Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
21.3.2002
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ENTREPRISES METON ET ETEP c. GRÈCE

(Requête n° 47730/99)

ARRÊT

STRASBOURG

21 mars 2002

DÉFINITIF

21/06/2002

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Entreprises Meton Et Etep c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mme F. Tulkens, présidente,
M. C.L. Rozakis,
Mme N. Vajić,
M. E. Levits,
Mme S. Botoucharova,
MM. A. Kovler,
V. Zagrebelsky, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 février 2002,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 47730/99) dirigée contre la République hellénique et dont deux sociétés anonymes ayant leur siège dans cet Etat, les Entreprises Meton et Etep (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 19 avril 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérantes sont représentées devant la Cour par Me I. Stamoulis, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme V. Pelekou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Les requérantes alléguaient une violation du délai raisonnable de la procédure, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

4. Par une décision du 15 mars 2001, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

5. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

6. Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

7. Dans les années 1980, les sociétés requérantes avaient conclu des contrats pour l’exécution des travaux publics en Libye. Dans le cadre de ces contrats, l’Etat libyen exigea des cautions. Les requérantes demandèrent alors à deux banques libyennes, correspondantes de la Banque Nationale de Grèce (banque contrôlée entièrement par l’Etat), de se porter caution. Les banques libyennes sollicitèrent la Banque Nationale de Grèce pour qu’elle se porte garante des requérantes qui déposèrent à cet effet auprès de sa succursale britannique le montant 6 147 594 dollars américains. Il fut convenu que ce dépôt porterait intérêt et serait sous caution, de telle sorte que ladite banque soit couverte au cas où les requérantes ne s’acquitteraient pas de leurs obligations envers l’Etat libyen. Les requérantes conclurent un contrat avec la Banque Nationale de Grèce reproduisant les termes de cet accord.

8. En 1989, et après avoir accompli les formalités nécessaires auprès des douanes libyennes, les requérantes rendirent les lettres de caution émises par les banques libyennes, libérant ainsi la Banque Nationale de Grèce de son obligation de caution. Par deux lettres des 31 octobre et 6 novembre 1989 rendant les lettres de caution, les requérantes demandèrent à la Banque Nationale de Grèce de restituer le dépôt fait auprès de sa succursale et dont le montant s’élevait à 7 940 498 dollars américains, intérêt compris.

9. Toutefois, ladite banque ne s’exécuta pas et ce, nonobstant une lettre des requérantes en date du 19 décembre 1989.

10. Le 29 janvier 1993, les requérantes saisirent alors le tribunal de grande instance d’Athènes. Une audience, fixée initialement au 7 avril 1993, eut lieu le 28 avril 1993.

11. Les requérantes soutiennent que, pendant les débats, la Banque Nationale de Grèce admit qu’elle était obligée de restituer le montant déposé comme caution, mais soutint, dans un but de tergiversation, qu’elle avait certaines créances envers les requérantes, indépendantes des lettres de caution, d’un montant de 4 600 000 dollars américains et proposa leur compensation.

12. Par un jugement avant-dire droit (n° 3866/1993) du 30 juin 1993, le tribunal de grande instance considéra que la Banque Nationale de Grèce avait légalement soulevé l’exception relative à la compensation. Il ajourna alors les débats et invita ladite banque à prouver ses allégations par des témoignages. Il décida que deux témoins au maximum devaient comparaître pour chaque partie, dont les dépositions devaient être complétées dans un délai des trois mois à compter de la notification de la citation. Le jugement fut mis au net et certifié conforme en avril 1994.

13. Le 10 mai 1994, les requérantes invitèrent le juge rapporteur à fixer la date de l’audition des témoins. Celui-ci la fixa au 20 septembre 1994, juste après la période des vacances judiciaires (du 1er juillet 1994 au 15 septembre 1994).

14. Le 20 septembre 1994, les avocats des deux parties comparurent devant le juge rapporteur et lui notifièrent les noms des témoins. L’avocat de la banque sollicita et obtint, avec le consentement de l’avocat des requérantes, un ajournement au 6 décembre 1994. A cette date, le premier témoin proposé par la banque fut interrogé pendant une heure. Toutefois, comme la déposition n’était pas complète, le juge rapporteur l’ajourna au 14 février 1995, puis au 4 avril 1995, date à laquelle l’avocat de la banque, avec le consentement de celui des requérantes, obtint un nouveau report au 6 juin 1995. A cette date, l’audition dudit témoin se poursuivit, mais le juge rapporteur l’ajourna au 24 octobre 1995, en raison des vacances judiciaires, puis au 9 janvier 1996, et par la suite à la demande des avocats des parties au 12 mars 1996. A cette date, l’audition du premier témoin s’acheva et le juge rapporteur fixa la date d’audition du second au 21 mai 1996. Celle-ci se poursuivit le 25 juin 1996, puis le 19 novembre 1996 et, à la demande des avocats des parties, les 21 janvier et 15 avril 1997. Le juge rapporteur l’ajourna encore aux 30 septembre et 9 décembre 1997, date à laquelle l’audition du deuxième témoin prit fin. Le juge rapporteur invita alors le troisième témoin à comparaître le 17 mars 1998. L’audition de celui-ci eut lieu les 9 juin et 24 novembre 1998 et, à la demande des avocats des parties, le 23 mars 1999. Non achevée, le juge rapporteur la reporta au 28 septembre 1999.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

15. Les requérantes allèguent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, qui, dans sa partie pertinente, se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

16. Le Gouvernement souligne le bref laps de temps qui s’est écoulé entre la saisine du tribunal de grande instance et la date à laquelle celui-ci a rendu le jugement avant-dire droit (cinq mois et cinq jours). Il ressort des conclusions présentées par les parties, que le tribunal était invité à examiner un grand nombre de questions de droit et de fait très complexes, notamment l’allégation de la banque, selon laquelle celle-ci avait également une créance à l’encontre des requérantes et qu’il pourrait y avoir compensation. Le Gouvernement affirme que le tribunal fut contraint d’ordonner un complément d’instruction, car la question de la saisie conservatoire des dépôts bancaires et la compensation entre de tels dépôts était très controversée dans la doctrine et la jurisprudences grecques et la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence en 1999.

17. En outre, le Gouvernement rappelle qu’en matière civile, l’administration des preuves dépend de l’initiative des parties. Or, en l’espèce, les requérantes ont contribué à la longueur de la procédure : alors que le jugement n° 3866/1993 avait été rendu le 30 juin 1993, les requérantes invitèrent le juge rapporteur à ouvrir la procédure d’audition des témoins le 10 mai 1994 seulement. En raison des vacances judiciaires (du 1er juillet 1994 au 15 septembre 1994), le juge rapporteur fixa la date du début de cette audition au 20 septembre 1994. Le Gouvernement procède à une analyse détaillée et chronologique de la procédure pour démontrer que le plus grand nombre d’ajournements est imputable aux requérantes. Le retard accumulé par les demandes répétées d’ajournements des requérantes s’élève à deux ans, un mois et dix-sept jours. De la durée totale de la procédure, il faudrait également déduire les périodes de vacances judiciaires (un an et quinze jours). En résumé, seule une période de trois ans et vingtdeux jours serait imputable aux autorités judiciaires, ce qui ne serait pas excessif compte tenu de la complexité de l’affaire.

18. Les requérantes soutiennent que les questions sur lesquelles le tribunal avait ordonné le complément d’instruction n’étaient pas complexes et que la déposition des quatre témoins aurait pu se dérouler en trois ou quatre heures. Si la procédure d’audition des témoins a débuté quinze mois après le prononcé du jugement avant-dire droit, cela est dû au retard qu’ont pris les autorités à mettre au net et à certifier ce jugement. De plus, la direction des débats en matière de preuves ainsi que la fixation des dates pour l’audition des témoins relèvent de la compétence exclusive du juge rapporteur. En outre, l’article 147 § 3 du code de procédure civile prévoit que l’administration des preuves commencé avant le début des vacances judiciaires se poursuive pendant celles-ci, sauf entre le 1er et le 31 août.

19. La Cour note que la procédure a débuté le 29 janvier 1993, avec la saisine du tribunal de grande instance, et est toujours pendante devant lui. Elle s’étend donc déjà sur plus de neuf ans pour une seule instance.

20. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et, eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Di Pede c. Italie du 26 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, § 27), critères qui, en l’occurrence, appellent une appréciation globale.

21. La Cour note que, par un jugement avant-dire droit du 30 juin 1993, le tribunal de grande instance ordonna un complément d’instruction, notamment la déposition de quatre témoins. Or, le 23 mars 1999, le tribunal avait entendu deux témoins seulement et entamait l’audition du troisième.

22. La Cour note de surcroît que le jugement précité du tribunal fut rendu le 30 juin 1993 et mis au net en avril 1994, de sorte que la procédure d’audition des témoins n’a pu commencer que le 20 septembre 1994. A compter de cette date et jusqu’au 23 mars 1999, la Cour a relevé dix-neuf ajournements de la procédure, dus aussi bien aux parties devant le tribunal qu’au juge rapporteur. Tout en reconnaissant la contribution des requérantes à la longueur de la procédure, la Cour estime que cinq ans pour l’audition des trois témoins excède le « délai raisonnable » de l’article 6 § 1, d’autant plus que la fixation des dates relève de la compétence du juge rapporteur.

23. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

24. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

25. Pour dommage matériel, les requérantes sollicitent 3 976 328 dollars américains (4 601 166,04 EUR), plus 7 634 496 dollars (8 834 177,27 EUR) d’intérêts, sommes qui correspondraient respectivement à celle que le tribunal aurait dû accorder à la première requérante (contre laquelle la partie adverse n’avait pas introduit une demande de compensation) et au préjudice subi du fait que la première requérante a dû emprunter une somme considérable à la banque.

26. Pour dommage moral, les requérantes réclament 20 000 000 drachmes (GRD) (58 694,06 EUR).

27. Le Gouvernement souligne que les sommes réclamées au titre du préjudice matériel font encore l’objet du litige devant les juridictions grecques et n’ont pas de lien de causalité avec le dépassement du délai raisonnable. Enfin, il considère que le dommage moral allégué est excessif.

28. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation de l’article 6 § 1 et le préjudice matériel subi par les requérantes. Quant au préjudice moral, la Cour rappelle qu’elle n’a pas exclu qu’il puisse y avoir, pour une société commerciale, un dommage autre que matériel appelant une réparation pécuniaire et qui pourrait comporter des éléments tels que la réputation de l’entreprise, les troubles causés à sa gestion, ainsi que l’angoisse et les désagréments soufferts par les membres des organes de la direction de la société (Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], n° 35382/97, § 35, CEDH 2000).

29. Dans la présente affaire, le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du délai raisonnable a dû causer, dans le chef des requérantes, des désagréments considérables et une incertitude prolongée, ne serait-ce qu’en les obligeant à recourir à des emprunts et à verser des mensualités importantes à la banque, comme le soulignent les requérantes. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour alloue aux requérantes la somme de 4 000 EUR pour le dommage subi.

B. Frais et dépens

30. Les requérantes réclament 238 579 dollars américains (276 069,02 EUR) pour les honoraires d’avocat devant le tribunal de grande instance et 15 000 000 GRD (44 202,54 EUR) pour ceux devant la Cour.

31. Le Gouvernement soutient que les premiers n’ont pas été versés en raison du délai déraisonnable de la procédure et que les seconds sont excessifs.

32. Pour ce qui est des honoraires afférents à la procédure devant le tribunal de grande instance, la Cour note qu’ils ne sont pas liés au grief qui a donné lieu au constat de violation susmentionné. Par conséquent, la Cour n’accorde aucun dédommagement à ce titre. S’agissant du remboursement des honoraires au titre de la procédure devant la Cour, celle-ci note que les requérantes produisent deux factures qui attestent de la réalité de ces honoraires. Toutefois, la Cour estime que leur taux est déraisonnable, compte tenu de la nature du grief dont la Cour a eu à connaître quant au fond de l’affaire. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour accorde 5 000 EUR de ce chef.

C. Intérêts moratoires

33. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux dintérêt légal applicable en Grèce à la date dadoption du présent arrêt est de 6 % lan.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille) pour dommage moral, et 5 000 EUR (cinq mille) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;

b) que ces montants seront à majorer dun intérêt simple de 6 % lan à compter de lexpiration dudit délai et jusquau versement ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 mars 2002 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Françoise Tulkens
Greffier adjoint Présidente