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DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 64013/00
présentée par Daniel LEFEBVRE
contre la France
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 16 novembre en une chambre composée de :
MM. I. Cabral Barreto, président,
J.-P. Costa,
R. Türmen,
V. Butkevych,
M. Ugrekhelidze,
Mmes E. Fura-Sandström,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 23 octobre 2000,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Daniel Lefebvre, est un ressortissant français, né en 1945 et résidant à Strasbourg. Il est représenté devant la Cour par Me R. Huffschmitt, avocat à Strasbourg.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant est voyageur-représentant-placier (VRP) de profession. Dans le cadre de son activité professionnelle, plusieurs plaintes avec constitution de partie civile furent déposées à son encontre du chef d'escroquerie. Bien qu'une première procédure ait abouti à sa relaxe au terme d'un jugement rendu par le tribunal correctionnel de Strasbourg le 21 avril 1988, d'autres plaintes fondées sur le même chef d'infraction furent formées contre lui, à la suite desquelles le requérant fut à nouveau mis en examen.
a. En première instance
Par un jugement rendu par défaut le 7 septembre 1989, il fut reconnu coupable d'escroquerie et condamné à payer une amende de 5 000 francs français (FRF) ainsi qu'à dédommager les parties civiles.
Cependant, les droits d'une partie civile furent réservés.
Le jugement statuant sur les intérêts dus à cette partie civile fut prononcé le 1er juin 1993 par le tribunal de grande instance de Strasbourg, statuant toujours par défaut, qui condamna le requérant à dédommager la partie civile concernée.
Le 13 janvier 1995, le requérant se vit notifier selon exploit d'huissier un commandement de payer, en exécution du jugement rendu par défaut le 1er juin 1993.
Le requérant soutient que c'est seulement à l'occasion de cette notification qu'il prit connaissance de la décision rendue par défaut le 1er juin 1993. Il affirme avoir dès lors réclamé copie du jugement du 7 septembre 1989 dont il aurait pris connaissance en avril 1995.
Le 17 janvier 1995, il forma opposition contre le jugement du 1er juin 1993, et le 28 avril 1995 contre le jugement du 7 septembre 1989.
Le 4 avril 1995, le tribunal de grande instance de Strasbourg, statuant par itératif défaut sur l'opposition au jugement du 1er juin 1993, raya l'affaire du rôle pour les motifs suivants :
« (...) Attendu que l'intéressé n'a pas comparu à l'audience de ce jour, qui lui avait été indiquée comme étant celle du débat oral le 4 avril 1995 ; que l'opposition qu'il avait formée le 17 janvier 1995 est donc non avenue et que le jugement du 1er juin 1993 ressortira son plein effet ; (...) »
Le 5 octobre 1995, le tribunal de grande instance de Strasbourg, statuant sur l'opposition formée au jugement du 7 septembre 1989, déclara cette opposition irrecevable pour les motifs suivants :
« (...) Attendu qu'il est constant que par jugement du 7 septembre 1989 signifié à parquet le 20 novembre 1989, le prévenu était déclaré coupable d'escroquerie (...) ;
Attendu que conformément aux dispositions de l'article 492-2 (lire : article 492, deuxième alinéa) du code de procédure pénale, l'opposition tant en ce qui concerne les intérêts civils que la condamnation pénale est recevable jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine (...) ;
Attendu qu'en l'espèce l'opposition régularisée le 28 avril 1995 n'est plus recevable au regard des dispositions précitées dès lors que la prescription de la peine a fait son œuvre (...) ;
Attendu que par ailleurs la prescription de la peine rendant l'opposition irrecevable s'oppose à ce que le tribunal examine les dispositions du jugement sur les intérêts civils qui ne se prescrivent que par trente ans ; (...) »
Le requérant interjeta appel contre ces deux jugements.
b. En appel
A l'appui de ses appels, le requérant déposa les conclusions suivantes :
« L'article 492-2 du code de procédure pénale prévoit que « l'opposition reste recevable jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine, tant en ce qui concerne les intérêts civils que la condamnation pénale ».
Mais la Cour de cassation (Crim. 10 février 1970 et Crim. 17 janvier 1973) a selon une jurisprudence constante déclaré que le délai d'opposition prévu par l'article 492-2 du code de procédure pénale ne peut s'appliquer aux jugements ne statuant que sur l'action civile. (...)
Il apparaît normal que pour obtenir la révision du jugement d'intérêts civils, il faut démontrer que le délit d'escroquerie n'est pas constitué.
Aussi, la Cour devra, sans trancher sur le fond (l'action publique contre l'escroquerie est prescrite), accepter de revoir le fond de l'affaire pour constater que le délit d'escroquerie n'était pas constitué pour M. Lefebvre (prétention ayant abouti au jugement principal du 7 septembre 1989).
Si la Cour rejetait l'appel (et l'opposition) contre le jugement (...) du 1er juin 1993, cela reviendrait à admettre (...) [qu']une personne peut être condamnée (...) sans jamais avoir pu se défendre. (...) »
Le 19 septembre 1996, la cour d'appel de Colmar joignit les deux procédures contestées et confirma en toutes ses dispositions le jugement du 5 octobre 1995, essentiellement pour les motifs suivants :
« Attendu que sur le fond, il y a lieu de rappeler que par jugement par défaut en date du 7 septembre 1989 signifié à parquet le 20 novembre 1989, le tribunal correctionnel de Strasbourg a déclaré Daniel Lefebvre coupable d'escroquerie (...)
Attendu que statuant sur l'opposition formée le 28 avril 1995, c'est à bon droit que les premiers juges ont fait une exacte application des termes clairs et précis de l'article 492 du code de procédure pénale et ont déclaré irrecevable l'opposition intervenue après l'expiration des délais de prescription de la peine (...) ».
La cour d'appel de Colmar sursit cependant à statuer sur une partie de l'appel interjeté contre le jugement du 4 avril 1995, invitant le requérant à présenter ses conclusions sur les intérêts de la partie civile concernée.
Les conclusions que le requérant soumit à la cour d'appel concernant cette dernière partie civile furent essentiellement les suivantes :
« (...) le jugement du 7 septembre 1989 semblant avoir été signifié à parquet en novembre 1991, l'opposition du 28 avril 1995 à l'encontre de ce jugement était recevable, comme intervenue dans le délai de 5 ans de la prescription de la peine (...).
L'arrêt du 19 septembre 1996 cependant a confirmé les jugements des 4 avril et 5 octobre 1995. (...)
Pourtant, M. Lefebvre se voit opposer une condamnation sans jamais avoir pu se défendre, et ce contrairement aux dispositions de l'article 6 (...) et de l'article 13 de la Convention européenne des Droits de l'Homme (...)
M. Lefebvre est alors bien fondé à (...) déclarer irrecevables (...) les conclusions de la partie civile (...). »
Le 19 mars 1998, la cour d'appel de Colmar confirma l'intégralité du jugement du 4 avril 1995. Le requérant forma un pourvoi en cassation contre chacun des arrêts évoqués ci-dessus datés du 19 septembre 1996 et du 19 mars 1998.
c. En cassation
A l'appui de ses pourvois, le requérant déposa les conclusions suivantes :
« (...) d'une part, (...) [M. Lefebvre] ne peut ainsi se trouver condamné, fût-ce civilement, sans avoir jamais été informé des poursuites dirigées à son encontre, ni avoir pu présenter la moindre défense, (...) devant les juridictions de jugement qui l'ont, ainsi, condamné sans l'avoir jamais entendu, après avoir déclaré son opposition irrecevable car tardive ;
(...) d'autre part, dans ses conclusions en cause d'appel, M. Lefebvre se prévalait expressément des dispositions de la Convention européenne des Droits de l'Homme (...) la cour d'appel a laissé ce moyen sans réponse aucune. (...) ».
Il déposa également les observations complémentaires suivantes :
« (...) la cour d'appel s'est bornée à indiquer que ledit jugement a été signifié à parquet le 20 novembre 1989, alors même que M. Lefebvre mentionnait dans ses conclusions que cette signification n'était intervenue qu'en novembre 1991 ; (...) aucune trace de l'acte de signification à parquet ne [figure] dans le dossier soumis à la Cour de cassation (...) [de sorte que] la Cour de cassation n'est pas en mesure de vérifier si la prescription du délai d'opposition était, ou non, acquise le 28 avril 1995 (...) ».
Par un arrêt rendu le 11 mai 2000, la Cour de cassation rejeta les pourvois du requérant pour les motifs suivants :
« (...) Attendu que le demandeur ne saurait faire grief à la cour d'appel d'avoir retenu que le jugement du 7 septembre 1989 avait été signifié le 20 novembre 1989, dès lors que dans ses conclusions régulièrement déposées, il n'avait pas contesté cette date ;
Attendu, par ailleurs, que dans ses conclusions, Daniel Lefebvre s'est borné à viser l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales sans en tirer de conséquence juridique (...) ;
D'où il suit que les moyens sont nouveaux, et, comme tels, irrecevables ; (...). »
B. Droit et pratique internes pertinents
1. Droit interne pertinent
Article 133-3 du code pénal
« Les peines prononcées pour un délit se prescrivent par cinq années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive ».
Article 492 du code de procédure pénale
« Si la signification du jugement n'a pas été faite à la personne du prévenu, l'opposition doit être formée dans les délais ci-après, qui courent à compter de la signification du jugement faite à domicile, à mairie ou à parquet : dix jours si le prévenu réside en France métropolitaine, un mois s'il réside hors de ce territoire.
Toutefois, s'il s'agit d'un jugement de condamnation (...) l'opposition tant en ce qui concerne les intérêts civils que la condamnation pénale reste recevable jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine.
Dans les cas visés à l'alinéa précédent, le délai d'opposition court à compter du jour où le prévenu a eu cette connaissance. »
Article 2262 du code civil
« Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre, ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. »
2. Pratique interne pertinente
Cour de cassation, chambre criminelle, 18 février 1971
« (...) le caractère pénal de la condamnation pécuniaire s'oppose à ce qu'il soit fait application, en ce qui la concerne (...) du délai de prescription trentenaire auquel sont soumises les condamnations civiles ; »
Cour de cassation, 1re chambre civile, 14 janvier 2003
« (...) le recouvrement des sommes litigieuses en vertu de titres exécutoires, est soumis à la prescription de droit commun de 30 ans. »
GRIEFS
1. Invoquant les articles 6 §§ 1 et 3 de la Convention, le requérant se plaint de la prescription de son recours en opposition, alléguant qu'en raison de cette limitation il n'a jamais pu présenter sa défense contre les faits dont il a été reconnu coupable par le jugement du 7 septembre 1989. En outre, selon lui, la prescription de la condamnation pénale l'empêche de contester les condamnations civiles portées par le même jugement, alors que celles-ci ne sont en principe pas encore prescrites.
2. Invoquant l'article 13 de la Convention, combiné à l'article 6 de celle‑ci, le requérant se plaint de ce que les juges d'appel n'auraient pas répondu à son moyen tiré d'une violation alléguée de l'article 6 de la Convention, le privant ainsi d'un recours effectif. Par suite directe, le requérant se plaint du fait que l'arrêt de la Cour de cassation qui rejeta ses pourvois ait estimé que son moyen tiré de l'article 6 de la Convention était nouveau et donc irrecevable.
EN DROIT
1. Le requérant allègue une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent de la façon suivante :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations à caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...).
Tout accusé a droit notamment à :
a - être informé (...) de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui (...). »
Il estime ne pas avoir pu présenter sa défense face aux condamnations prononcées par défaut à son encontre le 7 septembre 1989, en raison de la prescription de la condamnation pénale, laquelle a entraîné l'expiration des délais d'opposition au jugement litigieux (en application du 2e alinéa de l'article 492 du code de procédure pénale). Il conteste tant le fait de ne pas avoir pu se défendre face à l'accusation pénale en raison de la prescription de ladite condamnation que le fait de ne pas pouvoir contester les condamnations civiles prononcées dans le jugement du 7 septembre 1989, dont il défend qu'elles ne sont pas prescrites.
La Cour rappelle que l'article 35 § 1 de la Convention, s'il doit s'appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif » (voir, entre autres, Guzzardi c. Italie, arrêt du 6 novembre 1980, série A no 39, p. 26, § 72), n'exige pas seulement la saisine des juridictions nationales compétentes et l'exercice de recours destinés à combattre une décision déjà rendue : il comprend en principe aussi, et notamment, l'obligation d'avoir soulevé dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l'on entend soumettre par la suite à Strasbourg (voir ibidem, pp. 25-27, §§ 71 et 72 ; Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, § 34 ; Saïdi c. France, arrêt du 20 septembre 1993, série A no 216 C, p. 54, § 38 ; Gasus Dosier –und Fördertechnik GmbH c. Pays‑Bas, arrêt du 23 février 1995, série A no 306 B, § 48).
La Cour rappelle en outre qu'elle n'a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes auxquelles il incombe au premier chef d'interpréter la législation interne (voir les arrêts Bulut c. Autriche du 22 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 356, § 29, et, mutatis mutandis, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 290, § 33). Ceci est particulièrement vrai s'agissant de l'interprétation des règles de nature procédurale telles que les formes et délais régissant l'introduction d'un recours (voir, mutatis mutandis, les arrêts Tejedor García c. Espagne du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2796, § 31, Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne du 28 octobre 1998, Recueil 1998, p. 3255, § 43). Concernant plus particulièrement l'aménagement des délais de prescription, la Cour rappelle que sa jurisprudence a toujours prévu de laisser aux Etats une large marge d'appréciation dans ce domaine, notamment en ce que ces délais considérés comme des limitations implicitement admises du « droit d'accès à un tribunal » servent à garantir la sécurité juridique et empêcher l'usage d'éléments de preuve incomplets en raison du temps écoulé (voir notamment Stubbings et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1996, Recueil 1996‑IV, §§ 50-57 ; Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, §§ 54-56, CEDH 2002‑I ; et surtout Vo c. France [GC], no 53924/00, § 92, CEDH 2004).
La Cour rappelle enfin qu'il serait contraire au caractère subsidiaire du dispositif de la Convention qu'un requérant, négligeant un argument possible au regard de la Convention, puisse devant les autorités nationales invoquer un autre moyen pour contester une mesure litigieuse, et par la suite introduire devant la Cour une requête fondée sur l'argument tiré de la Convention (Van Oosterwijck c. Belgique, arrêt du 6 novembre 1980, série A no 40, pp. 16-17, §§ 33-34 ; Azinas c. Chypre [GC], arrêt du 28 avril 2004, no 56679/00, § 38).
La Cour relève que le requérant a été condamné tant pénalement que civilement par un jugement du 7 septembre 1989 rendu par défaut. Il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 19 septembre 1996 que ce jugement a été signifié à parquet le 20 novembre 1989.
Concernant la condamnation pénale, la Cour note que le requérant soutient que la signification à parquet n'a pas été effectuée à cette date. Or, à supposer même que tel soit le cas, la Cour constate que ce grief n'a pas été soulevé devant la cour d'appel. En effet, dans le cadre de la procédure principale statuant sur l'appel interjeté contre le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 5 octobre 1995 (et qui a donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 19 septembre 1996), le requérant a essentiellement contesté l'interprétation du droit interne par les juges de première instance relativement au point de départ du délai de prescription. Il n'a pas contesté la date de la signification du jugement litigieux. Si le requérant a évoqué ce point dans les conclusions qu'il a soumises à la cour d'appel, il l'a fait uniquement dans le cadre d'une procédure ultérieure concernant les intérêts d'une partie civile alors que le volet pénal de la procédure avait déjà été intégralement tranché par l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 19 septembre 1996.
En outre, la Cour note que l'alinéa 2 de l'article 492 du code de procédure pénale dispose qu'en l'absence de signification d'un jugement pénal rendu par défaut au condamné lui-même, l'opposition de celui-ci reste recevable jusqu'à la prescription de la peine. Ainsi, le délai de prescription des délits étant de cinq ans, la cour d'appel a constaté que la peine avait été prescrite le 20 novembre 1994, de telle sorte que, comme l'ont conclu ces mêmes juges, lorsque le requérant a introduit son recours en opposition le 28 avril 1995, le délai était expiré.
Il s'ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Concernant la condamnation civile, la Cour constate que la cour d'appel a considéré que, bien qu'une condamnation civile se prescrive par trente ans, l'irrecevabilité de l'opposition exercée par le requérant contre le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 7 septembre 1989 en raison de la prescription de la condamnation pénale, s'oppose à un examen des dispositions dudit jugement en ce qu'il condamne civilement le requérant.
La Cour relève que, dans les conclusions à l'appui de l'appel interjeté contre le jugement du 5 octobre 1995, le requérant n'a, en aucune manière, visé l'article 6 de la Convention. S'il a visé cette disposition, c'est uniquement dans les conclusions qu'il a déposées à l'appui de l'appel formé contre le jugement du 4 avril 1995 (et qui donnèrent lieu à l'arrêt du 19 mars 1998). Or, cette procédure ne portait que sur des intérêts civils dans la mesure où le volet pénal de l'affaire avait déjà été tranché par la cour d'appel de Colmar dans son arrêt du 19 septembre 1996.
Dans ces conditions, la Cour considère que le grief tiré devant elle par le requérant de l'impossibilité de contester les intérêts civils par voie de conséquence d'une prescription de l'action pénale n'a pas été soulevé, même en substance, devant les juridictions internes. Elle n'estime cependant pas nécessaire de se fonder sur ce chef d'irrecevabilité de cette partie du grief, celle-ci étant de toutes façons irrecevable pour les raisons suivantes.
En effet, la Cour rappelle que l'interprétation du droit interne, en l'occurrence la question de savoir si l'irrecevabilité de l'opposition, due à la prescription de la condamnation pénale, empêche de contester la condamnation civile, appartient au premier chef aux juridictions internes (voir les arrêts Bulut c. Autriche et, mutatis mutandis, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, précités). Ceci est particulièrement vrai, comme en l'espèce, pour des délais de prescription, qui constituent des limitations implicitement admises au « droit d'accès à un tribunal », pour lesquelles les Etats jouissent d'une large marge d'appréciation (voir notamment les arrêts Stubbings et autres c. Royaume-Uni, Calvelli et Ciglio c. Italie [GC] et Vo c. France [GC], précités).
Il s'ensuit que cette partie du grief est également manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Le requérant allègue, combiné à l'article 6 § 1 de la Convention précité, une violation de l'article 13 lequel dispose dans ses dispositions pertinentes :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ».
Il estime ne pas avoir eu droit à un recours effectif dans la mesure où la cour d'appel n'a pas répondu à son moyen tiré d'une violation de l'article 6 de la Convention.
La Cour relève d'emblée que ce grief tend à contester essentiellement l'absence de réponse de la cour d'appel à un moyen prétendument soulevé par le requérant et tiré de l'article 6 de la Convention.
Elle rappelle que, selon sa jurisprudence, si cette disposition oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, elle ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (voir Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, p. 20, § 61). L'étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s'analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (voir Higgins et autres c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, § 42 et Garcia Ruiz c. Espagne [GC], arrêt du 21 janvier 1999, no 30544/96, § 26, CEDH 1999‑I).
La Cour rappelle également que l'article 13 de la Convention ne saurait s'interpréter comme exigeant un recours interne pour toute doléance qu'un individu peut présenter sur le terrain de la Convention : il doit s'agir d'un grief défendable, au regard de celle-ci (voir les arrêts Boyle et Rice c. Royaume-Uni du 27 avril 1988, série A no 131, p. 23, § 52, et Powell et Rayner c. Royaume-Uni du 21 février 1990, série A no 172, p. 14, § 31).
La Cour relève qu'en l'espèce aucun argument tiré de la Convention n'a été clairement développé par le requérant dans les conclusions qui donnèrent lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 19 septembre 1996. Si l'article 6 de la Convention a été visé par le requérant devant les juridictions internes, c'est uniquement à l'appui des conclusions qui donnèrent lieu à l'arrêt du 19 mars 1998. Force est d'ailleurs de constater que le requérant s'est contenté de viser l'article 6 de la Convention sans exposer de raisonnement pertinent en lien avec cette disposition. Il s'ensuit que le requérant n'a pas pu, par un simple visa, mettre en mesure la cour d'appel de se prononcer sur un éventuel moyen tiré de l'article 6 de la Convention. Dès lors, l'obligation de motivation qui pèse sur les juges internes ne saurait, quelle que soit son étendue, trouver à s'appliquer lorsque le requérant n'a pas clairement exposé ses griefs devant les juridictions internes.
Par conséquent, le requérant n'ayant pas mis en mesure la cour d'appel de statuer sur un moyen tiré de l'article 6 de la Convention, il ne saurait contester l'arrêt de la Cour de cassation qui a, par la suite, considéré que tout moyen du pourvoi tiré de l'article 6 de la Convention était nouveau et, par suite, irrecevable devant elle.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé I. Cabral Barreto
Greffière Président