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Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 52536/99
présentée par SOCIETE FRANGEO S.A.
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 15 mai 2001 en une chambre composée de

MM. L. Loucaides, président,
J.-P. Costa,
P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve,
M. M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 2 novembre 1999 et enregistrée le 10 novembre 1999,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

La requérante est une société anonyme qui a son siège social à Cannes. Elle est représentée devant la Cour par Me D. Foussard, avocat à Paris.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le 14 juin 1990, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Alpes Maritimes consentit à la requérante une ouverture de crédit en compte courant s’élevant à sept millions de francs. Cette somme était destinée à la réalisation d’un programme immobilier sur lequel une inscription hypothécaire fut consentie au profit de la Caisse. En contrepartie du prêt, la Caisse exigea le paiement d’une commission d’engagement ainsi que le paiement d’intérêts conventionnels. Des agios furent régulièrement prélevés sur le compte de la société.

Un différend surgit entre les parties, car, selon la requérante, les agios ne correspondaient pas aux intérêts effectivement dus et devaient être affectés, au moins pour partie, au remboursement du capital.

Le 27 mai 1993, la requérante saisit le tribunal de grande instance de Nice afin d’obtenir la constatation de la nullité de la stipulation d’intérêts et la commission d’un expert pour faire les comptes entre les parties.

Par un jugement du 13 avril 1993, le tribunal de grande instance de Nice se déclara incompétent au profit du tribunal de grande instance de Grasse.

Le 19 juillet 1993, la Caisse notifia à la requérante un commandement aux fins d’une saisie immobilière. Le 27 juillet, la requérante saisit le tribunal de grande instance de Grasse d’une opposition au commandement.

Le 10 novembre 1993, la requérante déposa un dire tendant à obtenir un sursis de la procédure de saisie jusqu’à ce que le tribunal, saisi de la contestation au fond, ait pu statuer. Le 10 janvier 1994, elle réitéra sa demande de sursis et demanda que la nullité de la stipulation d’intérêts soit constatée et que les agios débités soient imputés, au moins pour partie, sur le capital.

Le 24 mars 1994, le tribunal de grande instance de Grasse rejeta la demande de sursis et déclara irrecevables les conclusions du 10 janvier 1994.

Le 4 décembre 1996, la cour d’appel d’Aix-en-Provence déclara l’appel irrecevable.

Le 19 mai 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante. Elle jugea que les règles gouvernant la procédure avec mise en état n’étaient pas applicables en matière de saisie immobilière. Plus précisément, elle s’exprima ainsi : « la procédure suivie devant la cour d’appel en matière d’incident de saisie immobilière reste soumise aux conditions de forme et de délai prévues par l’article 732 du code de procédure civile qui sont incompatibles avec les dispositions du nouveau code de procédure civile relatives à l’instruction des affaires devant le conseiller de la mise en état ». En outre, elle rejeta le second moyen de la requérante selon lequel une demande en sursis, dans l’attente d’une décision sur la contestation au fond portée devant une autre juridiction, constituait un moyen au fond permettant un appel.

B. Le droit interne pertinent

L’article 731 du code de procédure civile dispose :

« Les jugements et arrêts rendus par défaut en matière d’incidents de saisie immobilière ne seront pas susceptibles d’opposition.

L’appel ne sera recevable qu’à l’égard des jugements qui auront statué sur des moyens de fond tirés de l’incapacité de l’une des parties, de la propriété, de l’insaisissabilité ou de l’inaliénabilité des biens saisis. »

L’article 732 de l’ancien code de procédure civile se lisait ainsi :

« L’appel sera signifié au domicile de l’avoué [avocat] et, s’il n’y a pas d’avoué [avocat], au domicile réel ou élu de l’intimé.

Il sera notifié en même temps au greffier du tribunal, visé par lui, et mentionné par lui au cahier des charges.

L’acte d’appel énoncera les griefs. Le tout à peine de nullité.

La cour statuera dans la quinzaine de l’acte d’appel. »

GRIEF

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint d’une atteinte à son droit à un procès équitable.

EN DROIT

La requérante allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente, se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

La requérante souligne que la procédure devant la cour d’appel s’est déroulée sous l’empire des règles gouvernant la procédure d’appel avec mise en état. La Cour de cassation a jugé que, compte tenu de la matière dont relevait le litige, la procédure devant la cour d’appel ne relevait pas des règles régissant la mise en état. Ainsi, il y a eu une volte-face au sein des juridictions nationales, qui a créé un malentendu et pris par surprise la requérante ; en effet, après avoir jugé la requérante selon les règles régissant la procédure de la mise en état, ces juridictions lui ont opposé qu’elle ne pouvait se prévaloir des règles qui lui avaient été appliquées.

De plus, la requérante soutient qu’elle a été privée de son droit à un recours effectif, car elle s’est vue imposer une procédure avec mise en état au cours de l’instance d’appel, mais ne disposait pas d’une voie de recours lui permettant de contester le principe de la mise en état ; elle était tenue, durant l’instance d’appel, de se conformer aux règles de procédure qui ont été choisies par le juge.

Enfin, la requérante soutient que les règles de procédure qui lui ont été appliquées n’étaient pas claires et intelligibles. La procédure de droit commun devant la cour d’appel comporte l’intervention d’un conseiller de la mise en état de l’affaire. Certes, quant aux appels qui peuvent être faits en matière de saisie immobilière, l’ancien article 731 du code de procédure civile pose quelques règles dérogatoires, mais en soi ces règles ne sont pas incompatibles avec une procédure de mise en état, à l’exception des points qu’elle tranche.

La Cour note que le tribunal de grande instance de Grasse n’a pas statué sur des moyens de fond tels qu’énumérés à l’ancien article 731 du code de procédure civile. La cour d’appel puis la Cour de cassation ont, par une appréciation qui relève de la marge d’appréciation et de la règle selon laquelle les juridictions nationales sont le mieux à même d’interpréter et d’appliquer le droit interne, estimé que cet article s’appliquait et qu’il était incompatible avec les dispositions du nouveau code de procédure civile invoquées par la société requérante. Or, il n’appartient pas à la Cour de censurer leur appréciation. A cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il ne lui appartient de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (Garcia Ruiz c. Espagne, [GC] n° 30544/96, § 28, CEDH 1999I).

Enfin, si la cour d’appel puis la Cour de cassation ont parlé à tort de l’article 732 du code de procédure civile (ancien), au lieu de l’article 731, il s’agit là d’une erreur de plume, sans influence sur leur raisonnement et le sens de leurs décisions. La Cour note d’ailleurs que, dans sa requête devant elle, le requérant commet la même erreur.

En conséquence, la Cour conclut que la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

S. Dollé L. Loucaides              Greffière              Président