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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE VEREP c. TURQUIE
(Requête no 49751/99)
ARRêT
STRASBOURG
7 octobre 2004
DÉFINITIF
02/02/2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Verep c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,
L. Caflisch,
R. Türmen,
B. Zupančič,
Mme H.S. Greve,
M. K. Traja,
Mme A. Gyulumyan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 septembre 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 49751/99) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Saadet Verep (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 21 juillet 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Me B. Baysal, avocate à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent dans la procédure devant la Cour.
3. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).
4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5. Le 24 octobre 2000, la Cour (première section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement.
6. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
7. Par une lettre du 22 avril 2004, la Cour a informé les parties qu’elle se prononcerait, en application de l’article 29 §§ 1 et 3 de la Convention, tant sur la recevabilité que sur le fond de la requête.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. La requérante est née en 1942 et réside à Istanbul.
9. En 1990 et 1992, la Direction générale des routes nationales (« la Direction ») expropria des biens immobiliers appartenant à la requérante, sis à Istanbul. Des indemnités d’expropriation fixées par la Direction lui furent versées à la date du transfert de propriété.
10. En désaccord sur le montant payé par la Direction, la requérante introduisit auprès des tribunaux de grande instance compétents des actions en augmentation des indemnités d’expropriation.
11. Les tribunaux donnèrent gain de cause à la requérante et condamnèrent la Direction à lui verser des indemnités d’expropriation complémentaires, assorties d’intérêts moratoires simples au taux de 30 % l’an à compter de la date du transfert de propriété. Ces jugements furent confirmés par la Cour de cassation et devinrent définitifs.
12. Le 21 juillet 1998, la Direction versa à la requérante les compléments d’indemnité en question.
13. Des détails figurent dans le tableau suivant :
MONTANT DE L’INDEMNITÉ COMPLÉMENTAIRE (TRL) | DATE DE DÉPART DU CALCUL DES INTÉRÊTS MORATOIRES | DATE DE L’ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION | DATE DU PAIEMENT | MONTANT DU PAIEMENT (TRL) |
72 480 000 | 22/5/1990 | 29/4/1992 | 21/1/1998 | 632 096 000 |
236 320 500 | 29/1/1992 | 10/12/1993 | 21/1/1998 |
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
14. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Akkuş c. Turquie (9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1305-1306, §§ 13-16) et Aka c. Turquie (23 septembre 1998, Recueil 1998‑VI, pp. 2674‑2676, §§ 17-25).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
15. La requérante se plaint d’une perte de valeur des indemnités complémentaires d’expropriation versées avec retard par la Direction, en raison de l’insuffisance des intérêts moratoires par rapport au taux d’inflation très élevé en Turquie. Elle invoque à cet égard l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
16. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, notamment, Akkuş, précité) et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que la requête doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en effet que celle-ci ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
17. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Akkuş, précité, p. 1310, §§ 30-31, et Aka, précité, p. 2682, §§ 50-51).
18. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate que le retard pris dans le paiement de l’indemnité complémentaire accordée par les juridictions internes est imputable à l’administration expropriante, qui a fait subir à la propriétaire un préjudice distinct s’ajoutant à l’expropriation de ses biens. C’est ce retard, doublé de la durée effective totale de la procédure en question, qui amène la Cour à considérer que la requérante a eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens.
19. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
20. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel et moral
21. La requérante affirme devoir être dédommagée pour un préjudice matériel qu’elle évalue à 35 750 euros (EUR). Elle réclame en outre la réparation d’un dommage moral qu’elle évalue à 5 000 EUR.
22. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
23. Considérant le mode de calcul adopté dans l’arrêt Akkuş (précité, p. 1311, §§ 35-36 et 39) et à la lumière des données économiques pertinentes, la Cour accorde à titre de dommage matériel 35 750 EUR à la requérante.
Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.
B. Frais et dépens
24. La requérante demande également 6 112 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Commission et la Cour.
25. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
26. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable la somme de 300 EUR pour la procédure devant la Commission et la Cour, et l’accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
27. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, plus tout montant pouvant être dû au titre de taxes, droits de timbres et charges fiscales exigibles au moment du versement, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 35 750 EUR (trente-cinq mille sept cent cinquante euros) pour dommage matériel ;
ii. 300 EUR (trois cents euros) pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Dit que le constat de violation constitue par lui-même une satisfaction équitable pour le préjudice moral ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 octobre 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Georg Ress
Greffier Président