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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
2.9.2003
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 35064/97
présentée par Mehmet Hanefi IŞIK
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 2 septembre 2003 en une chambre composée de             

MM. J.-P. Costa, président,
L. Loucaides,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mme W. Thomassen, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 23 janvier 1997,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, Mehmet Hanefi Işık, est un ressortissant turc, né en 1950. A l’époque des faits, il travaillait à l’Université de Dicle à Diyarbakır et était membre de l’Association des Droits de l’Homme ainsi que du Syndicat des enseignants (« Eğitim-Sen »).

Il est représenté devant la Cour par Mes Sinan Tanrıkulu et Abdullah Çağlar, avocats au barreau de Diyarbakır.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 8 août 1996, des policiers en civil relevant de la direction de sûreté de Diyarbakır (« la direction ») arrêtèrent le requérant lors d’un contrôle d’identité opéré à la suite d’une dénonciation. Le requérant correspondait à la description qui avait été donnée aux policiers. Soupçonné d’appartenance au PKK, le requérant fut placé en garde à vue.

Selon le requérant, lors des interrogatoires, les policiers lui auraient écrasé les testicules et infligé des jets d’eau froide, la pendaison palestinienne et des décharges électriques. Il aurait été maintenu menotté, trempé d’eau froide et exposé à un ventilateur. Ses tortionnaires l’auraient menacé de torturer ses proches et de le tuer en simulant des exécutions à l’aide d’une arme non chargée. Tout au long de sa garde à vue, le requérant n’aurait pu subvenir à ses besoins naturels et aurait été témoin des tortures infligées à d’autres détenus.

Pendant les six premiers jours de la garde à vue, ni les proches du requérant ni l’Association des Droits de l’Homme de Diyarbakır, qui voulurent s’enquérir du sort de celui-ci, ne furent informés de l’arrestation.

Le 26 août 1996, le requérant signa une déposition à la police dans laquelle il admit ses liens avec le PKK et accepta les accusations portées à son encontre.

Le lendemain, le requérant fut transféré aux urgences de l’hôpital civil de Diyarbakır. A la suite d’un examen à l’œil nu, le médecin de garde conclut à l’absence d’une quelconque trace de violence sur le corps du requérant. Le même jour, celui-ci fut interrogé par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır (« le procureur » – « la cour de sûreté de l’Etat ») devant lequel il nia ses aveux faits devant les policiers. Ensuite, il fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat. Le requérant contesta l’ensemble des faits qui lui étaient reprochés ainsi que les aveux en question, affirmant avoir été contraint à les signer sans les lire.

Le juge assesseur ordonna la mise en détention provisoire du requérant conformément à l’article 104 du code de procédure pénale, au motif qu’il existait de fortes raisons de soupçonner qu’il avait apporté son assistance au PKK. Ainsi, le requérant fut incarcéré à la maison d’arrêt de Diyarbakır.

Le 5 septembre 1996, le procureur mit le requérant en accusation et requit sa condamnation en vertu de l’article 169 du code pénal.

Le 24 septembre 1996, alors qu’il se trouvait en détention provisoire, le requérant fut témoin d’une émeute qui causa de très violents affrontements entre les détenus et les forces de l’ordre ; cette émeute coûta la vie à dix prisonniers.

Lors de la première audience tenue le 10 octobre 1996, les juges du fond ordonnèrent la libération provisoire du requérant.

Le 22 octobre 1996, le requérant se rendit au centre de soins et de réhabilitation de la Fondation des droits de l’Homme à Ankara (« TIHV »). Un médecin traitant diagnostiqua chez le requérant une névrose post-traumatique qui se manifestait par des symptômes d’insomnie, des difficultés de concentration, une nervosité excessive ainsi qu’un état dépressif et obsessionnel. Le rapport médical rendu en conséquence indiqua que le requérant avait été gravement affecté par les événements du 24 septembre 1996 dont il avait été témoin. Cependant, aucune trace physique de mauvais traitements ne put être décelée sur son corps. Le requérant se vit prescrire un traitement de plusieurs mois, lequel atténua sensiblement les symptômes. Les résultats de ce traitement furent exposés dans un rapport médical établi le 11 juillet 1997 par son médecin traitant.

Entre temps, par un jugement du 27 mars 1997, la cour de sûreté de l’Etat acquitta le requérant, pour manque de preuves suffisantes et convaincantes à sa charge.

Faute de pourvoi, ce jugement devint définitif le 4 avril 1997.

Le 9 mai 1997, le requérant introduisit devant la cour d’assises de Diyarbakır l’action en réparation prévue par la loi no 466, du fait de sa détention injustifiée. Il réclama 6 milliards de livres turques au titre de dommage moral. Cette procédure semble être encore pendante.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Les dispositions pertinentes du droit turc quant à la poursuite des actes de mauvais traitement aux mains des agents de l’Etat et quant aux voies de réparation administrative et civile ouvertes à cet égard figurent, entre autres, dans la décision Ali Şahmo c. Turquie (no 37415/97, ler avril 2003).

Quant aux durées des gardes à vue, avant son abolition par la loi no 4229 promulguée le 6 mars 1997, l’article 30 de la loi no 3842 du 18 novembre 1992 prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l’Etat et commises dans les provinces, telle que Diyarbakır, où l’état d’urgence avait été décrété, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quatre jours ou, en cas de délit collectif, dans les trente jours. Par ailleurs, l’article 31 de la loi no 3842 excluait l’application, dans les procédures devant les cours de sûreté de l’Etat, de l’article 128 du code de procédure pénale, dont le quatrième paragraphe prévoyait un recours de habeas corpus, pour les personnes gardées à vue conformément au droit commun.

Pour ce qui est de la garde à vue, l’article 1 §§ 1 et 3 de la loi no 466 sur l’octroi d’indemnités aux personnes arrêtées ou détenues dispose :

« Seront compensés par l’Etat les dommages subis par toute personne :

1. arrêtée ou placée en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois ;

(...)

3. qui n’aura pas été traduite devant le juge après avoir été arrêtée ou placée en détention dans le délai légal (...) »

GRIEFS

Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant allègue avoir subi, lors de sa garde à vue, des tortures tant physiques que psychologiques.

Le requérant se plaint en outre de la durée excessive de sa garde à vue, à l’abri de tout contrôle judiciaire et pendant vingt jours. A cet égard, il allègue une violation de l’article 5 de la Convention.

Toujours sur le terrain de l’article 5, le requérant fait aussi grief des menaces d’exécution qu’il aurait essuyées lors de sa garde à vue.

Il se plaint enfin de ce que les autorités ont nié son placement en garde à vue durant les six premiers jours, malgré les demandes de sa famille et des responsables de l’Association des Droits de l’Homme. A cet égard, il fait valoir l’article 6 de la Convention.

EN DROIT

A. Objet du litige

Le requérant, exposant les circonstances dans lesquelles sa garde à vue s’est déroulée, se plaint notamment d’une violation de l’article 5 § 3 de la Convention, en raison de la durée de cette mesure, sans avoir été traduit devant un juge, et allègue avoir été l’objet de traitements contraires à l’article 3.

De l’avis de la Cour, il est davantage indiqué que le grief singulier tiré de l’article 5 concernant les prétendues menaces de mort que le requérant aurait essuyées pendant sa garde à vue soit également examiné sous l’angle de l’article 3. Quant au grief soulevé au regard de l’article 6 s’agissant de la non-information de la famille du requérant de l’arrestation litigieuse, la Cour ne voit, en l’espèce, aucune autre solution que de l’examiner sur le terrain de l’article 5.

B. Article 3 de la Convention

1. Arguments des parties

Le Gouvernement excipe d’abord du non-épuisement des voies de recours internes et invoque les moyens prévus aux articles 125 et 129 § 5 de la Constitution ainsi que la possibilité d’introduire une action civile et/ou administrative, sur le terrain du code des obligations ou de la loi no 2577 sur la procédure administrative. Le Gouvernement fait aussi remarquer que rien n’empêchait le requérant de soulever devant les instances pénales ses allégations de mauvais traitements.

Quant au bien-fondé, le Gouvernement se réfère au rapport médical délivré le 27 août 1996 par l’hôpital civil de Diyarbakır, lequel atteste l’absence de traces de violences sur le corps du requérant. Aussi le Gouvernement souligne-t-il que le rapport médical obtenu du TIHV ne saurait passer pour une preuve probante, dès lors qu’il ne fait état que de séquelles psychiques résultant des faits postérieurs à la garde à vue du requérant.

Le requérant rétorque que, concernant les griefs tels que les siens, aucune voie de droit n’aurait pu aboutir, d’autant moins que les faits dénoncés ont eu lieu dans une région d’état d’urgence, où l’Etat de droit s’efface devant les pratiques administratives.

Du reste, il soutient qu’aucun poids ne doit être accordé au rapport médical du 27 août 1996, car il était établi à la suite d’un examen superficiel, à l’œil nu, ce par un médecin relevant de la fonction publique, donc déjà gêné pour mener à bien sa tâche. Le requérant souligne qu’il lui était impossible d’obtenir un rapport médical alternatif à celui du 27 août 1996, puisqu’au terme de sa garde à vue, il a été immédiatement mis en détention provisoire. Il ajoute encore que les traces de mauvais traitements sont condamnées à disparaître et qu’il appartenait aux autorités de rechercher si ses séquelles psychiques pouvaient ou non résulter de ce qu’il avait subi pendant la garde à vue. A cet égard, le requérant attire l’attention de la Cour sur le problème général de torture en Turquie et explique n’avoir pas cherché à porter plainte, persuadé que de telles démarches contre les agents de l’Etat se heurtent souvent à la loi sur la poursuite des fonctionnaires et aboutissent souvent à l’acquittement des responsables.

2. L’appréciation de la Cour

Au vu des circonstances de la cause, la Cour estime ne pas devoir examiner les exceptions soulevées par le Gouvernement, car elle considère qu’en tout état de cause cette partie de la requête ne saurait être accueillie pour les motifs suivants.

Elle note d’abord que le requérant n’a produit devant elle le moindre élément matériel ou un quelconque commencement de preuve ni fourni des explications détaillées et convaincantes que ce soit pour appuyer ses allégations de mauvais traitements ou pour mettre en doute, d’une manière ou d’une autre, les conclusions du rapport médical du 27 août 1996, qu’il n’a d’ailleurs jamais suggéré avoir contesté les conclusions à un quelconque stade de son procès (voir, mutatis mutandis, Kaplan c. Turquie (déc.), no 24932/94, 19 septembre 2000 ; Uykur c. Turquie (déc.), no 24599/95, 9 novembre 1999, et S.T. c. Turquie (déc.), no 28310/95, 9 novembre 1999 – comparer avec Yıldız c. Turquie (déc.), no 32979/96, 6 juin 2000).

La Cour reconnaît qu’il peut être difficile pour un individu d’obtenir des preuves quant aux mauvais traitements infligés lors d’une garde à vue, mais elle ne saurait admettre a priori et en l’absence d’explications plausibles que la situation est demeurée la même par la suite, étant donné que le requérant avait été libéré le 10 octobre 1996 (voir, Kaplan précitée, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 90, CEDH 2000-VII, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 125, CEDH 2000-IV). Aussi le requérant avait-il pu obtenir du TIHV le rapport médical du 22 octobre 1996 qu’il fait valoir devant le Cour. Toutefois, on ne saurait attacher un poids déterminant à ce rapport puisqu’il n’étaye que l’existence chez le requérant d’un traumatisme psychologique dû à l’émeute survenue en septembre 1996 dans la maison d’arrêt de Diyarbakır, constat qui n’établit, en tant que tel, nul lien de causalité avec ce qui eût pu se passer lors de la garde à vue. A ce sujet, faut-il encore souligner que certains sévices que le requérant invoque, à savoir la suspension palestinienne et les électrocutions, sont de nature si graves que l’on pourrait attendre à ce que des séquelles pussent être décelées même longtemps après les faits, en l’occurrence par les médecins de TIHV, que le requérant avait pu librement consulter (voir, par exemple, Kaplan précitée).

En l’espèce et contrairement à ce que le requérant laisse entendre, celui-ci ne pouvait pas non plus légitimement escompter que des investigations approfondies seraient menées sans que lui-même ou son avocat dussent fournir aux autorités un fondement plus solide au sujet de leurs doléances (voir Koç c. Turquie (déc.), no 24937/94, 14 novembre 2000).

En effet, devant le procureur qui l’avait entendu le 27 août 1996, le requérant n’a soulevé aucune doléance ayant trait aux mauvais traitements dont il s’agit. Ensuite, devant le juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat, il s’est borné à affirmer avoir été contraint à signer des déclarations sans les avoir lues, sans même invoquer aucune des formes de sévices qu’il énumère maintenant devant la Cour. A supposer même que les procès-verbaux dressés par ces magistrats ne reflètent pas la réalité, la Cour ne comprend pas en quoi le requérant et/ou son conseil auraient été empêchés de s’exprimer librement devant les juges du fond et de leur fournir des explications détaillées sur ce dont M. Işık alléguait avoir été victime.

S’agissant des menaces d’exécution que le requérant dénonce sur le terrain de l’article 5 de la Convention, il est vrai que pareils agissements peuvent, dans certaines circonstances, poser un problème sous l’angle de l’article 3. Force est toutefois d’observer qu’en l’espèce le requérant n’a pu apporter la preuve d’un élément quelconque pouvant engendrer un soupçon raisonnable qu’il risquait réellement d’être exécuté, pour que les menaces en question puissent être considérées comme atteignant le seuil de gravité minimum pour tomber sous le coup de cette disposition.

Dans ces conditions, le requérant ne saurait passer pour avoir étayé son grief devant la Cour et, à ce propos, l’évaluation générale qu’il fait valoir quant à l’existence d’une pratique administrative de torture en Turquie ne tire à aucune conséquence, dès lors qu’elle ne se fonde guère sur des faits concrets et pertinents pour la présente affaire (voir, par exemple, Kaplan et, mutatis mutandis, Labita, précités).

La Cour conclut donc que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

B. Article 5 de la Convention

1. Arguments des parties

Le Gouvernement rappelle qu’en vertu de l’article 128 § 4 du code de procédure pénale, toute personne privée de sa liberté ainsi que ses proches et représentants ont le droit de saisir l’autorité compétente afin d’obtenir la libération immédiate de l’intéressé dans le cas où sa détention est contraire à la loi. Il invoque encore la voie de réparation prévue par loi no 466 que les personnes injustement arrêtées ou détenues peuvent emprunter.

Quant au bien-fondé, le Gouvernement se contente de rappeler que la durée de la garde à vue imposée au requérant était conforme à la législation en vigueur à l’époque des faits.

Le requérant rétorque qu’il n’existait, à l’époque, aucune voie de recours efficace pour contester son maintien en garde à vue. Quant à la loi no 466, il soutient que seuls peuvent réclamer réparation les individus dont la détention s’est avérée injustifié.

2. L’appréciation de la Cour

De l’avis de la Cour, les arguments que le Gouvernement tire de l’article 128 § 4 du code de procédure pénale et de la loi no 466, s’analysent en une exception tirée, en deux branches, du non-épuisement des voies de recours internes.

A ce sujet, la Cour observe d’emblée que le requérant n’était pas en mesure de se prévaloir de l’article 128 du code de procédure pénale qu’invoque le Gouvernement, dès lors que l’article 31 de la loi no 3842 excluait l’application de cette disposition dans les procédures devant les cours de sûreté de l’Etat. Quant à la deuxième branche, tirée de la loi no 466, il suffit pour la Cour de relever que cette disposition vise des cas de réparation du fait des privations de liberté enfreignant la loi – hypothèse étrangère à la présente espèce. Au demeurant, elle constate que le requérant se plaint de la durée excessive de sa garde à vue, sans avoir été traduit aussitôt devant un juge – au sens de l’article 5 § 3 – et non d’une absence de voies de droit en vue d’obtenir un dédommagement pour détention, au sens de l’article 5 § 5.

Il s’ensuit que les exceptions du Gouvernement s’avèrent dénuées de fondement et la Cour les rejette.

Quand au bien-fondé, la Cour a examiné les arguments des parties à la lumière de sa jurisprudence en la matière. Elle estime avant tout que le grief que le requérant tire de la non-information de ses parents de son arrestation, consiste davantage en un élément à prendre en considération dans l’appréciation des modalités d’exécution de la mesure litigieuse au regard de l’article 5, mais ne pose aucun problème distinct sur le terrain de l’article 6.

Cela étant, cette partie de la requête soulève de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de la procédure et qui nécessitent un examen au fond. La Cour, n’apercevant aucun motif d’irrecevabilité inscrit à l’article 35, la déclare donc recevable.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité

Déclare, recevables les griefs du requérant tiré de l’article 5 de la Convention quant à la durée et les modalités d’exécution de la garde à vue imposée en l’espèce ;

Déclare, la requête irrecevable pour le surplus.

S. DOLLÉ J-P. COSTA
Greffière Président