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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
3.4.2003
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ESTEVES c. PORTUGAL

(Requête no 53534/99)

ARRÊT

STRASBOURG

3 avril 2003

DÉFINITIF

03/07/2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Esteves c. Portugal,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Caflisch, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
B. Zupančič,
J. Hedigan,
Mme H.S. Greve,
M K. Traja, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 mars 2002 et
13 mars 2003,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 53534/99) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet Etat, M. José Augusto Esteves (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 octobre 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). M. Esteves est décédé le 20 février 2001. Le 7 mars 2002, la Cour a reconnu à ses héritiers, soit sa veuve, Mme Maria de Lurdes Rodrigues, et ses enfants, MM. Abílio Esteves, Joaquim Esteves et Mmes Margarida Esteves Oliveira, Rosa Helena Esteves et Maria de Fátima Esteves Rodriguez Costa Gonzalez, tous des ressortissants portugais, qualité pour se substituer au requérant dans le cadre de la présente procédure. Pour des raisons d'ordre pratique, le présent arrêt continuera à désigner M. Esteves comme étant le « requérant », bien qu'il faille aujourd'hui attribuer cette qualité à sa veuve et à ses cinq enfants.

2. Le requérant est représenté devant la Cour par Me A. Alves, avocat à Braga. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») était représenté jusqu'au 25 février 2003 par son agent, M. A. Henriques Gaspar, Procureur général adjoint, et à partir de cette date par son nouvel agent, M. J. Miguel, également Procureur général adjoint.

3. Le requérant alléguait que la durée d'une procédure civile à laquelle il était partie avait dépassé le délai raisonnable.

4. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

5. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

6. Par une décision du 7 mars 2002, la Cour a déclaré la requête recevable.

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

8. Le requérant, né en 1921 et décédé en 2001, résidait à Melgaço (Portugal).

9. Le 5 mai 1994, le requérant introduisit devant le tribunal de Lisbonne une demande en réparation des préjudices causés par la prétendue inexécution d'une promesse de vente d'un appartement.

10. Après un échange d'observations écrites entre les parties, le juge rendit, le 21 décembre 1994, une décision préparatoire (despacho saneador) spécifiant les faits déjà établis et ceux restant à établir.

11. Par une ordonnance du 17 octobre 1995, le juge fixa l'audience au 12 février 1996. Toutefois, l'audience n'eut pas lieu à cette dernière date en raison de l'absence des avocats des parties. Elle eut lieu le 21 octobre 1996.

12. Par un jugement rendu le 16 novembre 1999, le tribunal fit partiellement droit au requérant.

13. Le 24 novembre 1999, le requérant fit appel de ce jugement devant la cour d'appel (Tribunal da Relação) de Lisbonne. Par un arrêt du 2 novembre 2000, la cour d'appel accueillit partiellement le recours. La défenderesse se pourvut en cassation mais le juge rapporteur à la cour d'appel, par une ordonnance du 23 novembre 2000, déclara le recours irrecevable.

14. Le 14 novembre 2000, le requérant avait introduit devant le tribunal de Lisbonne une procédure d'exécution de l'arrêt de la cour d'appel.

15. Suite au décès du requérant, survenu le 20 février 2001, ses héritiers déposèrent, le 4 septembre 2001, une demande visant à se substituer à ce dernier en tant que partie demanderesse. Cette demande fut acceptée par le juge à une date non précisée.

16. La procédure est toujours pendante devant le tribunal de Lisbonne.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

17. Le requérant dénonce la durée de la procédure. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé:

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

18. La période à considérer a commencé le 5 mai 1994, date de la saisine du tribunal de Lisbonne par le requérant. Elle demeure inachevée à ce jour, compte tenu de la procédure d'exécution introduite entre-temps, laquelle doit également être prise en considération afin d'examiner le caractère raisonnable de la procédure (Silva Pontes c. Portugal, arrêt du 23 mars 1994, série A no 286-A, p. 14, §§ 36-38).

19. La durée en cause est donc de huit ans et dix mois.

20. Pour rechercher s'il y a eu dépassement du délai raisonnable, il y a lieu d'avoir égard aux circonstances de la cause et aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (Silva Pontes précité, p. 15 § 39).

21. Pour le requérant, la durée en cause est manifestement excessive.

22. Le Gouvernement reconnaît que le prononcé du jugement du tribunal de Lisbonne a eu lieu tardivement. Il se réfère à cet égard à la surcharge exceptionnelle du rôle de ce tribunal, qui est saisi d'environ un tiers du nombre total de procédures civiles engagées au niveau national.

23. La Cour prend note de la position du Gouvernement ainsi que de ses explications. Elle ne saurait toutefois accepter un délai d'inactivité totale de plus de trois ans, entre l'audience du 21 octobre 1996 et le jugement du
16 novembre 1999. Ce délai suffit, à lui seul, à conclure au dépassement du délai raisonnable.

24. S'agissant de la surcharge du rôle du tribunal de Lisbonne, la Cour réaffirme qu'il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (voir Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000-IV).

25. Il y a donc eu violation de l'article 6 § 1.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

26. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

27. Les héritiers du requérant demandent 29 927,87 euros (EUR) pour le préjudice moral subi par leur parent et par eux-mêmes. Le Gouvernement estime cette somme excessive.

28. La Cour admet que le requérant, ainsi que ses héritiers, a subi un tort moral justifiant l'octroi d'une réparation. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle alloue aux héritiers du requérant 5 000 EUR.

B. Frais et dépens

29. Les héritiers du requérant demandent à ce titre 2 000 EUR. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour.

30. La Cour juge raisonnable d'octroyer à ce titre aux héritiers du requérant 1 250 EUR.

C. Intérêts moratoires

31. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser aux héritiers du requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral et 1 250 (mille deux cent cinquante euros) pour frais et dépens ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 avril 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Lucius Caflisch
Greffier Président