Přehled
Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 38418/97
présentée par A.K. et V.K.
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 3 décembre 2002 en une chambre composée de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. M. Pellonpää,
M. A. Pastor Ridruejo,
Mme E. Palm,
M. R. Türmen,
M. M. Fischbach,
M. J. Casadevall, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 22 juillet 1997,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1937 (A.K.) et 1977 (V.K.), et résidant à Varto. Ils sont représentés devant la Cour par Me S. Kaya, avocat à Ankara.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 20 novembre 1994, B.K., le fils et frère des requérants, fut appréhendé par les agents de la direction de la sûreté de Varto et placé en garde à vue. Il lui fut reproché de porter assistance à une organisation illégale, à savoir le PKK.
Le 22 novembre 1994, le procureur de la République de Varto prolongea la garde à vue du requérant de sept jours, soit jusqu’au 29 novembre 1994.
Le rapport médical établi le même jour par un médecin de l’hôpital de Varto ne mentionna aucune trace de coups et blessures sur le corps de B.K
Le 28 novembre 1994 vers 11 heures, B.K. fut trouvé pendu dans sa cellule. Le procès-verbal d’incident établi le même jour, à 11 h 20, fit état de ce que l’agent de police responsable des locaux, lors de la mise en garde à vue d’un prévenu, avait remarqué que B.K. s’était pendu et avait averti ses supérieurs de l’incident. Il fut mentionné que celui-ci avait attaché sa chemise nouée à une corde noire aux tuyaux de chauffage. Les policiers en avisèrent la direction de la sûreté ainsi que la préfecture de la province de Muş.
Toujours le 28 novembre 1994, le procureur de la République déclencha une enquête ; il se rendit sur les lieux et interrogea les policiers de la direction de la sûreté de Varto ainsi que deux des prévenus se trouvant dans les cellules voisines en qualité de témoins. Il ne jugea pas nécessaire de procéder à une autopsie classique du défunt. Celui-ci fit l’objet d’un examen externe par un médecin légiste, dont le rapport fit état d’une enflure de 3 x 1 cm sur la partie droite de l’os occipital, de traces laissées par la corde autour du cou et vers l’oreille gauche, une hypérémie de 1 x 1cm et une lésion avec croûte de 0,5 x 0,3 cm sur le genou gauche ainsi qu’une hypérémie sur la cheville droite. Le médecin constata qu’aucune trace de coups et de blessures n’était décelée sur le corps du défunt, que l’enflure décelée sur le crâne n’était pas de nature à provoquer la mort et que la cause du décès était l’asphyxie suite à la pendaison. Ce rapport mentionna en outre que le pantalon du défunt n’avait pas de ceinture et que celui-ci portait comme sous-vêtement un short avec élastique et un jogging, en plus d’un élastique avec deux trous servant à passer une cordelette pour serrer la taille. Des photos furent prises lors de l’examen du corps.
Le rapport du 22 mars 1995 de la section spécialisée en examens physiques de l’Institut de médecine légale (Adli tıp kurumu fizik incelemeler ihtisas dairesi) fit état de ce qu’une des manches de la chemise de B.K. avait été déchirée et nouée à l’autre avec trois bouts de corde, deux de 65 cm de long, la troisième de 20 cm. Il indiqua que la corde utilisée avait la résistance nécessaire pour pouvoir être utilisée dans l’incident.
Le rapport du 7 août 1995 de la section spécialisée en analyses chimiques et toxicologiques de l’Institut de médecine légale (Kimyasal tahliller ihtisas dairesi/toksikoloji) indiqua qu’aucun produit toxique n’avait été trouvé sur les tissus déjà détériorés.
Le rapport du 13 septembre 1995 de la section spécialisée de la morgue de l’Institut de médecine légale (Adli tıp kurumu morg ihtisas dairesi ) fit état de ce que le corps de B.K. avait été exhumé, que, les tissus mous ayant été détériorés, il n’était pas possible de déceler des traces de pendaison sur le cou et que l’examen des ossements n’avait révélé aucune lésion traumatique.
Le 29 septembre 1995, le procureur de la République de Varto envoya le dossier d’enquête à l’Institut de médecine légale et demanda une expertise médico-légale afin de déterminer si, lors de sa garde à vue, B.K. s’était pendu ou s’il avait été mis à mort par strangulation
Le collège composé d’un président et de cinq membres médecins légistes examina les éléments du dossier et conclut, à l’unanimité, dans son rapport du 27 mars 1996 comme suit :
« - dans des cas judiciaires, il est obligatoire de procéder à une autopsie en ouvrant les trois cavités du corps ; même si on ne décèle pas de changement traumatique sur l’épiderme, il est opportun d’aller jusqu’au derme en vue de chercher d’éventuels changements dans les tissus profonds et de faire un examen histopathologique ; ainsi, dans le cas d’espèce, à défaut d’une autopsie suscitée, les examens nécessaires n’ont pas été réalisés et l’acte judiciaire n’a pas pu être complété ;
- il ressort de l’examen toxicologique qu’aucun produit toxique n’a été décelé sur les tissus détériorés relevés sur le corps du défunt suite à l’exhumation ; ainsi, faute d’élément de preuve médicale, on ne saurait établir que la mort a été causée par l’empoisonnement ;
- malgré l’absence d’autopsie, il ressort de l’examen externe du corps, des photos, du lieu de l’incident, de la position du corps et de l’hémorragie décelée sur les yeux que la mort a été causée par une asphyxie mécanique suite à la pendaison ; vu l’absence de preuve médicale, on ne pourrait en déduire que le défunt aurait été pendu par des tiers qui auraient utilisé la force ou qu’il aurait été tué avant d’être pendu. »
Le 20 mai 1996, la première requérante porta plainte auprès du parquet de Varto contre les responsables de la garde à vue de B.K. Elle allégua que celui-ci était mort suite à des tortures infligés par les policiers de la direction de la sûreté de Varto.
Dans le cadre de l’enquête entamée d’office suite à l’incident, le 3 juin 1996, le procureur de la République de Varto, se basant sur les constatations des médecins légistes, rendit une ordonnance de non-lieu et considéra que le défunt s’était suicidé.
Le 9 juillet 1996, réitérant ses considérations formulées dans l’ordonnance du 3 juin 1996, le parquet de Varto rendit une ordonnance de non-lieu quant à la plainte de la première requérante. Selon le parquet, aucune preuve dans le dossier ne révélait que les forces de l’ordre avaient tué B.K. Le parquet annexa l’ordonnance de non-lieu du 3 juin 1996 à cette décision.
Le 5 août 1996, la première requérante attaqua cette ordonnance devant le président de la cour d’assises de Bitlis. Celui-ci, statuant sur le dossier qui lui avait été soumis, rejeta l’opposition le 29 août 1996. Cette décision fut notifiée aux requérants le 16 juin 1997.
Le Gouvernement a produit une copie d’une déclaration manuscrite, signée par B.K. et datée du 23 novembre 1994, dans laquelle celui-ci énumérait les noms des personnes ayant porté aide et soutien à l’organisation terroriste et dont il relatait les activités au sein de celle-ci.
B. Le droit interne pertinent
Le code pénal réprime toutes formes d’homicide (articles 448 à 455) et de tentative d’homicide (articles 61 et 62). Il érige aussi en infraction le fait pour un agent public de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements).
Les articles 151 à 153 du code de procédure pénale régissent les obligations incombant aux autorités quant à la conduite d’une enquête préliminaire au sujet des faits et omissions susceptibles de constituer pareilles infractions que l’on porte à leur connaissance. S’il existe des indices qui mettent en doute le caractère naturel d’un décès, les agents des forces de l’ordre qui en ont été avisés sont tenus d’en faire part au procureur de la République ou au juge du tribunal correctionnel (article 152).
Le procureur qui, de quelque manière que ce soit, est avisé d’une situation permettant de soupçonner qu’une infraction a été commise est obligé d’instruire les faits afin de décider s’il y a lieu ou non de lancer l’action publique (article 153 du code de procédure pénale).
GRIEFS
Invoquant les articles 2 et 3 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que B.K. est décédé lors de sa garde à vue, suite à des tortures que les policiers lui auraient infligées. Ils prétendent que les policiers, qui ont par la suite déclaré que celui-ci s’était suicidé, ne disent pas la vérité.
Les requérants allèguent que B.K. a fait l’objet d’une détention arbitraire et qu’il n’a pas été aussitôt traduit devant une autorité judiciaire. Ils soutiennent que les policiers n’ont, à aucun moment, informé le parquet de la mise en garde à vue de B.K. Ils invoquent l’article 5 de la Convention.
Les requérants se plaignent de ce que le caractère insuffisant de l’enquête menée par le parquet sur le décès de B.K. les a privés de l’accès à un tribunal, au mépris du droit garanti par l’article 6 de la Convention.
Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants dénoncent également l’absence de mécanisme efficace auquel ils auraient pu recourir pour obtenir que soient établies les circonstances dans lesquelles s’est produite la mort de leur proche.
EN DROIT
A. Sur la violation alléguée des articles 2, 3, 6 et 13 de la Convention
Les requérants se plaignent de la violation des articles 2, 3, 6 et 13 de la Convention, ainsi libellés :
Article 2
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;
c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 6 § 1
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Le Gouvernement soutient que les allégations des requérants sont dénuées de fondement. Il fait valoir que dans la présente requête les rapports médicaux étaient catégoriques quant à la cause de la mort et écartaient toute éventualité d’une mort antérieure à l’incident. Le Gouvernement réfute toute responsabilité, que ce soit sous la forme d’une faute de service ou d’une quelconque négligence, et souligne le caractère complet de l’enquête menée par les autorités nationales
Les requérants réitèrent leurs allégations. Ils font valoir que les faits qui se sont déroulés entre l’arrestation de B.K et son décès dans sa cellule n’ont jamais été établis avec précision par les autorités chargées de l’enquête. Ils dénoncent l’absence d’une autopsie classique et font valoir qu’il n’a pas été établi que les lésions observées sur le corps de B.K. provenaient seulement d’une asphyxie par pendaison ; ils relèvent également que la cordelette utilisée n’était pas mentionnée dans le procès-verbal de fouille. Les requérants soutiennent que l’audition de deux prévenus, A.R.B. et K.G., détenus dans les mêmes locaux que le défunt, apporteraient des éclaircissements sur les faits de la cause.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ces griefs posent d’importantes questions de fait et de droit au regard de la Convention qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ces griefs ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
B. Sur la violation alléguée de l’article 5 de la Convention
Les requérants allèguent que B.K. a fait l’objet d’une détention arbitraire et qu’il n’a pas été aussitôt traduit devant une autorité judiciaire.
D’après le Gouvernement, les requérants n’ont pas soulevé ces griefs, ni formellement ni en substance, devant les instances internes.
La Cour n’est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués par les requérants révèlent l’apparence d’une violation desdites dispositions. En effet, l’article 35 § 1 de la Convention prévoit que la Cour ne peut être saisie que « dans un délai de six mois à partir de la décision interne définitive ».
En effet, la Cour relève que la garde à vue de B.K. étant conforme à la législation interne, les requérants ne disposaient d’aucune voie de recours pour contester la légalité et la durée de la garde à vue (voir, mutatis mutandis, Sakık et autres c. Turquie, arrêt du 26 novembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII, § 53). La Cour se réfère à sa jurisprudence bien établie selon laquelle, en l’absence de voies de recours internes, le délai de six mois court à partir de l’acte incriminé dans la requête (voir, entre autres, M.J. c. Royayme-Uni, no 10389/83, décisions de la Commission du 17 juillet 1986, Décisions et rapports 47, p. 72). En l’espèce le délai de six mois commence à courir le 28 novembre 1994, date du décès de B.K., alors que la requête a été introduite le 22 juillet 1997. Cette partie de la requête est donc tardive et doit être rejetée, conformément à l’article 35 § 1 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare recevables, tous moyens de fond réservés, les griefs des requérants tirés des articles 2, 3, 6 et 13 de la Convention ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Michael O’Boyle Nicolas Bratza
Greffier Président