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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
29.7.2003
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SANTONI c. FRANCE

(Requête no 49580/99)

ARRÊT

Cet arrêt a été révisé conformément à l’article 80 du règlement de la Cour

par un arrêt prononcé le 1 juin 2004

STRASBOURG

29 juillet 2003

DÉFINITIF

29/10/2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Santoni c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
M. Ugrekhelidze,
Mme A. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 juillet 2003,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 49580/99) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jean-Dominique Santoni (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 juillet 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me Gilbert Collard, avocat au barreau de Marseille. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des affaires juridiques au Ministère des Affaires Étrangères.

3. Le 29 janvier 2002, la deuxième section a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

4. Le requérant réside à Mezzavia.

5. Le 1er octobre 1986, le requérant fut victime d’un accident du travail, alors qu’il était engagé en qualité de stagiaire au sein des établissements Électricité de France – Gaz de France (EDF-GDF).

6. Le 15 février 1988, le requérant saisit le président de la caisse mutuelle complémentaire et d’action sociale du centre EDF-GDF de Corse pour voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur. Le 2 mars 1988, celle-ci se déclara incompétente en matière d’accident du travail, ce domaine relevant de la sécurité sociale. Le requérant saisit la commission de recours amiable de la caisse primaire d’assurance maladie. Le 16 mars 1988, elle prit une décision de rejet, au motif que le requérant devait présenter une telle demande à son administration. Le requérant contesta cette décision devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). Ce dernier informa la direction du personnel et des relations sociales d’EDF-GDF que le requérant estimait qu’une faute inexcusable de son employeur était à l’origine de son accident.

7. Par lettre du 4 août 1988, la direction du personnel informa le requérant que c’était à tort qu’il avait saisi le régime général de la sécurité sociale puis le TASS, puisqu’il dépendait du régime spécial de sécurité sociale des industries électriques et gazières. Elle lui expliqua également qu’une fois ses blessures consolidées, son unité transmettrait son dossier au secrétariat des commissions nationales d’incapacité et d’accident du travail (SCNIAT), pour être soumis à la commission nationale des rentes (CNR) chargée d’émettre un avis sur le montant de la rente ainsi que sur une éventuelle faute inexcusable de l’employeur.

8. Le 4 janvier 1989, l’état de santé du requérant fut consolidé.

9. Le 7 février 1990, le requérant envoya une lettre au SCNIAT d’EDF-GDF, invoquant une faute inexcusable de son employeur. Le 16 février 1990, le SCNIAT avisa le requérant que son affaire serait examinée par la CNR et qu’une décision serait ensuite prise par le directeur général d’EDF.

La procédure portant sur l’attribution d’une rente

10. Le 15 avril 1991, le SCNIAT notifia au requérant sa décision, prise après avis de la commission médicale des rentes et de la CNR rendus respectivement les 7 décembre 1990 et 6 mars 1991, d’estimer son incapacité de travail à 31 % et de lui attribuer une rente d’incapacité permanente évaluée à 15,5 %.

11. Le 19 avril 1991, le requérant forma un recours contre cette décision devant la commission régionale d’invalidité, d’inaptitude et d’incapacité permanente. Lors de sa séance du 29 octobre 1991, elle fixa à 35% le taux d’incapacité du requérant. Le requérant fit appel de cette décision devant la commission nationale technique qui, le 7 juillet 1992, porta le taux litigieux à 43 %.

La procédure portant sur une éventuelle faute inexcusable de l’employeur

12. Lors de sa séance du 4 décembre 1991, la commission nationale des accidents du travail (CNAT) ordonna une enquête sur les circonstances de l’accident. Le 18 juin 1992, le requérant fut convoqué pour une rencontre avec l’expert. L’entretien eut lieu le 3 septembre 1992 et le rapport fut déposé le 19 novembre 1992.

13. Par lettre du 29 novembre 1993, réexpédiée le 28 décembre 1993, le directeur général d’EDF informa le requérant de sa décision, prise après avis de la CNAT, de ne pas reconnaître l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur.

14. Le 21 janvier 1994, le requérant contesta cette décision devant le TASS et sollicita la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Il déposa ses conclusions le 7 mars 1994 et demanda le renvoi de l’affaire à une audience ultérieure. Le 9 mars 1994, EDF-GDF sollicita également le renvoi de l’affaire. Le 17 mars 1994, le TASS renvoya l’examen de l’affaire à une audience ultérieure. Le 9 mai 1994, le requérant sollicita un nouveau renvoi. EDF-GDF déposa ses conclusions en mai 1994.

15. Par jugement du 19 janvier 1995, le TASS retint l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur, fixa la majoration du taux de la rente du requérant à 50 % et ordonna une expertise médicale. Ce jugement fut notifié aux parties le 4 avril 1995.

16. EDF-GDF fit appel de cette décision le 5 avril 1995. Les parties furent convoquées, le 2 juin 1995, à l’audience de la cour d’appel de Bastia du 27 juin 1995. Le 23 juin 1995, EDF-GDF sollicita le renvoi de l’affaire. Elle fut renvoyée à l’audience du 26 septembre 1995. Le 6 novembre 1995, EDF-GDF déposa des conclusions et le requérant fit de même le 13 novembre 1995. L’audience eut lieu le 28 novembre 1995.

17. Par un arrêt du 23 janvier 1996, la cour d’appel de Bastia confirma le jugement du TASS, en réduisant toutefois la majoration de la rente à 30 %. Cet arrêt fut notifié aux parties le 11 mars 1996.

18. EDF-GDF se pourvut en cassation le 10 mai 1996 et déposa un mémoire ampliatif le 10 octobre 1996. Le dossier parvint à la Cour de cassation le 11 juin 1996.

19. Par une décision du 12 novembre 1996, le bureau d’aide juridictionnelle près la Cour de cassation rejeta la demande du requérant, du 31 juillet 1996, au motif qu’il n’avait pas fourni les pièces justificatives de ses ressources. Le 7 janvier 1997, le requérant sollicita une nouvelle délibération. Le 20 février 1997, sa demande fut rejetée au motif qu’elle avait été exercée hors délai.

20. Un rapporteur fut désigné le 1er octobre 1997, il déposa son rapport le 30 octobre 1997. Le 21 novembre 1997, l’avocat général fut désigné. L’audience eut lieu le 8 janvier 1998.

21. Par arrêt du 19 février 1998, la Cour de cassation cassa et annula l’arrêt de la cour d’appel de Bastia pour absence de base légale et renvoya les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

22. Par déclaration du 18 mars 1998, EDF-GDF saisit la cour d’appel de renvoi. Le 24 mars 1998, une injonction de conclure fut adressée à EDF-GDF, qui déposa des conclusions le 10 juillet 1998. Le requérant conclut le 8 septembre 1998. L’audience eut lieu le 9 octobre 1998.

23. Par un arrêt du 11 décembre 1998, la cour d’appel de renvoi réforma le jugement du TASS et, considérant que la qualification de faute inexcusable ne pouvait être retenue à la charge d’EDF-GDF, débouta le requérant de ses demandes. Cet arrêt fut notifié au requérant le 5 janvier 1999.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

24. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non respect du délai de six mois.

25. Le Gouvernement estime que le requérant a fixé, dans sa requête initiale, le début de la procédure litigieuse au jour où il a été informé de la décision du directeur général d’EDF de ne pas retenir la faute inexcusable de l’employeur, soit le 28 décembre 1993. Ce ne serait que dans un complément de requête, adressé le 5 novembre 2001, que le requérant se serait plaint de la durée de la procédure suivie devant les commissions administratives. Le Gouvernement estime, dès lors, que cette partie de la requête est irrecevable, faute d’avoir été adressée à la Cour dans les six mois de la date de la décision interne définitive.

26. Le requérant maintient s’être plaint, dès sa requête initiale, de la durée de la procédure dans sa globalité.

27. La Cour note que le requérant a relevé dans sa requête initiale que, selon la jurisprudence de la Cour, « l’Etat est responsable de l’ensemble de ses services et non uniquement de ses organes judiciaires ».

Elle relève, de plus, que, le 23 octobre 2001, le requérant explicita sa requête et précisa qu’il ne se plaignait pas seulement de la durée de la procédure suivie devant les tribunaux, mais également de la lenteur des commissions nationales à rendre leur décision, puisque cette décision constituait le préalable indispensable à toute saisine du juge compétent. La Cour estime, dès lors, que le requérant n’a pas entendu limiter ses griefs, dans sa première requête, à la procédure suivie devant les juridictions internes.

28. L’exception de tardiveté soulevée par le Gouvernement doit donc être rejetée.

2. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non épuisement des voies de recours internes.

29. Le Gouvernement indique que le requérant a introduit sa requête le 5 juillet 1999, soit postérieurement à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 janvier 1999, cité par la Cour dans sa décision Giummarra et autres c. France, du 12 juin 2001, et estime qu’il aurait dû exercer le recours tiré de l’article L.781-1 du code de l’organisation judiciaire pour satisfaire aux conditions posées à l’article 35 § 1 de la Convention.

30. Le requérant conteste cette argumentation.

31. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu à se prononcer sur l’article L. 7811 du code de l’organisation judiciaire au regard de l’exigence d’épuisement des voies de recours internes. Elle a, en effet, estimé que ce recours a acquis le degré de certitude juridique requis pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention, à la date du 20 septembre 1999 (Mifsud c. France (déc.) [GC] no 57220/00, CEDH 2002-VIII). Elle a conclu, en conséquence, que tout grief tiré de la durée d’une procédure judiciaire introduit devant elle après le 20 septembre 1999 sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d’un recours fondé sur l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire est irrecevable, quel que soit l’état de la procédure au plan interne. En l’espèce, toutefois, le requérant a saisi la Cour le 5 juillet 1999 et n’était donc pas tenu d’exercer ce recours préalablement.

32. Il convient donc de rejeter cette seconde exception préliminaire.

33. La Cour relève, par ailleurs, que la requête ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité et qu’elle soulève des questions complexes de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond. Elle ne saurait, dès lors, être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, et doit, par conséquent, être déclarée recevable.

B. Sur le fond

1. Période à prendre en considération

34. Le point de départ de la période à considérer prête à controverse.

35. Le Gouvernement considère que le point de départ de la procédure litigieuse est la date de la seconde saisine du TASS, soit le 20 janvier 1994. Dans le cas où la Cour déclarerait la requête recevable pour la procédure antérieure, le Gouvernement estime que le point de départ doit être fixé à la date à laquelle le requérant a saisi les instances compétentes pour examiner sa demande, soit le 7 février 1990.

Le Gouvernement considère que la procédure litigieuse s’est achevée le 11 décembre 1998 et a donc duré huit ans et neuf mois.

36. Le requérant souligne qu’il avait saisi le TASS dès le 16 mars 1988 et considère cette date comme le point de départ de la durée litigieuse.

37. La Cour rappelle qu’en matière civile le délai raisonnable peut commencer à courir, dans certaines hypothèses, avant même le dépôt de l’acte introduisant l’instance devant le “tribunal” que le demandeur invite à trancher la “contestation” (Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18, p. 15, § 32). Tel est le cas en l’espèce, car le requérant ne pouvait saisir le tribunal compétent avant d’avoir fait examiner, dans une procédure préliminaire devant des commissions nationales, la présence ou l’absence d’une faute inexcusable de l’employeur. Par conséquent, la période à prendre en considération au sens de l’article 6 § 1 de la Convention a pour point de départ, en l’espèce, la date à laquelle le requérant a saisi les commissions nationales de cette question.

38. La période à considérer a donc débuté le 15 février 1988 et s’est terminée le 11 décembre 1998, par un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Elle a donc duré dix ans, neuf mois et vingt-cinq jours.

2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure

39. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). Sur ce dernier point, la Cour réaffirme son point de vue selon lequel une procédure concernant les questions sociales revêt une importance particulière pour le requérant (Zawadzki c. Pologne, no 34158/96, § 101, 20 décembre 2001, non publié).

a) Complexité de l’affaire

40. Le Gouvernement estime que la détermination de l’existence d’une faute inexcusable imputable à l’employeur était une question délicate, en raison notamment de la difficulté à établir précisément les circonstances de l’accident. Il considère en conséquence que l’affaire était complexe.

41. Le requérant conteste cette analyse.

42. La Cour estime que l’affaire ne présentait pas de complexité particulière.

b) Comportement des parties à la procédure civile

43. Le Gouvernement rappelle que dans un litige civil, les parties ont l’initiative de l’instance et souligne qu’en l’espèce, chacune des décisions rendues a fait l’objet d’un recours, soit par le requérant soit par la partie adverse. Il souligne également que les parties ont sollicité, à plusieurs reprises, devant le TASS et la cour d’appel de Bastia, le renvoi de l’affaire à une audience ultérieure. Le Gouvernement allègue ensuite que, devant la Cour de cassation, EDF-GDF a déposé son mémoire ampliatif à l’expiration du délai légal de cinq mois et que le bureau d’aide juridictionnelle a rejeté à deux reprises les demandes d’aide juridictionnelle du requérant, aux motifs que ce dernier n’avait pas produit les pièces nécessaires et qu’il n’avait pas respecté les délais. Finalement, devant la cour d’appel de renvoi, EDF-GDF n’a conclu que trois mois après qu’une injonction de conclure lui ait été délivrée.

44. Le requérant ne fait aucune observation à ce sujet.

45. La Cour rappelle que ce qui est exigé d’une partie dans une procédure civile est une diligence « normale » et que seules des lenteurs imputables à l’Etat peuvent amener à conclure à l’inobservation du « délai raisonnable » (voir Proszak c. Pologne, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2774, § 40). Or, la Cour constate que dix mois et dix-huit jours se sont écoulés entre le début de la procédure et la consolidation des blessures du requérant. Elle constate, également, qu’EDF-GDF a sollicité à deux reprises le renvoi de l’examen de l’affaire à une audience ultérieure, n’a déposé de mémoire ampliatif que deux mois et dix jours après s’être pourvu en cassation et n’a déposé de conclusions que trois mois et dix-sept jours après qu’une injonction de conclure lui ait été délivrée par la cour d’appel de renvoi. Ces laps de temps ne sauraient donc être mis à la charge de l’État.

La Cour rappelle, également, que le comportement du requérant constitue un fait objectif, non imputable à l’État défendeur et à prendre en compte pour répondre à la question de savoir si la procédure a ou non dépassé le délai raisonnable de l’article 6 § 1 de la Convention (Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 36, § 82). La Cour relève ainsi que le requérant a sollicité, à deux reprises, le renvoi de l’examen de l’affaire par le TASS à une audience ultérieure, ce qui prolongea la procédure de dix mois. Elle relève également que le bureau d’aide juridictionnelle près la Cour de cassation a rejeté la demande du requérant aux motifs qu’il n’avait pas fourni les pièces justificatives de ses revenus et n’avait pas respecté les délais ; ceci prolongea la procédure de sept mois.

c) Comportement des autorités compétentes

46. Le Gouvernement estime, par contre, que les autorités compétentes ont traité l’affaire avec diligence. Il demande, par conséquent, à la Cour, de conclure que la procédure a été menée dans un délai raisonnable.

47. Le requérant insiste sur la durée de la procédure préalable à la saisine du TASS et estime qu’il y a dépassement du « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

48. La Cour estime qu’il y a lieu de distinguer entre les juridictions internes et la commission nationale des accidents. Elle considère qu’aucun retard ne peut être imputé aux juridictions internes, mais constate des périodes d’inactivité imputables à la commission nationale des accidents. En effet, celle-ci n’a ordonné que le 4 décembre 1991 une enquête sur les circonstances de l’accident, soit presque un an et dix mois après avoir été saisie de la question. De plus, le directeur général d’EDF n’a notifié sa décision au requérant qu’un an après que le rapport d’expertise n’ait été rendu.

49. Au vu de ces considérations et des circonstances particulières de l’espèce, la Cour conclut que la cause du requérant n’a pas été entendue dans un « délai raisonnable » et que, partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

50. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

51. Le requérant explique que les espoirs entretenus tout au long de la procédure et déçus après douze années de démarches administratives et judiciaires l’ont fortement perturbé ainsi que sa famille, tant sur le plan moral que financier. Il réclame 76 224,51 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi.

52. Le Gouvernement estime que le requérant essaye d’obtenir les sommes que les juridictions internes ont refusé de lui allouer. Il propose en réparation du préjudice moral subi, seul préjudice en lien direct avec la durée de la procédure, une somme de 5 000 EUR.

53. La Cour rappelle, tout d’abord, qu’elle conclut en l’espèce à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure administrative litigieuse. Seuls les préjudices causés par cette violation de la Convention sont en conséquence susceptibles de donner lieu à réparation.

54. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et un quelconque dommage matériel dont le requérant aurait à souffrir et rejette en conséquence ses prétentions à ce titre.

55. La Cour estime, par contre, que le prolongement de la procédure au-delà du « délai raisonnable » a causé au requérant un préjudice moral justifiant l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle alloue à ce titre 6 000 EUR.

B. Frais et dépens

56. Le requérant inclut les frais de procédure et d’avocat, sans les détailler, dans le montant globalement réclamé au titre du préjudice matériel.

57. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu du fait que le requérant ne précise ni ne détaille les frais et dépens exposés devant la Cour, aucune somme ne saurait lui être allouée.

C. Intérêts moratoires

58. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 juillet 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président