Přehled
Rozsudek
ANCIENNE DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE BELVEDERE ALBERGHIERA SRL c. ITALIE
(Requête no 31524/96)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
Strasbourg, le 30 octobre 2003
DÉFINITIF
30/01/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention.
En l'affaire Belvedere Alberghiera Srl c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,
A.B. Baka,
B. Conforti
G. Bonello,
Mme V. Strážnická,
MM. P. Lorenzen,
E. Levits, juges
et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 octobre 2003,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 31524/96) dirigée contre la République italienne et dont une société à responsabilité limitée de droit italien, la société Belvedere Alberghiera S.r.l. (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 2 mai 1996, en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La requérante alléguait une atteinte injustifiée à son droit au respect de ses biens.
Le 1er juillet 1998, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »), en l'invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. A a suite de l'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention le 1er novembre 1998, et conformément à l'article 5 § 2 dudit Protocole, l'examen de l'affaire a été confié à la Cour. Conformément à l'article 52 § 1 du règlement de la Cour, le président de la Cour a attribué l'affaire à la deuxième section. Le 21 septembre 1999, la chambre a déclaré la requête recevable et a décidé de tenir une audience sur le fond. L'audience s'est déroulée en public le 13 janvier 2000.
2. Par un arrêt du 30 mai 2000 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé qu'il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 au motif que la requérante avait été illégalement privée de son terrain (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI).
3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, la requérante sollicitait la restitution et la remise en l'état du terrain litigieux. En outre, elle réclamait un dédommagement pour préjudice matériel, à savoir un montant d'au moins 80 000 000 lires italiennes (ITL), couvrant notamment la non-jouissance du terrain pour la période d'occupation, jusqu'à la restitution. La requérante réclamait ensuite 30 000 000 ITL au titre du préjudice moral que lui aurait causé le comportement de l'Etat. Elle demandait enfin le remboursement des frais encourus devant les juridictions nationales et le remboursement des frais exposés devant la Cour.
4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 69 et point 2 du dispositif).
5. Le délai initialement fixé au 30 novembre 2000 pour permettre aux parties de rechercher un accord amiable a été prorogé, à la demande de celles-ci, au 30 novembre 2000, puis encore au 30 mai 2001, et il est échu sans que les parties ne soient parvenues à un accord.
6. Réunie le 29 novembre 2001 sur l'initiative de son Président (point 3 c) du dispositif de l'arrêt au principal), la Chambre a estimé opportun d'effectuer une expertise. Elle a décidé que la tâche de l'expert consisterait à déterminer, d'une part, la valeur actuelle du terrain et la valeur de celui-ci au moment de son occupation ; d'autre part, le dommage matériel en cas de restitution du terrain (frais de remise en l'état, non-jouissance du terrain et perte de revenus à compter de la date de l'occupation) et le dommage matériel à défaut de restitution du terrain (non-jouissance du terrain et perte de revenus à compter de la date de l'occupation du terrain, dépréciation de l'immeuble dont la requérante est encore propriétaire).
7. Par un courrier du 30 novembre 2001, la Cour a communiqué cette décision aux parties et a invité celles-ci à lui fournir le nom d'un expert choisi d'un commun accord. Par ailleurs, la Cour a précisé que les frais et honoraires d'expertise incomberaient au Gouvernement défendeur (article 38 de la Convention).
8. Par lettres des 28 et 29 décembre 2001, la requérante et le Gouvernement respectivement ont fourni une liste de noms d'experts. Successivement, le 3 avril 2002, les parties ont indiqué les noms de trois experts sélectionnés d'un commun accord sur ladite liste.
9. A la suite de l'indisponibilité du premier expert choisi par les parties, le 3 juillet 2002, sur instructions de la Cour, le greffe a adressé un mandat à M. Mario Dini et en a informé les parties.
Le texte du mandat se lit ainsi :
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous informer que la Cour européenne des Droits de l'Homme a décidé de vous donner mandat, conformément aux indications des parties, afin d'expertiser un terrain ayant appartenu à la société requérante.
Conformément à la décision adoptée par la Chambre chargée d'examiner la requête, votre tâche consistera à déterminer :
- d'une part, la valeur actuelle du terrain et la valeur de celui-ci au moment de son occupation ;
- d'autre part, le dommage matériel :
a) en cas de restitution du terrain (frais de remise en l'état, non-jouissance du terrain et perte de revenus à compter de la date de l'occupation)
b) en cas de non-restitution du terrain (non-jouissance du terrain et perte de revenus à compter de la date d'occupation ; dépréciation de l'immeuble dont la société requérante est encore propriétaire).
J'ai l'honneur de vous informer que la charge finale des frais de l'expertise et de vos honoraires pèsera sur l'Etat (article 38 de la Convention).
10. L'expert a accepté le mandat en date du 15 juillet 2002.
11. Par un courrier du 2 août 2002, le greffe en a informé les parties en les invitant à prendre les mesures nécessaires pour que l'expert puisse accomplir sa tâche.
12. Le 13 février 2003, l'expert a déposé son rapport ainsi que sa demande relative à ses frais et honoraires.
Dans un délai fixé au 25 mars 2003 puis prorogé à la demande de la requérante au 22 avril 2003, les parties ont eu la possibilité de faire parvenir leurs commentaires. Seule la requérante a fait parvenir ses commentaires en date du 19 avril 2003.
13. Le 1er novembre 2001, la Cour avait entre-temps modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a cependant continué à être examinée par la chambre de l'ancienne section II telle qu'elle existait avant cette date.
EN DROIT
14. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
I. Validité de l'expertise
15. Les parties n'ont pas contesté la validité de l'expertise.
16. La Cour tient pour valide le rapport de l'expert et le prend en considération pour rendre sa décision.
II. Dommage
A. Dommage matériel
1. Résumé de l'expertise et des conclusions de l'expert
17. Long de trente pages, le rapport d'expertise contient une estimation de la valeur du terrain litigieux au 22 juin 1987, au moment de son occupation, et en décembre 2002, lorsque l'expertise a été effectuée. Ensuite figurent l'estimation du dommage matériel pour le cas où le terrain serait ensuite restitué et l'estimation du dommage matériel pour le cas où le terrain ne serait pas restitué.
L'estimation de l'expert porte sur une étendue de 1 375 mètres carrés, figurant au cadastre de la ville de Monte Argentario, à la parcelle 22, feuille 15.
Pour rédiger son rapport, l'expert s'est fondé sur des documents fournis par la ville de Monte Argentario, sur des éléments apportés par la requérante ainsi que sur des renseignements provenant du marché immobilier et du marché hôtelier. Il a en outre tenu compte de l'évolution du taux d'inflation et des prix pendant la période concernée.
18. L'expert a constaté qu'à la suite de l'occupation du terrain litigieux, l'hôtel dont la requérante est propriétaire avait perdu l'accès direct à la mer. Il s'agit d'un hôtel trois étoiles, avec douze chambres.
19. En premier lieu, l'expert a évalué le terrain. Selon lui, la valeur vénale du terrain en 1987, au moment de son occupation, était de 82 500 000 ITL, à savoir 41 833 EUR.
La valeur vénale du terrain au 31 décembre 2002, lors de l'expertise, était de 71 013 EUR.
20. L'expert s'est ensuite penché sur l'évaluation du préjudice matériel pour le cas où le terrain serait restitué. A cet égard, il a estimé que les frais de remise en l'état s'élèveraient à 11 362 EUR.
Ensuite, l'expert a calculé que la privation de jouissance du terrain jusqu'en décembre 2002 avait causé un dommage à hauteur de 76 431 EUR.
Elle avait aussi entraîné un manque à gagner dans l'activité hôtelière, qui, jusqu'en 2002, s'élevait à 169 266 EUR.
21. L'expert a procédé enfin à l'estimation du préjudice matériel en cas de non-restitution du terrain. En plus de la valeur vénale de ce dernier, du dommage découlant de la privation de jouissance jusqu'au décembre 2002 et du manque à gagner dans l'activité hôtelière jusqu'en 2002, l'expert a pris en compte le dommage matériel futur, dans l'hypothèse où la situation actuelle deviendrait permanente.
A ces fins, l'expert a estimé que, pour les trente prochaines années, le futur manque à gagner dans l'activité hôtelière s'élève à 218 832 EUR.
En outre, la dépréciation de l'immeuble revient à 228 149 EUR.
22. Pour résumer les conclusions de l'expert :
Dommage matériel en cas de restitution du terrain en 2003: | Non-jouissance du terrain jusqu'en 2002 76 431 EUR |
Manque à gagner jusqu'en 2002 169 266 EUR | |
Frais de remise en l'état 11 362 EUR | |
Total : 257 059 EUR | |
Dommage matériel à défaut de restitution du terrain : | Valeur vénale du terrain en 2002 71 013 EUR |
Manque à gagner jusqu'en 2002 (169 266 EUR) + manque à gagner futur (218 832 EUR) | |
Non-jouissance du terrain jusqu'en 2002 (76 431 EUR) + dépréciation de l'immeuble (228 149 EUR) | |
Total : 763 691 EUR |
2. Arguments du Gouvernement
23. Le Gouvernement n'a pas fait de commentaires sur les conclusions de l'expert.
24. Avant que l'expertise ne soit ordonnée par la Cour (voir l'arrêt sur le fond §§ 66-68), le Gouvernement avait déclaré que la restitution du terrain était impossible pour les raisons indiquées par le Conseil d'Etat, à savoir l'application par ce dernier du principe de l'expropriation indirecte. Le Gouvernement soutenait également que la restitution du terrain sortait du champ d'application de l'article 41 de la Convention.
Le Gouvernement soutenait en outre que l'action en dommages intérêts que la requérante avait la faculté d'introduire devant les juridictions italiennes pourrait compenser la violation alléguée. De ce fait, le Gouvernement prétendait qu'aucune somme ne saurait être accordée à ce titre, étant donné que la requérante pouvait encore demander des dommages intérêts devant les juridictions nationales.
3. Arguments de la requérante
25. La requérante sollicite la restitution et la remise en l'état du terrain litigieux, mesures qui constituent selon elle la seule manière apte à remédier à la violation alléguée, puisqu'elle permettrait de rétablir la situation telle qu'elle existait avant que la violation de l'article 1 du Protocole no 1 ne survînt. Elle rappelle que le droit à la restitution découle de la res judicata administrative.
26. La requérante se déclare satisfaite des conclusions tirées par l'expert quant au dommage matériel en cas de restitution du terrain.
27. Elle conteste cependant l'évaluation de l'expert à défaut de restitution du terrain. A cet égard, la requérante estime que la Cour devrait condamner l'Etat à un dédommagement exemplaire et punitif, s'élevant au moins au double du montant calculé par l'expert.
4. Décision de la Cour
28. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
29. Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution d'un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l'obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de la violation, l'article 41 habilite la Cour à accorder, s'il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumarescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I).
30. Dans son arrêt au principal, la Cour a dit que l'ingérence litigieuse ne satisfaisait pas à la condition de légalité (paragraphes 61-63 de l'arrêt au principal). L'acte du gouvernement italien que la Cour a tenu pour contraire à la Convention n'était pas une expropriation qui eût été légitime si une indemnisation avait été versée ; au contraire, elle était une mainmise de l'Etat sur le terrain de la requérante, à laquelle celle-ci n'a pu remédier (paragraphe 68 de l'arrêt au principal).
La Cour a de ce fait rejeté l'exception du Gouvernement tirée de ce que la requérante ne serait fondée de demander une satisfaction équitable puisqu'elle aurait pu demander les dommages intérêts devant les juridictions nationales (paragraphe 68 de l'arrêt au principal).
31. Le caractère illicite de pareille dépossession se répercute par la force des choses sur les critères à employer pour déterminer la réparation due par l'Etat défendeur, les conséquences financières d'une mainmise licite ne pouvant être assimilées à celles d'une dépossession illicite (Ex-Roi de Grèce et autres c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 25701/94, § 75, CEDH 2002).
32. La Cour a adopté une position très semblable dans l'affaire Papamichalopoulos (Papamichalopoulos c. Grèce (article 50), du 31 octobre 1995, série A no 330-B, p. 59, §§ 36 et 39). Elle y a conclu à une violation en raison d'une expropriation de fait irrégulière (occupation de terres par la marine grecque depuis 1967) qui durait depuis plus de vingt-cinq ans à la date de l'arrêt au principal rendu le 24 juin 1993.
La Cour enjoignit en conséquence à l'Etat grec de verser aux requérants, pour dommage et perte de jouissance depuis que les autorités avaient pris possession de ces terrains, la valeur actuelle de terrains augmentée de la plus value apportée par l'existence de certains bâtiments qui avaient été édifiés depuis l'occupation.
33. Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour estime que dans la présente affaire la nature de la violation constatée dans l'arrêt au principal lui permet de partir du principe d'une restitutio in integrum.
34. La Cour prend note de la position négative du Gouvernement quant à une éventuelle restitution du terrain.
A défaut de restitution du terrain, l'indemnisation à fixer en l'espèce devra, comme celle octroyée dans l'affaire Papamichalopoulos évoquée ci-dessus, et concernant des dépossessions illicites en soi, refléter l'idée d'un effacement total des conséquences de l'ingérence litigieuse. Comme c'est l'illégalité intrinsèque de la mainmise, qui a été à l'origine de la violation constatée, l'indemnisation doit nécessairement refléter la valeur pleine et entière des biens.
35. S'agissant du dommage matériel, la Cour estime par conséquent que l'indemnité à accorder à la requérante ne se limite pas à la valeur qu'avait sa propriété à la date de l'occupation. Pour cette raison, elle a invité l'expert à estimer aussi la valeur actuelle du terrain litigieux et les autres préjudices.
36. La Cour décide que l'Etat devra verser à l'intéressée la valeur actuelle du terrain. A ce montant s'ajoutera une somme pour la non-jouissance du terrain depuis que les autorités on pris possession du terrain en 1987 et pour la dépréciation de l'immeuble. En outre, à défaut de commentaires du Gouvernement sur l'expertise, il y a lieu d'octroyer une somme pour le manque à gagner dans l'activité hôtelière.
37. Quant à la détermination du montant de cette indemnité, la Cour entérine les conclusions du rapport d'expertise pour l'évaluation du préjudice subi. Ce montant s'èlève à 763 691 EUR.
B. Dommage moral
38. La requérante réclame 30 000 EUR au titre du préjudice moral que lui aurait causé le comportement de l'Etat. A défaut de restitution du terrain, la requérante réclame une somme de 100 000 EUR.
39. Le Gouvernement considère que le constat de violation constitue une satisfaction suffisante.
40. Reste à savoir si la requérante peut prétendre obtenir réparation au titre d'un quelconque préjudice moral.
La Cour rappelle à cet égard que l'on ne doit pas écarter de manière générale la possibilité d'octroyer une réparation pour le préjudice moral allégué par les personnes morales ; cela dépend des circonstances de chaque espèce (Comingersoll c. Portugal [GC], no 35382/97, CEDH 2000-IV, §§ 32-35). La Cour ne peut donc exclure, au vu de sa propre jurisprudence, qu'il puisse y avoir, pour une société commerciale, un dommage autre que matériel appelant une réparation pécuniaire.
41. Dans la présente affaire, le caractère illégal de la privation du terrain et la persistance de cette situation, a dû causer, dans le chef de Belvedere Alberghiera S.r.l. et de ses administrateurs et associés, des désagréments considérables, ne serait-ce que sur la conduite des affaires courantes de la société.
A cet égard, on peut donc estimer que la société requérante a été laissée dans une situation qui justifie l'octroi d'une indemnité.
42. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, la Cour alloue à la requérante 25 000 EUR.
III. Frais et dépens
43. La requérante ne demande pas le remboursement des frais encourus devant le juridictions internes. Elle sollicite le remboursement des frais exposés devant la Cour, pour un montant global de 59 184, 44 EUR, dont 51 183, 89 EUR pour honoraires, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et contributions sociales (CPA) en sus.
44. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour, tout en soulignant que la somme demandée est excessive.
45. La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis dans leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) précité, § 54). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, § 66).
46. La Cour ne doute pas de la nécessité des frais réclamés ni qu'ils aient été effectivement engagés à ce titre. Elle trouve cependant excessifs les honoraires revendiqués. La Cour considère dès lors qu'il n'y a lieu de les rembourser qu'en partie.
Compte tenu des circonstances de la cause, et statuant en équité comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour juge raisonnable d'allouer à la requérante un montant de 30 000 EUR, augmentée de TVA et CPA.
IV. Frais d'expertise
47. Pour ses honoraires et les frais relatifs à la réalisation de l'expertise, l'expert signataire du rapport demande un montant global de 10 000 EUR. Son calcul tient compte du travail d'estimation lui-même ainsi que des visites sur les lieux.
48. Le Gouvernement n'a pas fait de commentaires à cet égard.
49. La requérante ne se prononce pas non plus à ce sujet.
50. La Cour rappelle d'abord que l'octroi d'indemnité relève de son pouvoir discretionnaire et qu'il lui appartient de juger si telle indemnité est nécessaire ou appropriée. La rémunération de l'expert s'analyse en l'occurrence en des frais liés à la réalisation d'une expertise que la Cour a jugée indispensable afin de donner à la requérante la possibilité d'obtenir l'effacement de la violation relevée par l'arrêt au principal.
Sur les instructions de la Chambre, le greffier a du reste informé le Gouvernement et l'expert que les frais et honoraires relatifs à l'expertise incomberaient en définitive à l'Etat défendeur (voir § 7).
51. La Cour ne doute pas de la réalité et de la nécessité des opérations que l'expert a accomplies pour s'acquitter au mieux de sa tâche. Elle estime ensuite que la somme réclamée est raisonnable. La Cour décide, en conséquence, d'accorder l'intégralité de cette somme, à savoir 10 000 EUR.
V. Intérêts moratoires
52. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit,
a) que l'expertise est valide ;
b) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 763 691 EUR (sept cent soixante-trois mille six cent quatre-vingt-onze euros) pour dommage matériel ;
ii. 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros) pour dommage moral ;
iii. 30 000 EUR (trente mille euros) pour frais et dépens, plus TVA et CPA ;
iv. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;
c) que l'Etat défendeur doit verser à l'expert, M. Dini, dans les trois mois, 10 000 EUR (dix mille euros) ;
d) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 octobre 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion concordante de M. Lorenzen.
C.R.
E.F.
CONCURRING OPINION OF JUDGE LORENZEN
I have voted for the unanimous decision on the just satisfaction to be granted to the applicant under Article 41 of the Convention, but only with great hesitations concerning the pecuniary damage. The reasons for my hesitations are the following:
When calculating the compensation for pecuniary damage it should be borne in mind that the illegal occupation concerned a rather small area (1,375 square metres) which the applicant acquired two years before the occupation. The value of the area has been estimated by the expert to be EUR 41,833 at the time of the occupation and EUR 71,013 by the end of 2002. The particular interest of the applicant in the area seems to be linked to the fact that it gave direct access to a private beach and thus could generate higher rates for the applicant´s hotel rooms - estimated by the expert to an increased turnover of 15%. According to the information in the expert´s report the annual turnover of the applicant´s hotel with now 12 rooms did not in any year between 1987 and 2002 exceed EUR 121,000 and the average for this period amounted to around EUR 81,000.
Based on these facts I have difficulties in accepting that the compensation for pecuniary damage can be calculated as EUR 763,691. In particular, it is in my opinion excessive to grant the applicant compensation for loss of earnings for a period of no less than 45 years (1987-2032) calculated in total as EUR 388,098. I find no basis in the Court's case-law for compensating loss of earnings for such a lengthy period, even in case of illegal occupations. Moreover it appears from the expert's report that the calculation for the last 30 years' period was not considered to be covered by the Court's request, but was made only on a proposal from the applicant's expert. Furthermore I have doubts whether it is reasonable in the circumstances of the case to grant at the same time compensation for loss of earnings and ”lack of enjoyment of the land” calculated to EUR 76,431.
However, as the Government have not contested the conclusions of the expert, I have finally agreed to grant the sum for pecuniary damage in full. The purpose of this concurring opinion is mainly to indicate that the principles used in this case for calculating the pecuniary damage should not set a precedent for future similar cases.