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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.12.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRES

SIFFRE c. FRANCE

ECOFFET c. FRANCE

BERNARDINI c. FRANCE

(Requêtes nos 49699/99, 49700/99 et 49701/99)

ARRÊT

La présente version a été rectifiée conformément à l'article 81 du règlement de la Cour le 27 mars 2007.

STRASBOURG

12 décembre 2006

DÉFINITIF

12/03/2007


En les affaires Siffre, Ecoffet et Bernardini c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 novembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouvent trois requêtes (nos 49699/99, 49700/99 et 49701/99) dirigées contre la République française et dont trois ressortissants de cet Etat, Messieurs Jacques Siffre, Claude Ecoffet et François Bernardini, ont saisi la Cour le 9 décembre 1998 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me Christophe Moustacakis, avocat à Aix-en-Provence. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Ronny Abraham, auquel a succédé dans ses fonctions Mme Edwige Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants alléguaient en particulier la violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure.

4. Par une décision du 21 juin 2005, la Cour a déclaré les requêtes partiellement recevables.

5. Seul le Gouvernement a déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

6. Les requérants, Messieurs Jacques Siffre, Claude Ecoffet et François Bernardini sont nés, respectivement, pour les deux premiers en 1937 et pour le troisième en 1953 et résident à Aureille, Istres et Miramas dans le département des Bouches-du-Rhône (région ProvenceAlpes-Côte d'Azur).

7. Les requérants résidaient à Istres au moment des faits. Ils étaient conseillers municipaux de la ville d'Istres, le premier en était maire, le troisième était l'adjoint chargé des finances. Ce dernier était également conseiller général des Bouches-du-Rhône et député européen.

8. Plusieurs élus municipaux dont les trois requérants, soupçonnés de s'être indûment immiscés dans le maniement de deniers publics, furent mis en cause dans le cadre d'une gestion de fait d'une association créée le 13 juin 1986 par le conseil municipal d'Istres, dénommée « Istres-Promo ».

A. La procédure relative à la gestion de fait de l'association IstresPromo

1. La procédure en premier ressort devant la CRC

9. Par un jugement du 2 mars 1995, la chambre régionale des comptes (ciaprès « CRC ») de ProvenceAlpesCôte d'Azur, statuant provisoirement, déclara les requérants conjointement et solidairement comptables de fait de la commune d'Istres à hauteur des 9 430 000 francs (FRF), soit environ 1 437 594 euros (EUR), de subventions versées par la commune d'Istres au bénéfice de l'association Istres-Promo depuis sa création, et enjoignit aux intéressés de reverser dans les caisses du comptable public les sommes qu'ils pourraient encore indûment détenir et d'apporter la preuve de la cessation des opérations constitutives de gestion de fait. Par ailleurs, la CRC sursit à statuer sur l'amende prévue par les articles L. 13111 et L. 23111 du code des juridictions financières pour l'immixtion dans les fonctions de comptable public.

10. Par un jugement du 20 avril 1995, la CRC déclara les requérants définitivement comptables de fait de la commune d'Istres. Dans ses dispositions provisoires, elle leur enjoignit de produire un compte unique de la gestion de fait faisant apparaître le relevé des paiements effectués, dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, le compte devant être accompagné d'une délibération du conseil municipal d'Istres statuant sur l'utilité publique des dépenses inscrites au compte précité.

11. Les requérants interjetèrent appel du jugement du 20 avril 1995 devant la Cour des comptes.

2. La procédure en appel devant la Cour des comptes

12. Par un arrêt du 4 mai 1995, la Cour des comptes ordonna le sursis à exécution du jugement de la CRC afin de préserver les droits des requérants en cas de succès de leur appel.

13. Par un arrêt du 15 décembre 1995, la Cour des comptes, statuant définitivement, confirma la déclaration de gestion de fait des deniers de la commune d'Istres prononcée à l'égard des requérants. Statuant provisoirement, elle déclara l'association IstresPromo comptable de fait des deniers de la commune d'Istres à raison de la réception des subventions à elle versées par ladite commune et ordonna le sursis à exécution du jugement du 20 avril 1995 jusqu'à la réponse de l'association.

14. Le 13 février 1996, l'association reversa le solde positif de ses comptes de liquidation dans les caisses de la commune.

15. Par un arrêt du 4 juillet 1996, la Cour des comptes leva en conséquence définitivement la déclaration de gestion de fait concernant l'association et révoqua le sursis à exécution du jugement. Les avis de réception de cet arrêt datent du 7 août 1996 pour le premier requérant et du 3 août 1996 pour les deuxième et troisième requérants.

3. Continuation de la procédure devant la CRC

16. Le 17 septembre 1996, les comptables de fait déposèrent à la CRC un compte unique de gestion de fait accompagné d'une délibération du conseil municipal en date du 27 février 1996 statuant sur l'utilité communale des dépenses inscrites au compte.

17. Par un jugement du 12 novembre 1996, la CRC, statuant définitivement, rejeta le compte produit comme ne satisfaisant pas aux prescriptions de l'injonction du jugement du 20 avril 1995 ; statuant provisoirement, elle enjoignit aux comptables de fait de produire dans un délai de deux mois suivant la notification du présent jugement un nouveau compte ainsi qu'une nouvelle délibération statuant sur l'utilité communale des dépenses inscrites au compte ainsi constitué.

18. Les requérants produisirent un nouveau compte le 20 janvier 1997, accompagné d'une nouvelle délibération du conseil municipal en date du 13 janvier 1997, que le préfet déféra au tribunal administratif de Marseille (voir infra).

19. Statuant provisoirement le 11 mars 1997, la CRC fixa la ligne de compte tant en dépenses qu'en recettes à 9 430 000 FRF, soit 1 437 594,23 EUR et accepta le nouveau compte produit mais prononça trente-quatre injonctions ayant pour but de reverser certaines sommes dans les caisses de la commune d'Istres ou, à défaut, d'en apporter toute autre justification. Evaluant la responsabilité de chacun des requérants dans l'immixtion dans les fonctions de comptable public, elle infligea une amende de 300 000 FRF, soit 45 734,71 EUR, aux premier et troisième requérants et de 10 000 FRF, soit 1 524,49 EUR, au deuxième requérant.

20. Les requérants répondirent le 25 mars 1997.

21. Par un jugement du 6 mai 1997, la CRC, statuant définitivement, leva totalement vingtcinq injonctions, en leva partiellement une et déclara le premier et le troisième requérants solidairement débiteurs de la commune d'Istres à hauteur de 522 378,09 FRF, soit 79 636,03 EUR, et solidairement avec une autre personne pour la somme de 424 764,34 FRF, soit 64 754,91 EUR. Le premier requérant fut également déclaré, solidairement avec une autre personne, débiteur de la somme de 10 000 FRF, soit 1 524,49 EUR. Statuant provisoirement, la CRC maintint la réserve générale en attendant la décision du juge administratif sur la légalité de la délibération du conseil municipal du 13 janvier 1997 reconnaissant l'utilité publique des dépenses payées par l'association Istres-Promo.

22. Par un jugement du 9 mai 1997, la CRC condamna définitivement les comptables de fait à une amende de 150 000 FRF, soit 22 867,35 EUR, pour chacun des premier et troisième requérants et de 5 000 FRF, soit 762,25 EUR, à l'encontre du deuxième requérant.

23. Le 1er août 1997, les requérants interjetèrent appel des jugements des 6 et 9 mai 1997.

4. La procédure en appel devant la Cour des comptes

24. Le 2 octobre 1997, la Cour des comptes prononça le sursis à exécution des jugements des 6 et 9 mai 1997.

25. Par lettres du 8 janvier 1998, le président de la Cour des comptes informa les requérants de la suspension de l'instance d'appel en raison de la procédure en cours devant la juridiction administrative.

26. A l'issue de cette dernière, intervenue le 7 décembre 1999, la Cour des comptes rendit deux arrêts le 24 février 2000. Dans un premier arrêt, elle infirma partiellement le jugement du 6 mai et renvoya pour être jugé sur ce point à la CRC. Elle confirma le jugement quant au surplus des dispositions définitives et révoqua le sursis à exécution.

27. Dans un second arrêt, elle confirma les amendes et révoqua le sursis à exécution.

5. Retour de la procédure devant la CRC

28. Par jugement provisoire du 15 juin 2000, après avoir relevé que les comptables de fait s'étaient acquittés du versement des amendes en avril 2000 et avaient reversé certaines sommes, la CRC leur enjoignit de verser de nouvelles sommes en vertu de nouvelles injonctions à exécuter dans le délai d'un mois.

29. Par jugement définitif du 20 juillet 2000, la CRC constata les versements effectués et leva les injonctions. Elle leva la réserve générale prononcée par le jugement du 6 mai 1997 et déclara les requérants quittes et libérés de leur gestion des deniers de la ville d'Istres dans le cadre de l'association IstresPromo.

B. Les arrêtés portant démission d'office des requérants et la procédure subséquente

30. Entre-temps, dans une lettre du 13 mai 1997, le président de la CRC s'adressa ainsi au préfet des Bouches-du-Rhône :

« Comme suite à votre lettre du 7 mai 1997, je vous confirme que MM. Siffre, Bernardini et Ecoffet n'ont pas obtenu le quitus de leur gestion comptable dans l'affaire de l'association Istres-Promotion.

Le délai prévu par les articles L 236, L 205 et L 341 du Code électoral s'achevait le 4 avril 1997. Par jugement du 6 mai et 9 mai 1997 MM. Siffre, Bernardini et Ecoffet se sont vu mettre à charge plusieurs débets, et se sont vu infliger des amendes de 150 000 F pour les deux premiers élus et 5 000 F pour le troisième. En outre, une réserve générale a été formulée sur leur gestion à la suite de votre déféré au juge administratif de la délibération portant déclaration d'utilité communale des dépenses du compte de la gestion de fait précitée.

Cette réserve générale interdit, tant qu'elle n'aura pas été levée, la délivrance du quitus aux comptables de fait. »

31. Le 7 juillet 1997, le préfet prit trois arrêtés déclarant chacun des requérants démissionnaires d'office de son mandat de conseiller municipal de la commune d'Istres. En outre, le troisième requérant perdit ses fonctions de conseiller général. Le 11 juillet 1997, les requérants sollicitèrent devant le tribunal administratif de Marseille l'annulation de la lettre du président de la CRC du 13 mai 1997 et des arrêtés préfectoraux.

32. Par un jugement du 15 septembre 1997, le tribunal rejeta les requêtes.

33. Le 3 novembre 1997, les requérants firent appel devant le Conseil d'Etat.

34. Par un arrêt du 19 juin 1998, ce dernier annula le jugement au motif que le tribunal ne s'était pas prononcé dans les deux mois de sa saisine. Il évoqua ensuite l'affaire et rejeta les réclamations des requérants dirigées contre les arrêtés par lesquels le préfet les avait déclarés démissionnaires de leurs fonctions de conseillers municipaux.

C. La procédure en annulation pour excès de pouvoir de la délibération du conseil municipal d'Istres du 13 janvier 1997

35. Le 24 avril 1997, le préfet des Bouches-du-Rhône déféra au tribunal administratif de Marseille la délibération du 13 janvier 1997 par laquelle le conseil municipal d'Istres avait approuvé le rétablissement des formes administratives, budgétaires et comptables des dépenses effectuées de 1986 à 1995 par l'association Istres-Promo et avait reconnu l'intérêt communal des dépenses engagées par ladite association. Trois conseillers municipaux en demandèrent également l'annulation.

36. Par un jugement du 10 décembre 1997, le tribunal annula en partie la délibération.

37. Le 13 février 1998, la commune d'Istres releva appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Marseille. La juridiction désigna un rapporteur le 9 mars 1998. Le 28 septembre 1998, elle mit en demeure le ministre de l'Intérieur de produire ses observations. Le préfet produisit un mémoire en réplique le 16 octobre 1998. A la même date, les trois conseillers municipaux déposèrent un mémoire en défense et appel incident.

38. La commune d'Istres déposa le 11 janvier 1999 un mémoire en réponse aux conclusions des trois conseillers municipaux. Elle déposa ensuite un mémoire en réplique aux observations du préfet.

39. Entre-temps, par un courrier du 17 septembre 1998, l'avocate de la commune d'Istres sollicita auprès du greffe de la cour administrative l'audiencement rapide de l'affaire, au motif que la procédure devant la chambre régionale des comptes était interrompue dans l'attente de la décision de la cour.

40. Par des lettres des 17 février et 26 mars 1999, l'avocate réitéra auprès du greffe sa demande d'audiencement rapide de l'affaire et les motifs la soustendant.

41. Par un arrêt du 7 décembre 1999, la cour administrative d'appel annula la délibération du conseil municipal en ce que de nombreuses lignes de dépense n'avaient pas d'intérêt communal.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Les textes

Dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, le code électoral, dans ses articles L. 231 et L. 236, prévoyait que les comptables des deniers communaux ne pouvaient être élus conseillers municipaux et que, dans le cas où l'un d'entre eux, pour une cause postérieure à son élection, se trouvait dans ce cas d'inéligibilité, il serait déclaré démissionnaire d'office par le préfet, sauf s'il lui avait été délivré quitus de sa gestion dans les six mois de l'expiration du délai de production des comptes imparti par le jugement du juge des comptes statuant définitivement (article L. 236 alinéa 2).

La loi du 21 décembre 2001 a modifié l'article L. 231 précité en excluant les comptables de fait du champ d'application de l'inéligibilité, et a supprimé l'alinéa 2 de l'article L. 236 du même code.

B. La jurisprudence

42. En 1996, Mme H. Gisserot, procureur général près la Cour des comptes, dans ses conclusions concernant l'avis des Chambres Réunies de la Cour des comptes du 7 octobre 1996 reconnaissait que « la durée de certaines procédures devant le juge des comptes, notamment en matière de gestion de fait et de charges tardives à la faveur d'une succession d'arrêts ou de jugements provisoires, pourrait être critiquée au nom du droit à un procès équitable » (Recueil de la Cour des comptes 1996, p. 129).

43. Selon le Conseil d'Etat, la procédure à l'issue de laquelle la Cour des comptes se prononce sur une gestion de fait constitue une procédure unique alors même qu'elle implique plusieurs arrêts (CE, 14 décembre 2001, Société Réflexions, Médiations, Ripostes).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

44. Les requérants allèguent que la durée de la procédure devant les juridictions financières a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu à l'article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Ils invoquent également l'article 13 de la Convention, libellé ainsi :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

45. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

A. Arguments des parties

46. Les requérants soulignent qu'en l'espèce, seul un délai de six mois leur était imparti par les dispositions des articles L. 236, L. 205 et L. 341 du code électoral pour leur permettre de sauvegarder l'intégralité de leurs droits électoraux et le maintien de leurs mandats électoraux. Or, ils relèvent que la délivrance d'un éventuel quitus (qui conditionnait leur éligibilité), s'est trouvée suspendue dans l'attente de la décision définitive des juridictions administratives sur la validité de la délibération du conseil municipal d'Istres du 13 janvier 1997, et que, bien qu'il n'ait pas fait statuer sa juridiction dans un délai raisonnable, le président de la CRC a averti, par sa lettre du 13 mai 1997, le préfet des Bouches du Rhône de ce qu'ils n'avaient pas obtenu quitus, mettant ainsi en mouvement la procédure de démission d'office de leurs mandats électoraux.

47. A cet égard, les requérants estiment que les modifications du code électoral intervenues par l'effet de la loi du 21 décembre 2001, à savoir le fait que l'article 231 de ce code ne vise plus que les « comptables des deniers communaux agissant en qualité de fonctionnaires » et la suppression de l'alinéa 2 de l'article 236 du même code qui conduisait à l'inéligibilité ou à la démission d'office des élus locaux déclarés comptables de fait, démontrent le bienfondé de leur grief.

48. Les requérants soulignent, par ailleurs, qu'il ne saurait leur être reproché d'avoir usé des voies de recours à leur disposition en vertu de la loi et contestent avoir tardé à répondre aux injonctions de la CRC.

49. Le Gouvernement estime que la procédure litigieuse, qui selon lui a débuté le 2 mars 1995, date du jugement de déclaration provisoire de gestion de fait, et s'est terminée le 20 juillet 2000 avec la délivrance du quitus mettant fin à la procédure, s'est déroulée dans les meilleurs délais possibles compte tenu des sommes élevées en jeu. Par ailleurs, l'affaire présentait une certaine complexité en raison de la longueur de la période de gestion de fait à examiner, soit presque dix ans. Malgré tout, les juridictions financières saisies ont rendu quinze jugements et arrêts sur une période d'un peu plus de cinq ans.

50. Le Gouvernement précise que ni la déclaration de gestion de fait ni la démission d'office et l'inéligibilité, qui en était à l'époque la conséquence immédiate, n'avaient le caractère d'une sanction, et que cette inéligibilité était sans rapport avec le prononcé ultérieur d'un débet ou d'une amende à l'encontre du comptable de fait. Il rappelle également que l'article L. 236 alinéa 2 du code électoral relatif au délai de six mois susmentionné, applicable au moment des faits, ne saurait être interprété comme valant obligation pour le juge des comptes de statuer définitivement sur le compte dans ce délai. En l'espèce, le Gouvernement estime que les circonstances de la procédure interdisaient, quelle que soit la bonne volonté du juge des comptes et la célérité particulière dont il a fait preuve, de mettre un terme à la procédure litigieuse dans ce délai.

51. Concernant le comportement des requérants, le Gouvernement relève qu'ils ont tardé à déposer un compte complet de la gestion de fait. Par ailleurs, ils ont fait appel à chaque stade de la procédure, ce qui a allongé cette dernière sans que cet élément certes objectif puisse être imputé aux autorités juridictionnelles.

52. De plus, le Gouvernement souligne que si les dépenses de l'association Istres-Promo n'avaient pas été manifestement contraires à l'intérêt public communal, le préfet n'aurait pas été contraint de déférer au juge administratif la délibération du conseil municipal du 13 janvier 1997, par laquelle ce dernier les avait approuvées. Le comportement initial des requérants était ainsi à l'origine de la suspension de la procédure dans l'attente de la décision du juge administratif.

53. Quant au comportement de la CRC et de la Cour des comptes, le Gouvernement estime qu'elles ont rendu leurs décisions dans les plus brefs délais, et que si l'instance a dû être suspendue, comme mentionné précédemment, jusqu'à l'aboutissement de la procédure administrative, cette dernière procédure s'est elle-même déroulée très rapidement, soit en un peu plus de deux ans pour deux instances. Enfin, l'on ne saurait reprocher à la Cour des comptes d'avoir accordé à trois reprises des sursis à exécution aux requérants, dans la mesure où il s'agissait de les prémunir contre les conséquences de décisions pouvant être remises en cause en cas de succès de l'appel.

54. Le Gouvernement conclut que la durée de la procédure de gestion de fait litigieuse n'a pas été déraisonnable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

B. Appréciation de la Cour

55. La Cour rappelle tout d'abord qu'il n'existe aucun intérêt juridique à examiner le grief tiré de l'article 13 lorsque, comme en l'espèce, les requérants se plaignent également sous l'angle de l'article 6 § 1, dont les exigences sont plus strictes que celles de l'article 13, qui se trouvent absorbées par elles (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 146, CEDH 2000-XI). Dès lors, la Cour examinera le grief des requérants sous l'angle de l'article 6 § 1 précité.

1. Période à prendre en considération

56. La Cour relève, à l'instar du Gouvernement qui n'a pas été contredit par le requérant sur ce point et conformément à sa jurisprudence antérieure en la matière (voir Richard-Dubarry c. France, no 53929/00, § 78, 1er juin 2004), que la procédure a débuté le 2 mars 1995, date du premier jugement de la CRC statuant à titre provisoire sur la gestion de fait, et qu'elle s'est terminée par le jugement de la CRC en date du 20 juillet 2000, qui a mis un terme définitif à la procédure en donnant quitus aux requérants de cette gestion. Elle a donc duré plus de cinq ans et quatre mois.

2. Caractère raisonnable de la procédure

57. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour l'intéressé (voir, parmi beaucoup d'autres, Comingersoll c. Portugal [GC], no 35382/97, § 19, CEDH 2000-IV, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

58. En l'espèce, la Cour relève que la procédure a débuté devant la CRC statuant à titre provisoire – selon la règle du « double arrêt » consistant à rendre une décision provisoire puis une décision définitive – déclarant les requérants comptables de fait de la gestion de l'association Istres-Promo le 2 mars 1995 pour se terminer devant cette même juridiction le 20 juillet 2000 par un jugement définitif donnant quitus aux requérants. Dans l'intervalle, la CRC a rendu six jugements provisoires ou définitifs (11 mars 1997, 9 mai 1997, 15 juin 2000), dont certains pour partie provisoires et pour partie définitifs (20 avril 1995, 12 novembre 1996 et 6 mai 1997).

59. Trois de ces jugements ont été déférés par les requérants à la Cour des comptes, à savoir un appel contre le jugement les déclarant comptables de fait le 20 avril 1995 et deux appels contre les jugements prononçant les débets et leur infligeant les amendes les 6 et 9 mai 1997. Au cours de l'examen de ces appels, la Cour des comptes a elle-même rendu plusieurs arrêts, prononçant dans un premier temps le sursis à exécution des jugements déférés pour, dans un second temps, se prononcer sur le fond quelques mois plus tard, à savoir respectivement sept mois (premier appel) et presque deux ans et cinq mois (deuxième et troisième appel) ; ce dernier délai s'expliquant par le fait que la procédure d'appel devant la juridiction financière a été suspendue dans l'attente de l'issue de la procédure administrative portant sur la validité de la délibération du conseil municipal d'Istres du 13 janvier 1997.

60. La Cour ne conteste pas que la procédure devant les juridictions financières comporte des spécificités qui la rendent quelque peu complexe. Elle ne saurait cependant y voir une explication convaincante, à elle seule, des délais de la procédure litigieuse ni être d'avis que les requérants ont tiré profit de cette spécificité pour les justifier (Richard-Dubarry c. France, arrêt précité, § 80). A cet égard, la Cour rappelle que, selon la jurisprudence interne (CE, 14 décembre 2001, Société Réflexions, Médiations, Ripostes), une telle procédure constitue une procédure unique alors même qu'elle implique plusieurs arrêts (en ce sens également, Richard-Dubarry c. France (déc.), no 53929/00, CEDH 2003 XI (extraits)).

61. Quant au comportement des requérants, la Cour constate qu'il ne saurait être mis en cause en l'espèce. En particulier, s'ils n'ont produit le premier compte de gestion, en application de l'injonction de la CRC dans son jugement du 20 avril 1995, que le 17 septembre 1996, cela s'explique par le fait que leur appel contre ce jugement était pendant devant la Cour des comptes, la procédure devant celle-ci s'étant achevée le 4 juillet 1996. On ne saurait par ailleurs leur reprocher d'avoir utilisé les voies de recours qui étaient à leur disposition ou, comme le fait le Gouvernement, d'être, par leur comportement initial de mauvais gestionnaire, à l'origine de la suspension de la procédure dans l'attente de l'issue de la procédure administrative. En effet, le Gouvernement rappelle lui-même dans ses observations présentées à la Cour que le juge des comptes doit disposer d'une décision prise par l'autorité budgétaire compétente statuant sur l'utilité publique desdites dépenses et que cette décision peut faire l'objet d'un contentieux devant le juge administratif. En l'espèce, la délibération du 13 janvier 1997 du conseil municipal fut déférée au tribunal administratif par le préfet et trois autres conseillers municipaux.

62. En ce qui concerne le comportement des autorités nationales, la Cour note que la CRC et la Cour des comptes ont rendu respectivement huit et sept décisions au cours de la période considérée et que la procédure a été suspendue pendant un peu plus de deux ans dans l'attente de l'issue de la procédure administrative susmentionnée, comportant deux degrés de juridictions. Dès lors, il ne peut être reproché aux juridictions internes d'avoir été inactives.

63. La Cour rappelle cependant qu'il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil ou le bien-fondé d'une accusation portée contre lui, dans un délai raisonnable.

64. Or, la Cour observe que si la multiplication des étapes procédurales qui caractérisent la procédure financière vise notamment à protéger les droits de la défense du comptable de fait, elle a l'effet paradoxal de se retourner contre lui en prolongeant la procédure de manière excessive. A cet égard, la Cour relève que le Gouvernement n'a pas prétendu que l'ensemble de ces étapes procédurales était nécessaire au respect des droits de la défense. Par ailleurs, elle relève que la succession de jugements provisoires qu'implique la règle du double arrêt a parfois soulevé la critique au sein même de la Cour des comptes au nom du droit à un procès équitable (cf. supra, le droit et la pratique internes pertinents, paragraphe 42).

65. Surtout, la Cour rappelle que l'enjeu du litige pour l'intéressé entre en ligne de compte dans certains cas pour l'appréciation du caractère raisonnable de la durée de la procédure (voir, parmi plusieurs autres, Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, § 24, et Allenet de Ribemont c. France, arrêt du 10 février 1995, série A no 308, § 47). En l'espèce, cet enjeu était très grand pour les requérants, puisqu'à l'époque des faits, la prolongation de la procédure a eu des conséquences déterminantes sur leur carrière politique, entraînant leur démission d'office de leurs mandats et leur inéligibilité trois années avant qu'ils ne soient définitivement quittes et libérés de leur gestion de fait par la CRC. Ils avaient donc un important intérêt personnel à obtenir rapidement une décision définitive leur donnant quitus.

66. Sur ce dernier point, la Cour souligne le changement législatif opéré par la loi du 21 décembre 2001, qui a modifié l'article L. 231 du code électoral, excluant les comptables de fait du champ d'application de l'inéligibilité, et qui a supprimé l'alinéa 2 de l'article L. 236 du même code relatif à la démission d'office des comptables de fait qui n'ont pas reçu quitus de leur gestion à l'expiration du délai de six mois de production des comptes. Ainsi, de nos jours, la question du délai dans la délivrance du quitus n'aurait pas les mêmes incidences sur les mandats électoraux des requérants.

67. Compte tenu de ce qui précède, et en particulier de l'enjeu que revêtait pour les requérants, dans les circonstances de l'espèce, la procédure devant les juridictions financières, la Cour estime que la durée de cette procédure, appréciée globalement, a été excessive.

68. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION[1]

69. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

70. Le premier requérant réclame 151 075 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, faisant valoir que cette somme correspond aux indemnités qu'il aurait dû percevoir s'il n'avait pas était démis de ses fonctions de maire de la ville d'Istres et en conséquence de celles de Président de l'Etablissement public intercommunal syndicat d'agglomération nouvelle (ci-après « SAN », aujourd'hui « Ouest Provence »), respectivement du 23 juin 1998 à la fin de ses mandats les 24 mars 2001 et 17 avril 2001. Il fournit, à cet égard, des attestations des nouveaux maires de la ville et président de Ouest Provence pour cette somme. Le deuxième requérant réclame 29 211 EUR à ce titre, correspondant à l'indemnité de fonction d'adjoint au maire qu'il aurait perçue s'il n'avait pas fait l'objet d'une démission d'office et produit une attestation du nouveau maire. Le troisième requérant sollicite, pour sa part, une somme de 140 201 EUR, correspondant aux indemnités qu'il aurait perçues en sa qualité de président du conseil général des Bouches-du-Rhône, et produit plusieurs documents étayant sa demande.

71. Quant au préjudice moral, le premier requérant estime qu'ayant été élu maire de la ville d'Istres et président du SAN depuis 1977 et régulièrement réélu depuis cette date jusqu'à ce qu'il soit démis d'office le 23 juin 1998, il a perdu du fait de ces démissions la confiance de ses concitoyens et des élus communaux et souffert d'un discrédit politique l'ayant écarté de toute vie publique locale et intercommunale. Il demande 450 000 EUR à ce titre. Le deuxième requérant sollicite, pour sa part, une somme de 150 000 EUR en raison du préjudice moral subi en ne remplissant plus le mandat que ces concitoyens lui avaient confié depuis 1989, ce qui a causé son retrait définitif de la vie politique. Le troisième requérant réclame 450 000 EUR, estimant avoir perdu la confiance des électeurs et la considération de ses collègues.

72. Le Gouvernement estime ces demandes excessives, hypothétiques et sans lien de causalité avec la violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Il relève en particulier le statut par nature précaire des hommes politiques, même en l'absence d'une procédure devant les juridictions financières. De plus, le Gouvernement souligne que les indemnités d'élus ne sont versées qu'en cas d'exercice effectif des fonctions, ce qui n'a pas été le cas des requérants après leur démission d'office. Enfin, quant au préjudice moral, le Gouvernement considère qu'il résulte directement de la qualité de comptables de fait qui leur est imputable et non de la durée de la procédure, laquelle ne pouvait s'achever dans un délai inférieur à six mois. Le Gouvernement en conclut que le seul constat d'une violation constituerait une satisfaction équitable pour les requérants.

73. La Cour considère, comme le Gouvernement, que le seul dommage en l'espèce, peut résulter de la durée excessive de la procédure. Elle est cependant de l'avis que son prolongement au-delà du « délai raisonnable » a causé aux requérants un préjudice moral justifiant l'octroi d'une indemnité. Elle juge raisonnable, statuant en équité, d'octroyer à chaque requérant la somme de 4 000 EUR à ce titre et rejette les demandes pour le surplus.

B. Frais et dépens

74. Le premier requérant réclame 13 145 EUR au titre des frais et dépens, somme qui se répartit entre ses frais d'avocat devant les juridictions financières et administratives concernant la contestation de sa démission d'office et les frais exposés par le requérant devant la Cour pour un montant de 60 300 FRF, soit 9 192,68 EUR taxe sur la valeur ajoutée (« TVA ») comprise, ce dont le requérant justifie par la fourniture de notes d'honoraires de ses avocats. Le deuxième requérant réclame 9 192 EUR au titre des seuls frais exposés devant la Cour et produit une note d'honoraires. Le troisième requérant sollicite 15 147 EUR au titre des frais exposés devant les juridictions administratives et devant la Cour, et produit plusieurs notes d'honoraires de ses avocats.

75. Le Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.

76. Concernant les frais exposés par les requérants devant les juridictions internes, la Cour relève qu'ils n'ont pas été engagés pour prévenir ou remédier à la violation de la Convention qu'elle a constatée en l'espèce et relative à la durée de la procédure. Elle rejette dès lors cette demande. Quant aux frais exposés devant elle, la Cour relève que, bien que représentés devant la Cour par Me Moustacakis, les requérants apparaissent être les auteurs des formulaires de requête ainsi que de la correspondance subséquente avec le greffe, y compris s'agissant des observations en réponse à celles du Gouvernement et des demandes de satisfaction équitable. Dès lors, la Cour juge excessive la somme réclamée au titre de la représentation des requérants devant la Cour et leur alloue 3 000 EUR chacun à ce titre.

C. Intérêts moratoires

77. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit[2]

a) que l'Etat défendeur doit verser à chacun des trois requérants, M. Jacques Siffre, M. Claude Ecoffet et M. François Bernardini, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;


b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 décembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président


[1] Rectifié le 27 mars 2007 concernant les demandes de satisfaction équitable des deuxième et troisième requérants.

[2] Rectifié le 27 mars 2007 concernant les deuxième et troisième requérants.