankara.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. L’arrestation et la garde à vue du requérant
Le 27 janvier 1995, vers 18 h 30, le requérant et une autre personne (Mme E.I.B.) furent arrêtés par la police et placés en garde à vue dans les locaux de la direction de sûreté d’Ankara, section antiterroriste.
D’après le procès-verbal d’arrestation du même jour dressé par les policiers ayant procédé à l’arrestation du requérant et de Mme E.I.B., mais que ces derniers ne signèrent pas, le 27 janvier 1995 à 18 heures, les policiers, alors informés de la diffusion de tracts illégaux, avaient soupçonné deux personnes, un homme et une femme, et les avaient arrêtés. Ils avaient découvert des tracts illégaux signés par le DHKP/C (Parti/Front révolutionnaire de la libération du peuple), des notes, des revues ainsi que d’autres documents. Sur ce, ils invitèrent ces personnes au poste de police. Celles-ci tentèrent de fuir et, avec usage de la force, elles furent obligées de monter dans la voiture. Là, elles se cognèrent à gauche et à droit en vue de laisser des traces de violence. Ensuite, lorsqu’ils firent descendus de la voiture, ils se lancèrent à terre et les policiers les firent entrer au poste de police toujours en employant la force.
Le 28 janvier 1995, alors qu’il était toujours en garde à vue, le requérant entama une grève de la faim. Il ressort du dossier qu’il arrêta sa grève de la faim le 5 février 1995.
2. Les certificats médicaux établis suite à l’examen du requérant
Le 27 janvier 1995, à 21 h 05, c’est-à-dire deux heures et demie après l’arrestation, à la demande de la direction de sûreté d’Ankara, un médecin légiste de l’institut médico-légal d’Ankara examina le requérant. Son rapport mentionnait les traces suivantes sur le corps de l’intéressé : deux hématomes de 3 cm de diamètre aux tempes gauche et droite, une ecchymose de 3 cm sur la partie droite du front, un hématome de 3 cm de longueur sur la lèvre supérieure, des ecchymoses et une sensibilité excessive sur la partie postérieure de la clavicule gauche, sur l’omoplate et dans le dos. Le médecin indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi après l’examen du requérant dans le service de chirurgie cérébrale d’un centre hospitalier.
La personne arrêtée avec le requérant, Mme E.I.B., fut également soumise à un examen médical, lors duquel furent décelés une ecchymose sur sa paupière droite, un œdème dans la région zygomatique et une hyperémie.
Toujours le même jour, à 23 heures, suite à l’examen du requérant dans un centre hospitalier, ce même médecin légiste établit un rapport définitif et ordonna un arrêt de travail de sept jours.
Le 3 février 1995, Mme E.I.B. fut interrogée par les policiers sur son appartenance à l’organisation incriminée. Dans sa déposition, elle déclara notamment que « (...) alors qu’avec M. Özbey nous mettions les tracts dans les boîtes à lettres, les policiers m’ont arrêtée. M. Özbey s’est mis à fuir ; en même temps, il scandait des slogans. Moi, j’ai voulu résister à l’arrestation, mais je n’ai jamais scandé de slogans (...) ».
Le 6 février 1995, à la demande de la direction de sûreté d’Ankara, le requérant fut à nouveau examiné par un médecin légiste de l’institut médico-légal d’Ankara. Dans son rapport, après avoir fait état des allégations du requérant concernant un engourdissement des deux bras et des deux mains, une douleur à l’aine et aux testicules, le médecin légiste indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi suite à l’examen du requérant dans le service de neurologie et d’urologie d’un centre hospitalier.
Le 8 février 1995, le requérant fut examiné à la maison d’arrêt d’Ankara par un médecin légiste. Dans son rapport daté du 9 février 1995, ce dernier constata les séquelles suivantes sur M. Özbey : trois érosions parallèles en forme d’oblique de 0,5 x 2 cm et 0,5 x 1 cm avec croûte sur la partie antérieure du bras gauche, une érosion de 2 x 2 cm avec croûte sur le coude gauche, des érosions de 2 x 2, 2 x 1 et 3 x 1 cm sans croûte sur l’avant du bras gauche, une érosion de 0,3 cm sans croûte sur le poignet droit, une érosion de 1 x 1 cm avec croûte sur l’arrière du coude droit et une érosion de 1 x 1 cm sans croûte sur l’arrière du bras gauche. Le médecin indiqua en outre que l’intéressé se plaignait d’un bourdonnement d’oreilles, de maux à la tête, d’un obscurcissement de la vue, et d’un engourdissement des deux mains. Il jugea nécessaire que le requérant fût examiné dans le service de neurologie d’un centre hospitalier.
Les 20 février et 14 avril 1995, les tests d’O.R.L, neurologiques et auditifs auxquels le requérant fut soumis à l’hôpital d’Ankara décela une perforation du tympan gauche.
Dans un rapport daté du 26 avril 1995, s’appuyant sur les certificats médicaux des 27 janvier, 9 février, 20 février et 14 avril 1995, le bureau médico-légal d’Ankara considéra que les séquelles constatées chez M. Özbey ne mettaient pas sa vie en danger et ordonna un arrêt de travail de sept jours.
3. La détention du requérant et la procédure pénale diligentée à son encontre
Le 6 février 1995, le requérant fut traduit devant le juge assesseur auprès de la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara (« la cour de sûreté de l’Etat ») qui ordonna sa mise en détention provisoire. Devant le juge, le requérant protesta de son innocence et prétendit que, lors de sa garde à vue, les policiers lui avaient infligé des mauvais traitements. Sa déposition fut consignée comme suit :
« [Dans les locaux de la direction de la sûreté] ils ont essayé de recueillir ma déposition sous la torture, ils ont voulu me faire accepter la possession de matériaux qui ne m’appartenaient pas. Là-bas, je n’ai pas fait de déposition et je n’ai rien signé non plus (...). Je conteste le procès-verbal d’arrestation du 27 janvier 1995 que je n’ai pas signé. A aucun moment, je n’ai résisté aux policiers et n’ai scandé des slogans (...) ».
Le même jour, Mme E.I.B., la personne arrêtée avec le requérant, fit également une déposition devant le juge assesseur, dans laquelle elle accepta avoir distribué des tracts illégaux avec le requérant et affirma notamment :
« (...) Moi, lors de l’arrestation je n’ai pas résisté aux policiers. Je ne sais pas si [M. Özbey] a résisté ou non, parce que nous étions éloignés l’un de l’autre. Mais j’ai seulement entendu qu’il criait. Je ne peux pas savoir pourquoi il criait (...). J’approuve le contenu de ma déposition recueillie dans les locaux de la sûreté [la déposition du 3 février 1995, voir ci-dessus]. »
Par un acte d’accusation présenté le 13 février 1995, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat intenta une action pénale contre le requérant en vertu de l’article 168 du code pénal réprimant la formation de bandes armées pouvant commettre des délits contre l’Etat et les pouvoirs publics.
Le même jour, le requérant déposa à la cour de sûreté de l’Etat une demande d’élargissement et dénonça les actes de mauvais traitements subis lors de sa garde à vue. Il s’appuya également sur les certificats médicaux.
Dans la procédure devant la cour de sûreté, M. Özbey protesta de son innocence et prétendit avoir été soumis à des mauvais traitements lors de sa garde à vue en vue de lui extorquer des aveux. Quant à Mme E.I.B., celle-ci réfuta toutes ses dépositions établies par la police et celles faites devant le procureur et devant le juge assesseur.
Le 2 juin 1995, la cour de sûreté de l’Etat, composée de deux civils et d’un juge militaire ayant le grade de colonel, condamna le requérant à trois ans et neuf mois d’emprisonnement en vertu de l’article 169 du code pénal turc réprimant l’assistance à une bande armée.
Afin d’établir la culpabilité du requérant, la cour de sûreté de l’Etat tint compte de la déposition de Mme E.I.B. faite devant le parquet, et dans laquelle elle indiquait avoir distribué des tracts illégaux contenant de la propagande de ladite organisation en compagnie du requérant, ainsi que du procès-verbal d’arrestation en cas de flagrant délit. La cour considéra en outre que les traces de violences sur le corps du requérant constatées dans les rapports médicaux résultaient de l’usage de la force par les policiers à l’encontre du requérant qui leur a résisté lors de son arrestation.
Sur pourvoi du requérant, par arrêt du 30 janvier 1996, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance, considérant que les motifs y invoqués étaient conformes à la loi et aux règles de la procédure.
Le requérant fit une demande d’introduction d’un recours en rectification contre l’arrêt du 30 janvier 1996 devant le procureur de la République auprès de la Cour de cassation. Il soutint que la condamnation prononcée à son encontre était contraire aux règles de droit ainsi qu’aux dispositions de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
Par décision du 18 mars 1996, le procureur de la République auprès de la Cour de cassation déclara la demande irrecevable.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. La poursuite des actes de mauvais traitements
Le code pénal turc érige en infraction le fait pour un agent public de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements). Les obligations incombant aux autorités quant à la conduite d’une enquête préliminaire au sujet des faits et omissions susceptibles de constituer pareilles infractions que l’on porte à leur connaissance sont régies par les articles 151 à 153 du code de procédure pénale (« CPP »). Les infractions peuvent être dénoncées non seulement aux parquets ou aux forces de sécurité mais également aux autorités administratives locales. Les plaintes peuvent être déposées par écrit ou oralement. Dans ce dernier cas, l’autorité est tenue d’en dresser procès-verbal (article 151).
En vertu de l’article 235 du code pénal, tout agent public qui omet de dénoncer à la police ou au parquet une infraction dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions est passible d’une peine d’emprisonnement. Le procureur qui, de quelque manière que ce soit, est avisé d’une situation permettant de soupçonner qu’une infraction a été commise est obligé d’instruire les faits afin de décider s’il y a lieu ou non d’engager des poursuites (article 153 du CPP).
2. Les recours civils et administratifs ouverts en droit turc
D’après l’article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution :
« Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel. (...) L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »
Cette disposition consacre une responsabilité objective de l’Etat, laquelle entre en jeu quand il a été établi que, dans les circonstances d’un cas donné, l’Etat a manqué à son obligation de maintenir l’ordre et la sûreté publics ou de protéger la vie et les biens des personnes, et cela sans qu’il faille établir l’existence d’une faute délictuelle imputable à l’administration. Sous ce régime, l’administration peut donc se voir tenue d’indemniser quiconque est victime d’un préjudice résultant d’actes commis par des personnes non identifiées.
Sur le terrain du code des obligations, les personnes lésées du fait d’un acte illicite ou délictuel peuvent introduire une action en réparation pour le préjudice tant matériel (articles 41–46) que moral (article 47). En la matière, un tribunal civil peut statuer sur un grief même en l’absence de poursuites pénales et, au demeurant, il n’est lié ni par les considérations ni par le jugement d’une juridiction répressive reconnaissant l’innocence d’une personne accusée, si pareil jugement se fonde sur l’insuffisance des preuves pour établir la responsabilité pénale du prévenu (article 53). Cependant, d’après la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsqu’une juridiction pénale arrive à la conclusion que « l’acte reproché n’a pas été commis par l’accusé » ou qu’« aucun acte délictueux n’a eu lieu », le juge civil est lié par de telles conclusions, en tant que « fait établi ».
GRIEFS
1. Le requérant se plaint des violences dont il aurait fait l’objet de la part des policiers lors de sa garde à vue. Il invoque à cet égard l’article 3 de la Convention.
2. Le requérant se plaint par ailleurs que sa cause n’a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial. Il indique qu’un juge militaire, dont l’indépendance vis-à-vis de la hiérarchie militaire n’est pas assurée, siégeait au sein de la cour de sûreté de l’Etat. Il invoque à cet égard l’article 6 de la Convention.
EN DROIT
A. Sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention
Le requérant se plaint des violences dont il aurait fait l’objet de la part des policiers lors de sa garde à vue. Il invoque à cet égard l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
1. Sur les exceptions préliminaires du Gouvernement
a) Non-épuisement des voies de recours internes
Le Gouvernement soulève d’abord une exception préliminaire tirée du non-épuisement des voies de recours internes. De l’avis du Gouvernement, le requérant aurait dû engager les procédures ordinaires civiles et/ou administratives qui confèrent aux demandeurs la réparation à laquelle ils peuvent légitimement s’attendre.
A cet égard, il cite d’abord la voie de recours administratif, dont l’exercice se fonde sur les articles 125 et 129 de la Constitution, et soutient que la justice administrative turque « constitue une voie tout particulièrement indiquée » dans les cas tels que celui d’espèce. A l’appui de cet argument, il soumet un arrêt rendu par les juridictions administratives où réparation a été accordée dans des cas de décès dû à des tortures infligées pendant une garde à vue par des membres des forces de sécurité. Il s’agit de l’arrêt du 30 mars 1983 (n° 1983/665).
En outre, le Gouvernement affirme que le requérant aurait pu intenter avec succès une action en dommages et intérêts, en application des dispositions pertinentes du code des obligations. Là encore, il renvoie à un arrêt du 17 novembre 1986 (n° 1986/7786) rendu par la Cour de cassation dans une affaire concernant une demande de dommages-intérêts pour torture, où la haute juridiction turque estima que les infractions commises par les membres des forces de sécurité étaient régies par le code des obligations et qu’en vertu de l’article 53 dudit code, le fait que l’accusé ait été acquitté pour insuffisance de preuves ne liait pas la juridiction civile et qu’il fallait, en l’occurrence, tenir compte de la circonstance que « le demandeur avait identifié l’un des policiers » qu’il accusait de l’avoir torturé.
La Cour note que le droit turc prévoit des recours pénaux, civils et administratifs contre les actes illicites et délictuels imputables à l’Etat ou à ses agents et a étudié la décision de justice fournie par le Gouvernement.
La Cour relève qu’en l’espèce, alors qu’en droit turc les autorités avaient l’obligation d’enquêter sur des allégations de mauvais traitements (voir ci-dessus « Le droit et interne pertinent ») dont elles ont eu connaissance, celles-ci ont choisi de ne pas s’enquérir de la cause des blessures décelées chez M. Özbey.
En ce qui concerne les voies civile et administrative invoquées par le Gouvernement, la Cour rappelle qu’elle a déjà eu maintes fois par le passé l’occasion de se prononcer sur lesdits recours et conclu qu’ils n’étaient pas à épuiser au titre de l’article 3 de la Convention, en l’absence d’une enquête officielle « effective » au plan interne (voir, parmi beaucoup d’autres, İlhan c. Turquie [GC], n° 22277/93, §§ 62-64, CEDH 2000). En effet, il faut se rappeler que lorsqu’un individu formule un « grief défendable » de violation des dispositions de l’article 3, la notion de « recours effectif », au sens de l’article 13, fait peser sur les Etats l’obligation d’effectuer des investigations officielles propres à conduire à l’identification et la punition des responsables et comportant un accès effectif du plaignant à la procédure (voir, entre autres, İlhan précité, § 97 ; Çakıcı c. Turquie [GC], n° 23657/94, § 113, CEDH 1999-IV ; Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2287, § 98). Il s’ensuit qu’un recours interne ne pouvant déboucher que sur l’allocation d’une indemnité ne saurait permettre – à lui seul – d’absoudre les Etats contractants de cette obligation (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 329, § 105).
En conclusion, la Cour estime qu’ayant dénoncé au moins à deux reprises les mauvais traitements prétendument subis, le requérant n’avait pas à intenter de plus les autres recours civils et administratifs invoqués par le Gouvernement. Il s’ensuit que l’exception soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.
b) Non-respect du délai de six mois
Le Gouvernement plaide le non-respect par le requérant du délai de six mois pour introduire sa requête, conformément à l’article 35 § 1 de la Convention. D’après lui, le délai de six mois commence à courir à partir de la date à laquelle la garde à vue du requérant a pris fin, à savoir le 6 février 1995, étant donné que le requérant n’a pas fait usage à des voies de recours internes.
Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement et soutient que le délai de six mois commence à courir à partir de la décision interne définitive rendue au sujet de ses allégations de mauvais traitements, c’est-à-dire le 2 juin 1995, date de l’arrêt de la cour de sûreté de l’Etat qui a été confirmé le 30 janvier 1996 par la Cour de cassation.
La Cour constate que, le 6 février 1995, le requérant a été traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat. Devant ce juge, il a présenté ses allégations de mauvais traitements. Dans son arrêt du 2 juin 1995, la cour de sûreté de l’Etat s’est prononcée sur ses allégations et a considéré que « les traces de violences sur le corps du requérant constatées dans les rapports médicaux résultaient de l’usage de la force par les policiers à l’encontre du requérant qui leur a résisté lors de son arrestation ».
Dans ces conditions, il a été loisible au requérant d’attendre l’arrêt de la cour de sûreté de l’Etat du 2 juin 1995, la seule instance interne ayant examiné ses allégations de mauvais traitements avant l’introduction de sa requête devant la Cour. Partant, il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement.
2. Sur le fond
Se référant au procès-verbal d’arrestation du 27 janvier 1995, le Gouvernement prétend que, lors de l’arrestation et de sa conduite au poste de police, le requérant a résisté aux policiers. Ces derniers ont employé la force en vue d’accomplir leur tâche. En outre, M. Özbey s’est blessé lui-même dans la voiture de police.
De surcroît, le 6 février 1995, le requérant a été soumis à un examen médical qui n’a fait état d’aucune trace de violence sur son corps. Le Gouvernement en déduit que durant sa garde à vue ce dernier n’a subi aucune sorte de mauvais traitements et que l’origine de ses blessures constatées dans le certificat médical du 27 janvier 1995 était la force employée en vue de l’arrêter et de le conduire au poste de police.
En outre, d’après le Gouvernement, la santé du requérant a été affectée en raison de la grève de faim qu’il a entamée dès le début de sa garde à vue, ce qui explique les constats des autres rapports médicaux. Dès lors, les allégations du requérant sont manifestement dénuées de fondement.
Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement et, réitérant avoir subi des mauvais traitements, se borne à s’appuyer sur les certificats médicaux.
Après avoir procédé à un examen préliminaire des faits et des arguments des parties, la Cour considère que ce grief pose des questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de la procédure et nécessitent un examen au fond de l’affaire. Dès lors, il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. En outre, il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la convention
Le requérant se plaint par ailleurs de ce que sa cause n’a pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial, contrairement à l’article 6 § 1 de la Convention. Il expose à cet égard qu’un juge militaire, dont l’indépendance vis-à-vis de ses commandants militaires n’est pas assurée, siégeait au sein de la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara l’ayant condamné.
L’article 6 § 1 dispose en ses passages pertinents :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
En citant les dispositions de la Constitution turque, le Gouvernement soutient que les cours de sûreté de l’Etat ne sont pas des tribunaux d’exception mais des juridictions pénales spécialisées, instaurées pour juger les crimes contre l’intégrité de l’Etat, comprenant un juge militaire parmi leurs membres effectifs et leurs membres suppléants. Ces juges, qui sont nommés pour quatre ans, ont les mêmes prérogatives d’indépendance et d’impartialité que les juges civils en vertu des dispositions de la Constitution.
De ce fait, d’après le Gouvernement, les appréhensions du requérant quant au manque d’indépendance et d’impartialité de cette juridiction ne peuvent passer pour objectivement justifiées.
Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement et réitère son grief selon lequel ces cours ne sont pas indépendantes et impartiales.
A la lumière de l’ensemble des arguments des parties, la Cour estime que cette partie de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond. Il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président