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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
10.4.2001
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SABLON c. BELGIQUE

(Requête n° 36445/97)

ARRÊT

STRASBOURG

10 avril 2001

DÉFINITIF

05/09/2001

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive.


En l’affaire Sablon c. Belgique,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

M. J.-P. Costa, président,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert
Sir Nicolas Bratza,
Mme H.S. Greve,
M. K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 9 mars 1999 et 20 mars 2001,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête dirigée contre la Belgique et dont un ressortissant, M. Emile Sablon (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 22 mai 1997, en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La requête a été enregistrée le 11 juin 1997 sous le numéro de dossier 36445/97. Le gouvernement belge (« le Gouvernement » ) a été représenté par son agent, M. Claude Debrulle, directeur d’administration au ministère de la Justice.

2. Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaignait de l’équité et de la durée de procédures en relation avec sa faillite ouverte d’office par un jugement du 14 septembre 1971, décision dont la rétractation fut prononcée le 6 septembre 1993. Invoquant l’article 1er du Protocole n° 1, il se plaignait aussi de l’attitude du curateur en charge de la faillite à la date de sa rétractation.

3. Par une décision du 27 octobre 1997, la Commission (deuxième chambre) a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement, en l’invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 13 mars 1998 et le requérant a présenté les siennes le 24 avril 1998.

4. A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l’article 5 § 2 de celui-ci, l’affaire est examinée par la Cour.

5. Conformément à l’article 52 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »), le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a attribué l’affaire à la troisième section.

6. Le 9 mars 1999, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable quant à la durée de la procédure.

7. Le 15 mars 1999, la chambre a invité les parties à lui soumettre, dans un délai expirant le 10 mai 1999, des offres de preuves et observations complémentaires ainsi que, le cas échéant, leurs propositions de règlement amiable. La chambre les a aussi informées qu’elles avaient la faculté de requérir une audience, ce qu’elle n’estimait pas nécessaire. Elle a en outre invité le requérant à lui soumettre, dans le même délai, ses demandes au titre de l’article 41 de la Convention.

8. Par un courrier du 21 mars 1999, le requérant a signalé prendre acte de ce que la chambre n’estimait pas nécessaire la tenue d’une audience. Il a fait parvenir ses demandes au titre de l’article 41 de la Convention le 1er mai 1999. Par un courrier du 11 juin 1999, le Gouvernement a présenté, après prolongation du délai imparti, ses observations complémentaires sur le fond de l’affaire et ses commentaires sur les demandes présentées au titre de l’article 41 de la Convention.

9. Le requérant a fourni des informations et commentaires sur l’affaire par des courriers des 21 juin et 20 juillet 1999. Le 20 août 1999, le Gouvernement a signalé qu’il souhaitait répondre au courrier du requérant du 20 juillet 1999, qui lui avait été transmis le 5 août 1999, et déposer de nouvelles observations complémentaires à ce propos. Le requérant a fourni de nouveaux documents et commentaires sur l’affaire par courrier du 8 août 1999.

10. Le 10 septembre 1999, Maître P. Vanderveeren, avocat au barreau de Bruxelles, a informé la Cour de son intervention en qualité de conseil du requérant.

11. Le 27 septembre 1999, le Gouvernement a présenté, après prolongation du délai initialement imparti, de nouvelles observations complémentaires sur le fond de l’affaire. Le conseil du requérant a transmis à la Cour, en date du 4 novembre 1999, des observations en réponse rédigées personnellement par le requérant et signées par lui.

12. Le 16 février 2000, le requérant a signalé qu’il suspendait, « à titre provisoire ou définitif », l’intervention de son conseil et fourni des informations et commentaires sur l’affaire.

13. Le 25 juillet 2000, les parties ont été invitées, conformément à l’article 49 § 2 du règlement, à fournir des informations complémentaires sur l’évolution des diverses procédures encore pendantes devant les juridictions belges. Les parties ont présenté ces informations les 7 août, 16 août, 30 novembre et 14 décembre 2000.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

14. Le 14 septembre 1971, le tribunal de commerce de Nivelles déclara ouverte d’office la faillite du requérant, qui exerçait avec W., son beau-père, des activités de promotion et de construction immobilières exercées à titre personnel, suite à une assignation du 14 mars 1971 de l’Office national de sécurité sociale (ci-après O.N.S.S.) pour non-paiement de sommes dues par le requérant au titre des cotisations sociales des salariés de l’entreprise. Le tribunal, après avoir entendu les parties et notamment l’avocat de M. Sablon, considéra que l’ébranlement du crédit du requérant, condition légale de la faillite, résultait à suffisance de l’impossibilité d’obtenir une quelconque couverture bancaire. Deux curateurs, B. et D., furent nommés. Le requérant n’introduisit pas de recours internes contre cette décision et ne formula pas de propositions concordataires. Le requérant a introduit à ce propos la requête N° 12770/87 qui fut enregistrée le 16 février 1987 et déclarée irrecevable par décision de la Commission européenne des Droits de l’Homme du 8 septembre 1989. Dans la mesure où la requête était dirigée contre cette procédure, la Commission a estimé que le requérant n’avait pas satisfait à la condition de l’épuisement des voies de recours internes, faute d’avoir exercé le recours d’opposition qui lui était ouvert en droit belge.

15. A la suite d’irrégularités constatées dans la gestion des curatelles sous le contrôle du tribunal de commerce de Nivelles, la cour d’appel de Bruxelles condamna, par arrêt du 17 avril 1987, les curateurs D. et B. à respectivement un an et trois mois d’emprisonnement. Un nouveau curateur, J., fut nommé à leur place en qualité de curateur de la faillite de M. Sablon.

A. Procédure en rétractation de la faillite et appel du jugement du 14 septembre 1971

16. Le 25 avril 1990, le requérant signifia à diverses personnes - à savoir J., B., D. et l’O.N.S.S, ainsi que Wa. (ex-épouse du requérant et fille de W.) et deux membres de sa famille - une requête civile datée du 23 avril 1990 et une citation à comparaître devant le tribunal de commerce de Nivelles pour le voir statuer sur une requête civile aux fins d’obtenir la rétractation du jugement du 14 septembre 1971.

17. Par jugement du 6 septembre 1993, le tribunal de commerce de Nivelles prononça la rétractation du jugement de faillite. Il « dit pour droit, qu’en principe la situation patrimoniale [du requérant devait] être remise dans l’état où elle se trouvait le jour dudit jugement déclaratif du 14 septembre 1971 ». Il constata cependant qu’il lui était, en l’état, malaisé de procéder à la reconstitution du patrimoine du requérant.

18. En raison de ces difficultés de procéder à la reconstitution du patrimoine, le tribunal releva qu’il se pourrait qu’il y ait lieu à l’établissement de responsabilités spécifiques après examen des « possibilités de restitution, de compensation et de réparation en nature ou en équivalent, en tout ou en partie, sans que les droits des créanciers de l’époque puissent être négligés ». Il décida que l’affaire serait poursuivie sur ces points le 6 décembre 1993 et fixa les délais aux parties pour leurs conclusions. Faisant droit à une demande incidente du requérant, il condamna également D., B. et l’O.N.S.S. à lui payer solidairement une somme de 5 millions de francs belges (BEF) pour le rôle déterminant joué par ceux-ci dans les causes du préjudice en tout cas subi par le requérant. Le tribunal déclara son jugement exécutoire par provision.

19. Le 21 octobre 1993, l’O.N.S.S. paya le tiers de la somme de 5 millions BEF. Il paya le restant de cette somme le 15 novembre 1993, à défaut d’exécution du jugement par B. et D.

20. D., B., J. et l’O.N.S.S firent appel de ce jugement en septembre et octobre 1993.

21. Le 31 janvier 1994, le requérant déposa une requête en aménagement des délais pour conclure et en fixation d’une date de plaidoirie, conformément à l’article 747 § 2 du Code judiciaire.

22. Par arrêt du 2 juin 1994, la cour d’appel de Bruxelles déclara la requête irrecevable au motif qu’elle n’était pas motivée comme la loi l’imposait et ne mentionnait pas les délais pour le dépôt de conclusions. Elle constata surabondamment que le requérant ne pouvait soutenir avoir été empêché de conclure dans le délai d’un mois accordé par l’article 747 § 1 du Code judiciaire faute pour ses adversaires de lui avoir communiqué leurs pièces, car l’article 1064 de ce code prévoit que l’intimé a un mois pour conclure à partir de l’introduction de la cause. La cour d’appel déclara aussi irrecevable pour le même motif une demande de D. d’aménager les délais impartis aux parties pour conclure.

23. Le requérant prit ses conclusions d’appel le 24 septembre 1994.

24. A une date indéterminée, le requérant fit notifier aux autres parties un avertissement les obligeant à conclure et fixant l’affaire au 14 mars 1995, conformément à l’article 751 du Code judiciaire. Diverses conclusions furent déposées en janvier 1995 et le requérant prit de nouvelles conclusions le 8 février 1995.

25. A l’audience du 14 mars 1995, l’affaire fut renvoyée au rôle en vertu du quatrième alinéa de l’article 751 du Code judiciaire, aux fins de laisser aux parties adverses la possibilité de répondre aux conclusions du 8 février 1995.

26. Entre-temps, le 20 janvier 1995, le requérant avait entamé une procédure en rectification de l’arrêt du 2 juin 1994, arguant une erreur matérielle dans la mention de son adresse. La cour fit droit à sa demande par un arrêt du 6 avril 1995.

27. Le 26 septembre 1995, le requérant déposa une requête en fixation d’une date de plaidoiries et l’audience fut, dans un premier temps, fixée au 10 février 1999.

28. Le premier président de la cour d’appel de Bruxelles fit toutefois fixer l’affaire à l’audience du 2 octobre 1997 pour établir un nouveau calendrier de procédure.

29. A l’audience du 2 octobre 1997, la cour d’appel décida que D., B., et J. déposeraient leurs nouvelles conclusions au plus tard le 18 décembre 1997, que le requérant déposerait ses conclusions en réplique au plus tard le 5 mars 1998 et qu’elle entendrait les plaidoiries aux audiences des 8 et 15 mai 1998.

30. De nouvelles conclusions furent déposées à l’audience du 8 mai 1998, à l’issue de laquelle l’affaire fut remise sine die, au motif que le requérant avait peu avant fait appel du jugement déclaratif de faillite de 1971.

31. En effet, le 14 avril 1998, le requérant avait fait appel du jugement du 14 septembre 1971, arguant que l’O.N.S.S. n’avait pas reçu la signification de ce jugement. Cet appel fut joint à ceux de septembre et octobre 1993, en application des règles de la connexité.

32. Après échange de nouvelles conclusions, l’affaire fut plaidée le 19 février 1999 et la cour prononça la clôture des débats.

33. Le 12 mars 1999, le requérant déposa une demande en réouverture des débats. Arguant de la décision rendue par la Cour le 9 mars 1999 (paragraphe 6 ci-dessus), il invitait la cour d’appel à « faire preuve de sagesse en attendant que la copie de cet arrêt puisse [lui] être communiquée avant de poursuivre l’examen desdites causes ».

34. Par un premier arrêt du 18 juin 1999, la cour d’appel déclara l’appel contre le jugement du 14 septembre 1971 irrecevable, au motif qu’il n’avait pas été introduit dans les quinze jours de la signification qui lui avait été régulièrement faite le 14 octobre 1971.

35. Par un second arrêt du 18 juin 1999, la cour d’appel déclara irrecevable la requête civile déposée par le requérant en avril 1990. Rappelant les conditions de recevabilité de la requête civile énumérées par l’article 1133 du Code judiciaire, elle releva que les circonstances soulevées par le requérant à l’appui de sa requête civile et retenues par le jugement du 6 septembre 1993 ne répondaient pas aux conditions limitativement énumérées dans cet article. En tout état de cause, le requérant avait eu connaissance de ces circonstances avant l’expiration des délais prévus pour les voies de recours ordinaire et, a fortiori, bien plus de six mois avant l’introduction de sa requête civile (voir, ci-après, article l’article 1133 du Code judiciaire).

36. Le 4 août 1999, le premier arrêt du 18 juin 1999 fut signifié au requérant. Le 2 novembre 1999, celui-ci introduisit un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

37. A une date indéterminée, le requérant a introduit une demande en « interprétation-rectification » du second arrêt du 18 juin 1999. Le requérant n’a pas fourni d’informations sur la suite réservée à cette demande. Il a également signalé avoir déposé plainte à ce propos entre les mains du Procureur général à la Cour de cassation le 19 février 2000 et auprès du ministre de la Justice. Le 22 novembre 2000, il aurait aussi demandé au ministre de la Justice de faire usage de l’article 1088 du Code judiciaire à l’encontre des arrêts du 18 juin 1999. Cette disposition donne au ministre le pouvoir de donner instruction au procureur général près la Cour de cassation de dénoncer à cette cour les actes par lesquels des auxiliaires de justice, et notamment les juges et les officiers du ministère public, auraient excédé leurs pouvoirs.

38. Entre-temps, le requérant avait tenté de faire poursuivre l’examen de l’action qu’il avait intentée le 25 avril 1990 devant le tribunal de commerce de Nivelles. Après le dépôt de nombreuses conclusions, le tribunal constata, par jugement du 2 mai 1994, qu’il était dessaisi du dossier en raison de l’effet dévolutif de l’appel et qu’il ne pouvait donc se prononcer ni sur les points pour lesquels il avait mis la cause en continuation ni sur les demandes complémentaires formulées par le requérant suite au jugement.

B. Procédures visant à obtenir l’exécution du jugement du 6 septembre 1993

39. Le requérant entama diverses actions aux fins d’obtenir l’exécution du jugement de rétractation de la faillite du 6 septembre 1993, et notamment des actions visant à obtenir la libération entre ses mains des sommes détenues par J.

1. Demandes du requérant visant à obtenir la libération entre ses mains des sommes détenues par J.

40. Le 17 septembre 1993, le requérant et J. comparurent volontairement devant le tribunal de commerce de Nivelles, suite à une demande du requérant visant à obtenir la libération entre ses mains des sommes détenues par J. Celui-ci s’y opposait arguant du fait que l’O.N.S.S. et l’un des ex-curateurs avaient l’intention de faire appel du jugement du 6 septembre 1993.

41. Par jugement du 21 septembre 1993, le tribunal, statuant en référé, prit une ordonnance ordonnant la libération d’une somme de 5 millions BEF, après avoir relevé que les sommes détenues par J. étaient de loin supérieures à ce montant.

42. Le 21 septembre 1994, l’ex-épouse du requérant fit tierce opposition contre cette ordonnance. Elle demandait que le requérant restitue la somme de 5 millions BEF perçue de J. ou la fasse bénéficier de la moitié de cette somme, arguant qu’elle aurait modifié son régime matrimonial et renoncé à la succession de son père pour le motif erroné de la faillite prononcée en 1971 et rapportée en 1993.

43. Le 21 novembre 1994, l’O.N.S.S. fit une intervention volontaire dans cette procédure.

44. Cette affaire fut plaidée à l’audience du 21 décembre 1994. Par ordonnance du 28 février 1995, le tribunal de commerce de Nivelles déclara la tierce-opposition et l’intervention volontaire recevables mais non fondées. L’ex-épouse du requérant et l’O.N.S.S. firent appel de cette décision en avril 1995.

45. Le requérant et l’O.N.S.S. déposèrent respectivement des conclusions le 19 mai 1995 et le 30 mai 1995. La cour d’appel tint une audience le 1er juin 1995, remit l’affaire au 29 juin 1995. L’ex-épouse du requérant déposa des conclusions le 20 juin 1995. A l’audience du 29 juin 1995, la cour d’appel fixa l’affaire pour plaidoiries au 7 décembre 1995. Le 28 août 1995, le requérant déposa des conclusions en réponses à celles de l’O.N.S.S. et à celles de son ex-épouse, ainsi qu’un dossier de 54 pièces. Son ex-épouse déposa des conclusions en réponse le 30 août 1995.

46. Le 20 novembre 1995, le requérant déposa des conclusions additionnelles et l’O.N.S.S. fit de même le 5 décembre 1995.

47. A l’audience du 7 décembre 1995, le requérant demanda la remise de l’affaire pour répondre aux conclusions additionnelles de l’O.N.S.S. La cour d’appel fit droit à cette demande et remit l’affaire au 7 mars 1996.

48. Le requérant déposa des conclusions additionnelles le 2 février 1996 et des conclusions de synthèse le 5 mars 1996. L’O.N.S.S. avait entre-temps déposé des conclusions récapitulatives le 26 février 1996. L’affaire fut mise en délibéré à l’issue de l’audience du 7 mars 1996.

49. Par arrêt interlocutoire du 6 juin 1996, la cour d’appel de Bruxelles déclara l’appel de l’ex-épouse du requérant recevable et ordonna la réouverture des débats pour permettre aux parties de conclure notamment sur la compétence du juge des référés. L’appel de l’O.N.S.S. fut déclaré irrecevable pour cause de tardiveté. La cour ordonna la réouverture des débats pour voir les parties se prononcer sur la question de l’urgence, non invoquée dans l’acte introductif de l’action.

50. Le requérant conclut le 24 octobre 1996 et J. le 31 octobre 1996. L’affaire fut mise en délibéré à l’issue de l’audience du 7 novembre 1996.

51. Par un nouvel arrêt interlocutoire du 28 mars 1997, la cour d’appel déclara que le juge des référés était incompétent, à défaut d’urgence invoquée dans l’acte introductif de l’action de septembre 1993. Il estima qu’il n’y avait donc pas lieu d’examiner l’affaire selon les règles particulières du référé (qui implique une cause d’urgence), mais en droit et au fond. Il renvoya donc l’affaire au rôle aux fins de statuer sur le fondement des demandes originaires respectives des parties restant en cause. Il renvoya la cause sine die après avoir constaté que la demande de restitution faisant l’objet de l’affaire dont elle était saisie dépendait « fondamentalement de la question de savoir si [c’était] à bon droit que le jugement déclaratif de faillite [avait] été rétracté », question qui devait être tranchée dans le cadre de l’appel introduit contre le jugement du 28 mars 1993. Ce litige serait toujours au rôle, à défaut d’action des parties.

52. Le 27 décembre 1993, le requérant avait introduit une nouvelle action devant le tribunal de commerce de Nivelles aux fins de se voir restituer par J. « toutes sommes d’argent ou archives encore en sa possession ». Par jugement du 2 mai 1994, le tribunal constata que le requérant aurait pu faire cette demande par voie de conclusions dans la procédure en rétractation de la faillite pendante devant la cour d’appel, du fait de l’effet dévolutif de l’appel, et se déclara incompétent pour connaître de cette nouvelle demande étant donné le risque de contrariété entre la décision à rendre à ce propos et la décision que la cour d’appel était appelée à prendre sur la question de la rétractation de la faillite.

2. Action en saisie

53. Le 23 juin 1994, le requérant introduisit une action en saisie aux fins d’assurer le paiement d’une somme de 55 978 631 335 de BEF, somme correspondant à la valeur actualisée du patrimoine dont il avait été dessaisi, selon trois experts commis par le requérant.

54. Par ordonnance du 30 juin 1994, le juge des saisies de Nivelles rejeta la demande au motif que le requérant se fondait sur des chiffres non confirmés, fruit d’expertises unilatérales.

3. Demande aux fins d’obtenir la signification à J. d’un commandement de payer immédiatement toutes les sommes nécessaires pour remettre sa situation patrimoniale en pristin état

55. En avril, mai et juin 1996, le requérant s’adressa à un huissier aux fins de signifier à J. un commandement de payer immédiatement toutes les sommes nécessaires pour remettre sa situation patrimoniale dans son pristin état, conformément au jugement du 6 septembre 1993, et de « procéder, dès le délai d’un jour franc écoulé, à une saisie-exécution immobilière de J. avec date de vente fixée dans un délai de huit jours ».

56. L’huissier requis signala qu’il ne pouvait procéder, le jugement n’ayant que posé le principe de la remise en l’état antérieur et n’étant donc qu’un jugement de « dire pour droit » qui s’avérait donc en tant que tel inexécutable. Il ajouta qu’il ne pourrait jamais être procédé à une quelconque saisie, à défaut de créance liquide et certaine résultant dudit jugement. Le requérant s’adressa à d’autres huissiers qui prirent une attitude identique.

57. Le requérant s’adressa alors au procureur du Roi de Bruxelles pour se plaindre de l’attitude des huissiers. Ses courriers semblent être restés sans suite.

C. Autres procédures

1. Demande de l’O.N.S.S. de se voir autorisée à pratiquer une saisie-arrêt conservatoire entre les mains de J.

58. Le 17 mars 1994, le juge des saisies de Nivelles autorisa l’O.N.S.S à pratiquer une saisie-arrêt conservatoire entre les mains de J. pour une somme de 34 659 887 BEF lui étant due par le requérant. Suite à cette saisie-arrêt, J. se déclara, le 22 mars 1994, en possession de 6 298 536 BEF. Le 29 novembre 1995, J. déposa une somme de 6,5 millions BEF à la Caisse des dépôts et consignation en qualité de curateur de la faillite du requérant.

59. Le 21 avril 1994, le requérant introduisit tierce opposition aux fins d’obtenir la rétractation de l’ordonnance du 17 mars 1994 et la condamnation de l’O.N.S.S. à lui payer une somme de 100 millions BEF à titre d’indemnité pour saisie téméraire et vexatoire. Il ne comparut pas à l’audience d’introduction du 11 mai 1994.

60. Le requérant déposa ses conclusions le 24 novembre 1994 et l’O.N.S.S. y répondit le 20 janvier 1995. L’affaire fut mise en délibéré à l’issue de l’audience du 8 mars 1995.

61. Par jugement du 17 mai 1995, le juge des saisies de Nivelles ordonna la mainlevée de la saisie. L’O.N.S.S. interjeta appel le 31 août 1995, après que le requérant lui ait fait signifier le jugement en date du 14 juillet 1995.

62. L’audience fut fixée le 28 septembre 1995. Le requérant demanda la remise de l’affaire et la cour d’appel de Bruxelles y fit droit. Le requérant prit des conclusions le 13 octobre 1995, l’O.N.S.S. déposa les siennes le 28 mars 1996 et le requérant y répliqua le 6 mai 1996.

63. Le 21 mai 1996, les parties firent une demande conjointe de fixation de l’affaire. Après un premier échange de correspondance, le greffe de la cour d’appel fit une proposition de procédure écrite non suivie par les parties. L’affaire fut en conséquence fixée à l’audience du 12 décembre 1996.

64. Par arrêt du 30 mai 1997, la cour d’appel de Bruxelles infirma le jugement du 17 mai 1995 et déclara que la saisie-arrêt conservatoire n’était « bonne et valable qu’à concurrence de 12 628 419 BEF ». Aucune des parties ne fit procéder à la signification de cet arrêt.

65. Le 16 mars 1998, l’O.N.S.S. introduisit un pourvoi en cassation.

66. Par arrêt du 3 décembre 1998, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 30 mai 1997 et renvoya l’affaire à la cour d’appel de Mons.

67. Le 11 février 1999, l’O.N.S.S. cita le requérant à comparaître à l’audience du 23 mars 1999, date à laquelle ce dernier demanda le renvoi au rôle. L’affaire serait toujours au rôle à défaut d’initiative des parties.

2. Demande de remise des fonds déposés à la Caisse des dépôts et consignation

68. Le 22 mai 1996, le requérant demanda la remise des fonds déposés à la Caisse des dépôts et consignation (paragraphe 58 ci-dessus), excipant du jugement du 6 septembre 1993. Il lui fut répondu que J. s’y opposait, au motif que ces sommes avaient été versées suite à la saisie-arrêt conservatoire autorisée par le juge des saisies le 17 mars 1994. Dans l’intervalle, l’O.N.S.S. avait également opéré deux saisies-arrêt exécution les 31 mars et 11 juillet 1995, en vertu de jugements du tribunal du travail de Nivelles et du juge de paix de Wavre.

69. Le 23 septembre 1996, le requérant demanda au juge des saisies de Bruxelles la libération de ces fonds, alléguant que le juge des saisies de Nivelles avait donné, le 17 mai 1995, mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire de l’O.N.S.S.

70. Par ordonnance du 28 novembre 1996, le juge rejeta la demande au motif qu’aucune disposition légale ne permettait d’introduire une demande de libération de fonds consignés en exécution d’un jugement.

71. Le requérant s’adressa ensuite au ministre des Finances pour obtenir la libération des fonds. Par lettre du 21 avril 1997, le ministre émit l’avis que J. avait enfreint la loi sur les faillites en ne versant que tardivement les sommes. Il ajouta que si les sommes avaient été versées dans les délais légaux à la Caisse des dépôts et consignation, celles-ci auraient pu être reversées au requérant en septembre 1993, sur base du jugement de rétractation. Il fit cependant valoir que, du fait de la saisie-arrêt exécution, il était exclu que les fonds soient libérés sans qu’un jugement ne soit produit. Il expliqua que si les fonds étaient libérés et que la saisie-arrêt était ensuite jugée fondée, il incomberait à la Caisse des dépôts et consignation d’indemniser le créancier ayant pratiqué la saisie. Il signala enfin au requérant qu’il pouvait, dans le cadre d’une procédure auprès de la cour d’appel, requérir la mainlevée de la saisie-arrêt et la libération des fonds.

3. Demande de saisie-revendication d’une collection de tableaux impressionnistes

72. Le 5 août 1995, le requérant dirigea contre le curateur P., chargé de la faillite D-J, une demande de saisie-revendication d’une collection de tableaux impressionnistes qu’il aurait confiés à D-J en vertu d’une convention du 5 novembre 1970 et qui avait été reprise dans l’actif de la faillite de celle-ci. Cette demande fut rejetée par une ordonnance du 14 août 1996, confirmée par arrêt de la cour d’appel du 1er octobre 1996.

73. Le 2 juillet 1996, le requérant cita le curateur P. en restitution de la collection de tableaux impressionnistes confiés à D-J. A l’audience du 25 juillet 1996, il demanda l’application de l’article 751 du Code judiciaire. P. déposa des conclusions le 22 novembre 1996 et le requérant déposa les siennes le 31 décembre 1996. En avril 1997, le requérant demanda la fixation de la cause et l’audience fut fixée, pour plaidoiries, au 28 octobre 1997. P. déposa des conclusions le 2 juin 1997.

74. A l’audience du 28 octobre 1997, l’affaire fut remise conformément à l’article 748 § 2, suite à la découverte d’éléments nouveaux.

75. Le 4 décembre 1997, le tribunal fixa un calendrier de remise de nouvelles conclusions des parties et fixa les plaidoiries à l’audience du 5 mai 1998.

76. Le 29 janvier 1998, l’ex-épouse du requérant déposa une requête en intervention volontaire, demandant la moitié des sommes qu’obtiendrait le requérant.

77. P. déposa des conclusions le 30 janvier 1998 et le requérant le 27 mars 1998. P. déposa de nouvelles conclusions le 15 avril 1998.

78. A l’issue de l’audience du 5 mai 1998, l’affaire fut remise au 16 juin 1998. Des audiences furent encore tenues les 16 et 24 juin 1998, date à laquelle le requérant déposa de nouvelles conclusions.

79. Par jugement d’octobre 1998, le tribunal de Nivelles rejeta la demande et, sur demande reconventionnelle, condamna le requérant à une indemnité de 250 000 BEF pour procédure téméraire et vexatoire. Le requérant interjeta appel le 10 novembre 1998.

80. A l’audience du 18 décembre 1998, un calendrier de conclusions fut fixé de commun accord. P. devait conclure au plus tard le 28 février 1999, l’ex-épouse du requérant le 31 mars 1999, le requérant le 30 avril 1999. P. et l’ex-épouse du requérant pouvaient déposer des conclusions en réponse respectivement les 31 mai et 30 juin 1999. Sur demande du requérant, la Cour fixa l’affaire à l’audience du 27 novembre 2000. L’affaire ne put cependant être examinée à cette date, le président de la Cour estimant qu’il devait se déporter.

81. Entre-temps, le 5 août 1996, le requérant avait demandé au juge des saisies de Nivelles l’autorisation de pratiquer une saisie-revendication des tableaux impressionnistes. Par ordonnance du 14 août 1996, le juge des saisies rejeta la demande. Sur appel du requérant, la cour d’appel de Bruxelles confirma, l’ordonnance par arrêt du 1er octobre 1996.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

82. Les dispositions pertinentes du Code judiciaire se lisent comme suit :

Article 747

« § 1. Le défendeur a un mois pour conclure à partir de la communication des pièces.

Le demandeur a un mois pour lui répondre.

Le défendeur dispose de quinze jours pour sa réplique.

Les délais peuvent être modifiés aimablement par les parties.

§ 2. Lorsque les circonstances de la cause justifient l’aménagement des délais pour conclure, ceux-ci peuvent être fixés, à la demande d’au moins une des parties, par le président ou par le juge désigné par celui-ci.

La demande est adressée au président ou au juge désigné par celui-ci, par une requête contenant le motif pour lequel d’autres délais devraient être fixés et indiquant les délais sollicités. Elle est signée par l’avocat de la partie ou, à son défaut, par celle-ci et déposée au greffe, en autant d’exemplaires qu’il y a de parties en cause. Elle est notifiée par le greffier, sous pli judiciaire, aux parties et, le cas échéant, par lettre missive à leurs avocats.

Les autres parties peuvent, dans les quinze jours de l’envoi du pli judiciaire et dans les mêmes conditions, adresser leurs observations au président ou au juge désigné par celui-ci.

Dans les huit jours qui suivent soit l’expiration du délai prévu à l’alinéa précédent, soit, si la requête émane de toutes les parties à la cause, le dépôt de celle-ci le président ou le juge désigné par celui-ci statue sur pièces sauf s’il estime nécessaire d’entendre les parties, auquel cas celles-ci sont convoquées par pli judiciaire ; l’ordonnance est rendue dans les huit jours de l’audience.

Le président ou le juge désigné par celui-ci détermine les délais pour conclure et fixe la date de l’audience des plaidoiries. L’ordonnance n’est susceptible d’aucun recours.

Sans préjudice de l’application des exceptions prévues à l’article 748, §§ 1er et 2, les conclusions communiquées après l’expiration des délais déterminés à l’alinéa précédent sont d’office écartées des débats. Au jour fixé, la partie la plus diligente peut requérir un jugement contradictoire. »

Article 748

« (...) § 2. Si, durant le délai précédant la date fixée pour les plaidoiries, une pièce ou un fait nouveau et pertinent justifiant de nouvelles conclusions est découvert par une partie qui a conclu, celle-ci peut, au plus tard trente jours avant l’audience fixée pour les plaidoiries, demander à bénéficier d’un nouveau délai pour conclure. »

Article 751

« § 1. La partie la plus diligente peut requérir un jugement réputé contradictoire à l’égard de la partie qui est défaillante lors de l’introduction ou à une audience ultérieure ou qui n’a pas conclu dans le délai fixé, si elle a fait avertir cette partie des lieu, jour et heure où le jugement sera requis et de ce que ce jugement aura un caractère contradictoire même en son absence.

Au premier degré de juridiction, l’avertissement est donné par huissier de justice au défendeur qui n’a pas comparu à l’audience d’introduction ni à une audience ultérieure lorsque la citation n’a pas été signifiée au défendeur, soit à personne ou à domicile, soit conformément à l’article 38, § 1er. Dans les autres cas, l’avertissement est donné par le greffier sous pli judiciaire ; le cas échéant, le greffier avertit aussi, par simple avis, l’avocat de la partie. L’avertissement contient le texte du présent article.

A l’égard de la partie qui a comparu à l’audience d’introduction ou à une audience ultérieure, cet avertissement ne peut être donné qu’à l’expiration d’un délai d’un moins à partir de la communication des pièces.

La partie à laquelle l’avertissement est donné dispose d’un délai de deux mois à dater de la notification ou de la signification de l’avertissement pour déposer ses conclusions au greffe. Les conclusions déposées après l’expiration de ce délai sont d’office écartées des débats.

Néanmoins, si ce délai expire pendant les vacances judiciaires, il est prorogé jusqu’au quinzième jour de l’année judiciaire nouvelle.

§ 2. L’audience visée au § 1er, alinéa 1er, est fixée au plus tôt un mois et au plus tard deux mois après l’expiration du délai prévu au § 1er, alinéa 4.

Au plus tard dix jours avant la date prévue pour l’audience, la partie qui a requis l’application du présent article peut demander le renvoi de la cause au rôle. Dans le cas contraire, la cause est retenue à l’audience fixée ou, en cas d’encombrement du rôle, est remise pour être brièvement plaidée à une date rapprochée.

Si la partie qui a requis l’application du présent article dépose des conclusions avant le jour fixé, l’autre partie pourra demander le renvoi de la cause au rôle ou sa remise à date rapprochée.

En cas de remise de la cause, celle-ci a lieu sous le bénéfice de l’application du présent article. »

Article 1133

« La requête civile est ouverte pour les causes suivantes :

1° s’il y a eu dol personnel ;

2° si, depuis la décision, il a été recouvré des pièces décisives et qui avaient été retenues par le fait de la partie ;

3° si, entre les mêmes parties, agissant en mêmes qualités, il y a incompatibilité de décisions rendues sur le même objet et sur la même cause ;

4° si on a jugé sur pièces, témoignages, rapports d’experts ou serments reconnus ou déclarés faux depuis la décision ;

5° si la décision est fondée sur un jugement ou arrêt rendu en matière répressive qui a été ensuite annulé ;

6° si la décision est fondée sur un acte de procédure accompli au nom d’une personne, sans qu’elle ait soit donné mandat exprès ou tacite à cette fin, soit ratifié ou confirmé ce qui a été fait. »

Article 1136

« La requête civile est formée, à peine de déchéance, dans les six mois à partir de la découverte de la cause invoquée. »

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

83. Le requérant dénonce, de manière générale, la durée de la procédure d’examen de l’appel introduit contre le jugement en rétractation de la faillite du 6 septembre 1993, de celle visant à obtenir la libération entre ses mains des sommes détenues par le curateur (paragraphe 40 ci-dessus), de celle engagée suite à l’ordonnance du 17 mars 1994 (paragraphe 58 ci-dessus) et de celle mise en œuvre par la citation du 2 juillet 1996 (paragraphe 73 cidessus). Il allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

84. Le gouvernement défendeur soulève à cet égard une exception d’irrecevabilité motivée par le fait que cette disposition ne saurait trouver application dans la procédure en rétractation de la faillite et aux procédures relatives à l’exécution de la décision du 6 septembre 1993. En effet, le champ d’application de l’article 6 ne s’étend pas aux demandes de réouverture d’une procédure civile ayant débouché sur une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée (le Gouvernement se réfère à cet égard à la décision de la Commission du 5 avril 1974 Yannay c. Allemagne, requête n° 5495/72, Recueil 45, p. 54) et aux procédures qui en découlent, comme les procédures en exécution du jugement du 6 septembre 1993 opérant rétractation de la faillite.

85. Le requérant conteste cette thèse et relève que le jugement du 6 septembre 1993 génère des droits de caractère civil lorsqu’il ordonne, par voie exécutoire, la restitution du patrimoine et l’indemnisation du préjudice infligé.

86. Dans sa décision sur la recevabilité de la requête, la Cour avait décidé de joindre cette exception au fond de l’affaire. Elle admet que l’applicabilité de l’article 6 § 1 peut, à première vue, paraître sujette à caution. Selon la jurisprudence, l’article 6 de la Convention est, en effet, inapplicable à une procédure d’examen d’une demande tendant à la révision d’un procès civil (J.F. c. France (décision), n° 39616/98, 20.04.99). Or, la procédure en rétractation de la faillite, intentée par la voie de la requête civile, doit être assimilée à une procédure en révision. Dès lors, la procédure engagée le 23 avril 1990 ne pouvait donc, à l’origine, porter sur des droits et obligations de caractère civil au sens de l’article 6 de la Convention.

87. La Cour relève cependant qu’une procédure en révision peut comporter deux phases. La première consiste à examiner si les éléments présentés à l’appui de la demande de révision constituent des faits nouveaux de nature à justifier la réouverture d’une affaire qui s’est achevée par une décision ayant force de chose jugée. Dans l’affirmative s’ouvre une nouvelle phase : un nouvel examen global de l’affaire à la lumière de tous les éléments en ce compris les faits nouveaux. Si l’affaire présentait à l’origine un caractère pénal ou civil au sens de l’article 6, elle retrouve ce caractère du fait de la décision de réouverture de l’affaire puisque celle-ci implique un nouvel examen du fond.

88. La Cour constate à cet égard qu’en date du 6 septembre 1993, le tribunal de commerce a fait droit à la demande de rétractation et a procédé à un nouvel examen global de l’affaire à l’issue duquel elle a considéré qu’il n’y avait pas d’état de faillite en 1971. A partir du jugement du 6 septembre 1993 et à tout le moins jusqu’à la date de l’arrêt du 18 juin 1999 qui a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de rétracter le jugement du 14 septembre 1971, la procédure en rétractation de la faillite avait assurément un caractère civil et l’article 6 y trouvait donc application. Il en va de même des procédures introduites par le requérant en vue d’obtenir l’exécution du jugement du 6 septembre 1993 et de la demande de restitution mise en œuvre par la citation du 2 juillet 1996 (voir à cet égard mutatis mutandis Basic c. Autriche (décision), n° 37680/97, 16 mars 1999, CEDH 1999-II).

89. Au vu des considérations qui précèdent, la Cour estime que l’article 6 de la Convention a trouvé à s’appliquer aux procédures en cause.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION DU FAIT DE LA DURÉE DES PROCÉDURES EN CAUSE

90. Le requérant soutient que la prétendue complexité de l’affaire ne constitue qu’un leurre et résulte uniquement des agissements de J. et de l’O.N.S.S. qui tentent par tous les moyens de bloquer le litige principal soumis à la cour d’appel. Il ajoute qu’on ne saurait lui imputer aucun retard ou manque de diligence. Les diverses initiatives prises visaient uniquement à obtenir l’exécution du jugement du 6 septembre 1993, et étaient essentiellement dues à l’inertie volontaire des parties adverses. Si le requérant n’estime pas devoir diriger de reproches à l’égard du tribunal de commerce, il n’en va pas de même pour la cour d’appel. Non contente de ne pas apporter la diligence nécessaire à l’examen de l’affaire, celle-ci n’a donné aucune suite à ses diverses tentatives d’accélérer la procédure et a accepté les manœuvres de blocage intentionnel des parties adverses, et y a même coopéré.

91. Le Gouvernement relève que suite au jugement du 6 septembre 1993, le requérant a pris l’initiative d’engager diverses procédures aux fins de récupérer son patrimoine, mais que celles-ci se sont heurtées au caractère limité du dispositif du jugement et aux réactions de ses créanciers. Le dispositif du jugement, qui ne statuait que sur certains principes, ne comportait en effet aucune obligation immédiate pour le curateur de restituer tous les biens, non autrement précisés, ayant appartenu au requérant, puisque l’affaire avait été mise en continuation pour statuer notamment sur les « possibilités de restitution » en tenant compte des droits des créanciers. Par ailleurs, le requérant n’a pas agi avec toute la diligence nécessaire pour faire trancher la question de la rétractation de la faillite par la cour d’appel. S’il avait déposé le 31 janvier 1994 une requête en aménagement des délais, la cour d’appel a dû la déclarer irrecevable par arrêt du 2 juin 1994, après avoir constaté que cette demande n’était pas motivée comme la loi l’imposait et ne mentionnait pas les délais pour le dépôt de conclusions. Il n’a déposé ses premières conclusions que le 16 septembre 1994 et n’a pas à nouveau fait application de la procédure prévue à l’article 747 § 2 du Code judiciaire, se contentant de faire usage de l’article 751 du même code qui ne règle pas, en cas de dépôt de conclusions de la partie défaillante, le calendrier ultérieur de l’examen de l’affaire. Il n’a d’ailleurs fait usage de l’article 751 précité qu’environ deux ans après l’ouverture de la procédure d’appel. Le Gouvernement fait aussi valoir que l’examen de la procédure en référé introduite le 17 septembre 1993 ne fait apparaître aucun dépassement du délai raisonnable au sens de l’article 6 de la Convention. Il ajoute que cette procédure engagée en vue d’obtenir l’exécution du jugement du 6 septembre 1993 ne saurait prospérer, du fait des appels introduits contre le jugement précité, avant que la cour d’appel ne se soit prononcée sur ces appels.

92. La Cour a examiné, dans leur ensemble, les diverses procédures dénoncées par le requérant, qui ont été mises en œuvre suite au jugement du 6 septembre 1993. Elle rappelle en effet que ce n’est qu’à partir de cette date que l’article 6 de la Convention a trouvé à s’appliquer (paragraphes 88 et 89 ci-dessus).

93. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Papachelas c. Grèce [GC], n° 31423/96, § 35, CEDH 1999-II ; Richard c. France du 22 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998II, § 57, et Doustaly c. France du 23 avril 1998, Recueil 1998II, § 39) et suivant les circonstances de la cause, lesquelles commandent en l’occurrence une évaluation globale (cf., mutatis mutandis, arrêt Piccolo c. Italie, n° 45891/99, 7.11.00, § 10).

94. La Cour observe que la caractéristique essentielle de la principale des procédures en cause, à savoir la procédure d’appel du jugement du 6 septembre 1993, était sa très grande complexité. En effet, il se posait notamment la question de savoir, plus de vingt ans plus tard, si le requérant était en état de faillite le 14 septembre 1971 et, en cas de réponse négative, la question de la détermination de son patrimoine en 1971, sans compter la question du passif exigible à la même époque, que le tribunal avait réservée du fait de son caractère malaisé. Il en va de même des autres procédures en cause et, en particulier, celles portant sur les demandes d’exécution du jugement de rétractation de la faillite, puisqu’elles se heurtaient notamment aux difficultés d’établir le patrimoine du requérant.

95. S’agissant du comportement du requérant, la Cour estime qu’on ne saurait reprocher au requérant d’avoir fait usage des diverses possibilités procédurales que lui ouvrait le droit interne. Toutefois, le comportement d’un requérant constitue un élément objectif, non imputable à l’Etat défendeur et qui entre en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable de l’article 6 § 1 (arrêt Wiesinger c. Autriche du 30 octobre 1991, série A n° 213, § 57 ; arrêt Erkner et Hofauer du 23 avril 1987, série A n° 117, § 68). La Cour estime devoir tenir compte en premier lieu de ce que le requérant a multiplié les recours, dont certains se sont avérés sans objet ou inutiles. Il en va notamment ainsi de l’appel du jugement de faillite qui n’avait plus d’existence suite à la décision du 6 septembre 1993 et de ses demandes de faire poursuivre l’examen de l’action qu’il avait intentée le 25 avril 1990 par le tribunal de commerce de Nivelles, malgré l’effet dévolutif des appels contre le jugement du 6 septembre 1993. Ces initiatives du requérant ont ainsi indubitablement contribué à rendre l’affaire encore plus complexe et à allonger d’autant la durée globale des diverses procédures en cause. La Cour relève également que la procédure visant à obtenir la libération des sommes détenues par le curateur et celle engagée suite à l’ordonnance du 17 mars 1994 sont, selon les informations fournies, restées au rôle depuis respectivement mars 1997 et mars 1999, à défaut d’action des parties.

96. Quant au comportement des autorités judiciaires, la Cour rappelle d’abord que seules les lenteurs imputables à l’Etat peuvent amener à constater un dépassement du « délai raisonnable » (voir, notamment, l’arrêt Gergouil c. France du 21 mars 2000, n° 40111/98, § 19, et l’arrêt Papachelas précité, § 40). Elle n’a relevé, dans les différentes procédures en cause, aucune période importante d’inactivité imputable aux autorités internes, exception faite de la période qui s’est écoulée entre le 26 septembre 1995, date de la requête en fixation, et le 2 octobre 1997, date à laquelle l’audience fut finalement tenue (voir paragraphes 27 à 29 ci-dessus) dans la procédure d’appel contre le jugement du 6 septembre 1993. Ce laps de temps peut sembler de premier abord excessif. La Cour constate cependant que la cour d’appel de Bruxelles était au même moment saisie de la demande du requérant visant à obtenir la libération entre ses mains des sommes détenues par J., suite aux appels interjetés en avril 1995, et de la demande de l’O.N.S.S. de se voir autoriser à pratiquer une saisie-arrêt conservatoire entre les mains de J., suite à l’appel du 31 août 1995. La Cour rappelle à cet égard que l’article 6 de la Convention prescrit la célérité des procédures judiciaires, mais il consacre aussi le principe, plus général, d’une bonne administration de la justice (voir l’arrêt Boddaert c. Belgique du 12 octobre 1992, série A n° 235-D, p. 82, § 39).

97. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce, en raison notamment de la complexité de l’affaire, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3, 13 et 17 DE LA CONVENTION, AINSI QUE DE SON ARTICLE 6 § 1 DU FAIT DE LA PRÉTENDUE ABSENCE D’ÉQUITÉ

98. Dans ses écritures du 16 août 2000 intitulées « Mémoire en réponse », le requérant invite la Cour à constater que les circonstances de son affaire depuis 1971 prises dans leur ensemble, qui doivent être considérées comme faisant partie d’une seule et même procédure, démontre une violation volontaire et délibérée de ses droits protégés par les articles 3, 13 et 17 de la Convention, ainsi que par son article 6 § 1 en ce qu’il garantit le droit à un procès équitable.

99. La Cour rappelle qu’elle dispose de la plénitude de juridiction pour statuer sur le fond du litige, tel qu’il est délimité par sa décision sur la recevabilité ; à l’intérieur du cadre ainsi tracé, elle peut traiter toute question de fait ou de droit qui surgit pendant l’instance engagée devant elle (arrêt Iatridis c. Grèce [GC], n° 31107/96, § 69, CEDH 1999-II ; arrêt Erdagöz c. Turquie du 22 octobre 1997, Recueil 1997-VI, pp. 2310-2311, §§ 31-36). Or, elle note que seul le grief du requérant concernant la durée de certaines procédures a été déclaré recevable par décision du 9 mars 1999. En outre, elle a expressément déclaré, dans cette décision que l’on « ne saurait considérer les diverses procédures engagées par ou contre le requérant depuis 1971 comme une seule et même procédure ». Enfin, le grief du requérant sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention doit être considéré comme étant essentiellement le même que celui déclaré irrecevable par décision du 9 mars 1999.

100. La Cour n’a donc plus compétence pour connaître de ces griefs. Du reste, une décision d’irrecevabilité est définitive et insusceptible de recours (arrêt Helmers c. Suède du 29 octobre 1991, série A n° 212-A, § 25 ; arrêt Airey c. Irlande du 9 octobre 1979, série A n° 32, § 17).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1. Rejette l’exception préliminaire du Gouvernement et dit que l’article 6 § 1 de la Convention s’applique en l’espèce ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de cet article ;

3. Dit qu’elle n’a pas compétence pour examiner les griefs soulevés par le requérant dans ses écritures du 16 août 2000.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 avril 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président