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DEUXIEME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 44899/98
présentée par Francis BRICHET et Marie-Noëlle BOUZET
contre la Belgique
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 20 février 2007 en une chambre composée de :
M. A.B. Baka, président,
Mme F. Tulkens,
MM. I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme F. Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 21 novembre 1998,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, Francis Brichet et Marie-Noëlle Bouzet, sont des ressortissants belges, nés respectivement en 1946 et en 1950 et résidant, lors de l’introduction de la requête, l’un à Saint-Ghislain, l’autre à Saint-Servais. Ils sont représentés devant la Cour par Me Arnould, avocat à Mons. Le gouvernement défendeur est représenté par M. Claude Debrulle, Directeur général au ministère de la Justice.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Les requérants sont les parents d’Elisabeth Brichet qui disparut sans laisser de traces le 20 décembre 1989, alors qu’elle était âgée de 12 ans.
1. Sur la procédure d’instruction de l’affaire
Dès décembre 1989, une instruction fut ouverte à charge d’inconnu du fait d’enlèvement de mineure par le juge d’instruction près le tribunal de première instance de Namur. Quatre enquêteurs ont travaillé sur le dossier jusqu’à la création de la cellule Brichet en septembre 1996, moment auquel quatre enquêteurs supplémentaires ont été désignés pour compléter la première équipe. L’enquête a nécessité l’envoi de plusieurs dizaines de commissions rogatoires internationales, la mise en œuvre d’écoutes téléphoniques, la vérification de l’emploi du temps de centaines de suspects en matière de mœurs ou dans l’entourage de la victime.
Entre-temps, respectivement les 1er février 1990 et 4 décembre 1992, la requérante et le requérant s’étaient constitués partie civile dans le cadre de l’instruction ouverte par le juge d’instruction et demandaient réparation.
Le 17 mars 1997, le même juge d’instruction inculpa M. C. en tant que co-auteur ou complice de l’enlèvement et de la séquestration de la fille des requérants.
Le 24 avril 1998, les requérants se constituèrent une seconde fois partie civile mais cette fois contre M.C. Les soupçons contre cette personne ne se sont pas confirmés et M.C. a été libérée.
Le dossier a donné lieu à de très multiples correspondances entre le parquet de Namur et le parquet général de Liège qui a suivi les développements du dossier. Entre la disparition de l’enfant le 20 décembre 1989 et le 30 mai 2001, le parquet de Namur a adressé plus de cinquante rapports au parquet général de Liège. En outre, chaque année, en vertu de l’article 136 bis du code d’instruction criminelle, le parquet de Namur a établi à l’intention du procureur général un rapport global.
En 2004, les époux Fourniret-Olivier ont été arrêtés et inculpés entre autres pour le viol et l’assassinat de la fille des requérants. M. Fourniret ayant été inculpé d’autres infractions commises sur le territoire français, la procédure belge, à charge de M. Fourniret et de son épouse, a été dénoncée aux autorités françaises. Le juge d’instruction français de Charleville-Mézières a ordonné le 24 juillet 2006 la jonction des procédures belge et française. L’instruction serait toujours en cours.
2. Sur les demandes d’accès au dossier
Le 28 septembre 1995, le juge d’instruction adressa une lettre au procureur du Roi de Namur concernant la demande de copie du dossier formulée par l’avocat de la requérante sur pied de l’article 125 de l’arrêté royal du 28 décembre 1950 (dit « Tarif Criminel ») (voir ci-dessous). Il y exprimait un avis négatif au motif notamment qu’il n’en voyait pas l’utilité puisqu’il avait toujours tenu les parents de la jeune fille au courant des grandes lignes du dossier en préservant ce qui relevait du secret de l’instruction. Il précisait que donner une copie complète du dossier représenterait une menace pour le respect de la vie privée des dizaines de personnes qui avaient été interrogées depuis six ans. Il ajoutait qu’il avait fait effectuer des devoirs à la demande de la requérante sur des points précis qui la préoccupait et estimait que l’égalité des armes, invoquée par l’avocat, avait été respectée.
Le 30 octobre 1995, le procureur général de la cour d’appel de Liège informait le procureur du Roi de Namur qu’il avait décidé en application de l’article 125 du Tarif Criminel d’autoriser l’avocat de la requérante à prendre connaissance de certains éléments du dossier d’instruction sous les réserves suivantes :
- l’autorisation ne peut en aucune façon constituer un frein aux diverses enquêtes policières en cours ;
- le dossier pourra être expurgé de pièces confidentielles relatives notamment aux enquêtes actuellement en cours ;
- la responsabilité personnelle de [l’avocat] serait engagée en cas de manquement.
Le 25 janvier 1996, le procureur du Roi fit droit à la demande de l’avocat de la requérante de l’autoriser à prendre connaissance d’une enquête en cours.
Le 24 décembre 1996, l’avocat des requérants fut une nouvelle fois autorisé par le parquet à avoir accès au dossier, à la condition que le juge d’instruction en charge de l’affaire n’ait pas d’objection à donner l’accès aux dites pièces.
Le 25 mars 1997, les requérants introduisirent devant le président du tribunal de première instance de Namur une action en référé à l’encontre de l’État belge tendant à recevoir l’autorisation expresse d’obtention par eux ou par leurs conseils de la copie de certains dossiers de l’instruction. Il faisait valoir que l’autorisation du ministère public du 30 octobre 1995 ne permettait pas de consulter le dossier dans des conditions psychologiquement et matériellement acceptables.
Par une ordonnance du 14 octobre 1997, la juridiction des référés, après avoir posé une question préjudicielle à la Cour d’arbitrage, débouta les requérants de leur demande. Elle releva notamment que l’article 6 de la Convention ne conférait pas à la partie civile un droit inconditionnel à l’accès au dossier répressif en cours d’instruction préparatoire, ni à l’obtention, à ce stade, de copies de tout ou partie de ce dossier. Après examen des faits de l’espèce, le président du tribunal conclut que l’utilisation faite par le ministère public de son pouvoir d’appréciation ne procédait d’aucune erreur manifeste d’appréciation ni ne revêtait un caractère abusif, déraisonnable, disproportionné ou injustifié par des considérations relevant de l’intérêt général et du souci de sauvegarde de principes fondamentaux du droit.
Le 18 décembre 1997, le procureur général de la cour d’appel de Liège autorisa l’avocat du requérant à prendre connaissance de certaines pièces du dossier sans pouvoir en obtenir une copie, ainsi qu’il était sollicité.
Le 3 avril 1998, le procureur général de Liège, statuant sur une nouvelle demande d’accès et de copie du dossier et anticipant sur la réforme législative en cours, les autorisa à avoir accès à certaines pièces du dossier de l’instruction en vertu de l’article 125 du Tarif criminel. Toutefois, il leur refusa de prendre copie du dossier et précisa que celui-ci pourra être expurgé de pièces confidentielles relatives notamment aux enquêtes actuellement en cours ou concernant des particuliers dont il s’imposait de préserver la vie privée.
Le 18 novembre 1998, statuant sur la demande des requérants du 13 novembre 1998 formulée en application du nouvel article 61 ter, § 1 du code d’instruction criminelle, le juge d’instruction ordonna « la communication aux parties requérantes du dossier ou, le cas échéant, de la partie du dossier concernant les faits ayant conduit à leur constitution de partie civile ». Il précisa que le dossier sera mis à la disposition de la partie requérante pour être consulté par elle et/ou son conseil pendant quarante-huit heures au moins.
D’après un cahier des lectures et visites tenu par le coordinateur de la cellule Brichet, les requérants ont consulté le dossier seize fois entre le 20 avril 1998 et le 20 avril 1999.
Le 26 avril 2000, le conseil des requérants obtint l’autorisation du parquet général de Liège de lever la copie du dossier répressif, à l’exception de certaines chemises. Il était précisé qu’il ne pouvait s’en dessaisir au profit de ses clients, lesquels étaient tenus de le consulter en cabinet. La lettre précisait :
« Ces prescriptions sont imposées d’une part parce que de nombreuses pièces font état de renseignements concernant la vie privée et particulièrement les mœurs de certaines personnes qui ne sont en aucun cas impliquées dans ce dossier et pour lesquelles toute divulgation à des tiers est strictement prohibée et par ailleurs parce qu’il est, en l’état, matériellement impossible d’opérer un tri systématique des quelque 20 000 pages de l’ensemble de la procédure. »
B. Le droit interne pertinent
1. Le contrôle de l’instruction par la chambre des mises en accusation
Jusqu’à l’adoption de la loi du 12 mars 1998, entrée en vigueur le 2 octobre 1998, relative à l’amélioration de la procédure pénale au stade de l’information et de l’instruction, l’article 136 bis du code d’instruction criminelle disposait :
« Le procureur du Roi fera rapport au procureur général de toutes affaires sur lesquelles la chambre du conseil n’aurait point statué dans les six mois à compter du premier réquisitoire.
Dans le mois, le procureur général exposera à la chambre des mises en accusation, dans un rapport détaillé, les causes des lenteurs de l’information et fera telles réquisitions qu’il jugera utiles.
Semblables rapports seront ensuite faits de trois mois en trois mois par le procureur du Roi au procureur général, et par celui-ci à la chambre des mises en accusation.
A la suite de ces rapports, la chambre des mises en accusation pourra, même d’office, prendre les mesures prévues par l’article 235 du Code d’instruction criminelle.
L’inculpé ou son conseil seront entendus par la chambre des mises en accusation.
Le conseil pourra prendre communication de toutes les pièces, sans déplacement et sans retarder l’instruction.
Le procureur général avertira l’inculpé, par lettre recommandée et en laissant un délai de huit jours francs, de la date fixée pour le rapport ».
Les articles 136 et 136 bis se lisent désormais ainsi :
article 136
« La chambre des mises en accusation contrôle d’office le cours des instructions, peut d’office demander des rapports sur l’état des affaires et peut prendre connaissance des dossiers. (...)
Si l’instruction n’est pas clôturée après une année, la chambre des mises en accusation peut être saisie par requête motivée adressée au greffe de la cour d’appel par l’inculpé ou la partie civile. (...) La chambre des mises en accusation statue sur la requête par arrêt motivé, qui est communiqué au procureur général, à la partie requérante et aux parties entendues. Le requérant ne peut déposer de requête ayant le même objet avant l’expiration du délai de six mois à compter de la dernière décision. »
article 136 bis
« Le procureur du Roi fait rapport au procureur général de toutes les affaires sur lesquelles la chambre du conseil n’aurait point statué dans l’année à compter du premier réquisitoire.
S’il estime nécessaire pour le bon déroulement de l’instruction, la légalité ou la régularité de la procédure, le procureur général prend, à tout moment, devant la chambre des mises en accusation, les réquisitions qu’il juge utiles.
Dans ce cas, la chambre des mises en accusation peut, même d’office, prendre les mesures prévues par les articles 136, 235 et 235 bis.
Le procureur général est entendu.
La chambre des mises en accusation peut entendre le juge d’instruction en son rapport, hors la présence des parties si elle l’estime utile. Elle peut également entendre la partie civile, l’inculpé et leurs conseils, sur convocation qui leur est notifiée par le greffier, par télécopie ou par lettre recommandée à la poste, au plus tard quarante-huit heures avant l’audience. »
2. La demande d’accès au dossier
L’article 61 ter du code d’instruction criminelle, introduit par la loi précitée du 12 mars 1998, est ainsi libellé :
« § 1er L’inculpé non détenu et la partie civile peuvent demander au juge d’instruction à consulter la partie du dossier concernant les faits ayant conduit à l’inculpation ou à la constitution de partie civile.
§ 2. La requête contient élection de domicile en Belgique si le requérant n’y a pas son domicile. Elle est déposée au greffe du tribunal de première instance au plus tôt un mois après l’inculpation, l’engagement de l’action publique ou la constitution de partie civile. Elle est inscrite dans un registre ouvert à cet effet. Le greffier en communique sans délai une copie au procureur du Roi. Celui-ci prend les réquisitions qu’il juge utiles.
Le juge d’instruction statue au plus tard dans le mois du dépôt de la requête.
L’ordonnance est communiquée par le greffier au procureur du Roi et est notifiée, au requérant et, le cas échéant, à son conseil par télécopie ou par lettre recommandée à la poste dans un délai de huit jours à dater de la décision.
§ 3. Le juge d’instruction peut interdire la communication du dossier ou de certaines pièces, si les nécessités de l’instruction le requièrent, si la communication présente un danger pour les personnes ou porte gravement atteinte à leur vie privée, ou si la constitution de partie civile ne paraît pas recevable ou que la partie civile ne justifie pas d’un motif légitime à consulter le dossier.
§ 4. En cas de décision favorable, le dossier est mis à disposition dans les quinze jours de l’ordonnance du juge d’instruction et au plutôt après le délai prévu au § 5, alinéa 1er, en original ou en copie, pour être consulté par le requérant ou son conseil pendant quarante-huit heures au moins. Le greffier donne avis, par télécopie ou par lettre recommandée à la poste, au requérant et à son conseil, du moment où le dossier pourra être consulté.
L’inculpé ou la partie civile ne peut faire usage des renseignements obtenus par la consultation du dossier que dans l’intérêt de sa défense, à la condition de respecter la présomption d’innocence et les droits de la défense de tiers, la vie privée et la dignité de la personne, sans préjudice du droit prévu à l’article 61 quinquies.
(...)
§ 7. Le requérant ne peut déposer de requête ayant le même objet avant l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la dernière décision portant sur le même objet. »
La délivrance d’une copie du dossier reste soumise à l’autorisation du procureur général en vertu de l’article 125 de l’arrêté royal du 28 décembre 1950 portant règlement général sur les frais de justice en matière répressive (dit « Tarif Criminel »). Cet article dispose :
« En matière criminelle, correctionnelle (...), aucune expédition ou copie des actes d’instruction et de procédure ne peut être délivrée sans une autorisation expresse du procureur général près la Cour d’appel ou de l’auditeur général. Mais, il est délivré aux parties, sur leur demande, expédition de la plainte, de la dénonciation, des ordonnances et des jugements (...) »
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure d’instruction.
2. Ils se plaignent également d’avoir été privé de tout droit d’accès au dossier de l’instruction jusqu’au 3 avril 1998 et, à partir de ce moment, de n’avoir obtenu qu’un droit limité d’accès à celui-ci en violation du droit à un procès équitable.
EN DROIT
Les requérants se plaignent de la durée de procédure et des limitations à l’accès au dossier pour une partie civile. Ils invoquent l’article 6 de la Convention qui, dans sa partie pertinente, est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur les exceptions préliminaire soulevées par le Gouvernent
Le Gouvernement soulève trois exceptions, l’une tirée de l’irrecevabilité de la requête au motif qu’elle serait en partie la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour, l’autre tirée de l’inapplicabilité de l’article 6 à la procédure litigieuse et la dernière déduite du non épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne le grief relatif à la durée de la procédure.
1. Quant à l’exception déduite de l’article 35 § 2 b) de la Convention
Le Gouvernement soutient que la requête est irrecevable comme essentiellement la même que la requête no 34355/97 introduite par le requérant le 23 octobre 1996 dans la mesure où elle concerne la période qui précède la constitution de partie civile contre une personne déterminée, en l’espèce M.C., du 24 avril 1998. La décision de la Commission du 27 février 1997 aurait autorité de chose jugée à l’égard des deux requérants.
Pour les requérants, la requête ne saurait être déclarée irrecevable sur pied de l’article 35 § 2 b) de la Convention. Tout d’abord, l’article 35 ne viserait pas une requête examinée antérieurement par la Commission. Par ailleurs, il serait incontestable que la seconde requête contient deux éléments nouveaux : d’une part, l’identification de la personne contre laquelle est dirigée la constitution de partie civile et, d’autre part, le nouveau laps de temps écoulé depuis l’examen de la requête antérieure. Enfin, en tout état de cause, l’article 35 ne pourrait trouver à s’appliquer à la seconde requérante, qui n’était pas signataire de la première requête.
La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 2 b) de la Convention, elle ne retient aucun requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsqu’elle est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux.
Il y a lieu de relever que le 23 octobre 1996, le premier requérant a déjà introduit une requête, enregistrée sous le no 34355/97, devant la Commission pour se plaindre de la durée de la procédure pénale, objet de la présente requête, et du fait qu’en violation des articles 3 et 10 de la Convention, il aurait été tenu à l’écart de l’instruction. Le 27 février 1997, la Commission rejeta le grief relatif à la durée pour incompatibilité ratione materiae conformément à la jurisprudence de l’époque qui excluait l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention à la constitution de partie civile dans une procédure pénale visant des inconnus.
La question à examiner est donc celle de savoir si la présente requête sous l’angle du grief présenté au titre de la durée « est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée », au sens de l’article 35 § 2 b) de la Convention. La Cour estime que tel n’est pas le cas. D’une part, la seconde requérante n’était pas partie à cette première procédure devant la Commission. D’autre part, les requérants ont présenté des faits nouveaux, au sens de l’article 35 § 2 b), dont le facteur temps qui constitue un fait nouveau particulièrement décisif.
Pour ces motifs, la Cour estime que le grief déduit de la durée de la procédure ne saurait être rejeté conformément à l’article 35 § 2 b), comme étant essentiellement le même que celui examiné dans le cadre de la requête no 34355/97. L’exception doit donc être rejetée.
2. Sur l’exception relative à l’applicabilité de l’article 6 de la Convention
Le Gouvernement soutient, d’une part, que l’article 6 de la Convention ne s’applique pas de la même manière lorsqu’une affaire est en cours d’instruction, donc couverte par le secret de l’instruction, et, d’autre part, que cette disposition ne jouerait qu’à partir du moment où la partie civile peut reconnaître la partie adverse et diriger contre celle-ci son action civile. Avant cette phase, il n’existerait pas de contestation. Dès lors, l’article 6 ne pourrait trouver application qu’à partir du 24 avril 1998, date de la constitution de partie civile à l’encontre d’une personne déterminée.
Pour les requérants, ces thèses doivent être rejetées.
La Cour rappelle, tout d’abord, qu’elle a déjà considéré qu’un Gouvernement ne saurait se prévaloir du secret de l’instruction pour faire obstacle à l’applicabilité de l’article 6. Un tel principe peut uniquement avoir une incidence sur la manière dont doivent jouer les différents critères utilisés par la Cour pour apprécier la durée d’une procédure (Stratégie et Communications contre la Belgique, no 37370/97, § 40, 15 juillet 2002).
Ensuite, elle constate que, respectivement les 1er février 1990 et 4 décembre 1992, les requérants se sont constitués partie civile entre les mains du juge d’instruction près du tribunal de première instance de Namur contre X du chef d’enlèvement de mineure et ont demandé réparation du préjudice résultant de cette infraction dont ils auraient été victimes. Le 24 avril 1998, ils ont réitéré cette constitution de partie civile mais cette fois contre une personne déterminée. Se référant à l’arrêt Perez c. France [GC], no 47287/99, § 70, CEDH 2004-I), la Cour relève que les plaintes avec constitution de partie civile déposées par les requérants n’étaient pas des plaintes dont le but était essentiellement répressif et que celles-ci ne faisaient pas état d’une renonciation expresse au droit à réparation des requérants. La circonstance que la première constitution de partie civile visait des inconnus n’est pas pertinente à cet égard. La Cour estime dès lors que l’article 6 § 1 de la Convention est applicable. Partant, l’exception d’incompatibilité ratione materiae, dans ses deux branches, ne saurait être retenue.
3. Quant à l’exception déduite du non épuisement des voies de recours internes
Le Gouvernement estime que le grief déduit de la durée est irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes car les requérants n’ont pas fait usage de la possibilité prévue par le nouvel article 136 du code d’instruction criminelle en ne saisissant pas la chambre des mises en accusation en vue de faire accélérer l’instruction.
Les requérants admettent qu’un recours aurait techniquement pu être introduit devant la chambre des mises en accusation à partir du 2 octobre 1998. Toutefois, à cette date, soit près de neuf ans après la disparition de leur fille, un tel recours ne présentait aucun intérêt dans le cadre d’un dossier dépourvu de tout élément déterminant et d’une instruction dont le délai raisonnable était dépassé de longue date. Un tel recours serait inutile de ce fait car trop tardivement introduit par le législateur belge.
La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après épuisement des voies de recours internes : tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux États contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Cette règle se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, CEDH 2002-X)
Les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent cependant que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (ibidem). A cela, il faut ajouter que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant la Cour, soit, en l’espèce le 21 novembre 1998.
La Cour observe tout d’abord qu’avant le 2 octobre 1998, date d’entrée en vigueur de la loi du 12 mars 1998, aucun recours n’était ouvert aux requérants pour se plaindre de la durée de l’instruction et donc que, jusqu’à ce moment, ils n’ont pas disposé d’un recours effectif. Pour ce qui est de la période postérieure au 2 octobre 1998, la Cour rappelle que dans l’arrêt Stratégies et communications et Dumoulin c. Belgique (no 37370/97, §§ 55 et 56, 15 juillet 2002), elle a déjà considéré que la voie de recours mentionnée ne répondait pas aux exigences de l’article 13 de la Convention car elle n’existait pas à un degré suffisant de certitude. Elle y a notamment constaté que le Gouvernement n’avait mentionné aucun exemple de la pratique interne attestant que la chambre des mises en accusation aurait fait droit à une requête fondée sur l’article 136, alinéa 2. En l’espèce, compte tenu du fait que le Gouvernement ne cite aucune affaire, contemporaine des faits de l’espèce, dans laquelle il aurait été fait application de l’article 136 du code d’instruction criminelle en vue d’accélérer une instruction particulièrement longue, elle ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente (en ce sens, De Clerck c. Belgique (Déc.), no 34316/02, 6 avril 2006). Partant, il ne saurait être reproché aux requérants de ne pas avoir usé de ce recours. Il y a lieu en conséquence de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.
B. Sur le bien-fondé des griefs
1. Sur le grief déduit de la durée de la procédure
Les requérants se plaignent de la durée de la procédure engagée le 1er février 1990 par Mme Bouzet et le 4 décembre 1992 par M. Brichet. Pour les requérants, dès lors qu’il s’agit de la disparition d’un être humain, a fortiori quand il s’agit d’un enfant, une diligence exceptionnelle s’impose. Concernant le travail effectué dans le cadre de l’enquête, les requérants n’ont jamais douté du travail assidu des enquêteurs de base de la police judiciaire, de la gendarmerie et de la BSR (Brigade spéciale de recherche). Ils déplorent, en revanche, un certain nombre de dysfonctionnements dans le chef des autorités judiciaires dans la mesure où l’enquête aurait été mal orientée au départ.
Le Gouvernement relève que, dans la mesure où l’affaire est toujours en cours d’instruction, l’intégralité du dossier d’instruction ne peut être communiquée à la Cour. Dès lors, au cas où la Cour estimerait l’article 6 applicable à toute la procédure litigieuse, elle devrait, d’une part, se limiter à exercer un contrôle marginal de la durée de l’instruction et ne constater une violation qu’en cas de délai raisonnable manifestement dépassé et, d’autre part, vérifier s’il existe dans le droit interne des mécanismes suffisants de contrôle de l’observation du délai raisonnable. En l’espèce, la chambre des mises en accusation aurait toujours été tenue au courant du progrès de l’affaire. Quant aux critères dégagés par la Cour pour apprécier la durée d’une procédure, il convient de relever qu’il s’agit manifestement d’une affaire complexe et d’un enjeu extrêmement important pour les requérants, dont le comportement ne prête pas à critique. Le Gouvernement admet qu’une diligence exceptionnelle s’imposait. L’enquête aurait d’ailleurs toujours été menée activement pendant toutes ces années. Malgré la mise en œuvre de moyens considérables, l’enquête n’aurait pas permis d’élucider les faits. En particulier, il faudrait relever que huit enquêteurs ont travaillé sur l’affaire, plusieurs dizaines de commissions rogatoires ont été envoyées, des écoutes téléphoniques ont été utilisées et l’emploi du temps de centaines de suspects en matière de mœurs ou dans l’entourage immédiat de la victime ont été vérifiés. Si l’on devait suivre le grief des requérants, il aurait fallu que le parquet dresse un réquisitoire de non-lieu en l’état alors qu’il ne se passait guère de jour sans que des renseignements soient transmis aux enquêteurs et que des vérifications ne soient faites. Pour le Gouvernement, la notion de délai raisonnable ne serait concevable que dans la mesure où il y aurait des auteurs à juger. La longueur de l’enquête témoignerait de la volonté et de l’acharnement tant des enquêteurs que du magistrat instructeur d’élucider les faits et de renseigner les requérants sur le sort de leur fille. L’article 6 de la Convention n’imposerait pas une obligation de résultat.
La Cour considère que la période à prendre en considération pour l’appréciation du caractère raisonnable se situe à la date de la première constitution de partie civile des requérants, à savoir le 1er février 1990 pour ce qui concerne la seconde requérante et au 4 décembre 1992 en ce qui concerne le premier requérant. L’instruction est toujours en cours.
A la lumière des faits de l’espèce et de la jurisprudence, elle estime que le grief soulève des questions de fait et de droit au regard de la Convention qui nécessitent un examen au fond. Par conséquent, cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Constatant par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle l’estime recevable.
2. Sur le grief relatif à l’accès au dossier de l’instruction
Les requérants se plaignent également du fait qu’ils ont été confrontés à une législation qui ne consacre pas le droit d’accès au dossier de l’instruction mais uniquement le droit de demander cet accès, soit, avant la nouvelle loi, à un représentant du ministère public qui disposait d’un pouvoir discrétionnaire ou, par la suite, au magistrat instructeur qui peut interdire la communication du dossier ou de certaines pièces, notamment si les nécessités de l’instruction le requièrent. Le système belge s’apparenterait à un système de faveur et serait de nature à porter atteinte aux droits de défense de la partie civile. Plus particulièrement, ils auraient été privés de tout droit d’accès au dossier de l’instruction jusqu’au 3 avril 1998 et, à partir de ce moment, ils n’auraient obtenu qu’un droit limité. Si le conseil des requérants a pu à partir du 26 avril 2000 lever la copie du dossier répressif, il n’aurait pu s’en dessaisir au profit des requérants qui ont dû le consulter dans son cabinet.
Pour le Gouvernement, l’appréciation du respect de l’exigence du procès équitable se faisant in globo, il est prématuré de statuer sur l’observation du procès équitable. En ce moment, aucun élément ne permettrait de constater que le caractère équitable du procès aurait été gravement compromis, de sorte que l’article 6 ne serait pas violé. Pour ce qui concerne la période antérieure au 12 mars 1998, le Gouvernement relève que depuis le début de l’instruction, et indépendamment des obligations légales, le juge d’instruction chargé de l’affaire, dès 1990, a eu des contacts fréquents avec les requérants. Ces derniers auraient été informés de l’évolution du dossier et des pistes en cours. Le Gouvernement relève que l’autorisation de prendre connaissance du dossier répressif a été accordée dès le 30 octobre 1995. Les requérants ont encore reçu une telle autorisation les 25 janvier 1996, 25 mars 1997, 18 décembre 1997 et 3 avril 1998. Après cette date, les requérants auraient eu un accès permanent au dossier. Pour la période postérieure au 12 mars 1998, il n’appartiendrait par ailleurs pas à la Cour d’examiner en général, comme l’y invitent les requérants, la compatibilité de la loi du 12 mars 1998 avec l’article 6 de la Convention. Les requérants auraient eu de nombreuses possibilités de consulter le dossier. L’accès à celui-ci ayant été autorisé par le parquet général de Liège dès le 3 avril 1998, les requérants auraient consulté le dossier seize fois entre le 20 avril 1998 et le 20 avril 1999. Ils auraient pu prendre connaissance de tout le dossier, à l’exception des pièces confidentielles relatives notamment aux enquêtes en cours ou concernant des particuliers pour lesquels il y avait lieu de préserver la vie privée. Le droit à un procès équitable n’impliquerait pas pour la partie civile le droit de participer activement à l’instruction et d’avoir accès à toutes les pièces du dossier.
La Cour relève qu’elle n’a pas à apprécier en soi le système belge d’accès d’une partie civile au dossier répressif durant l’instruction. Elle se bornera à examiner, au regard de l’article 6 de la Convention, les problèmes concrets dont elle est saisie, plus particulièrement les conditions d’accès réservées aux requérants et à leurs avocats. Elle rappelle aussi que la règle des six mois marque la limite temporelle du contrôle effectué par les organes de la Convention et indique aux particuliers comme aux autorités la période au-delà de laquelle ce contrôle ne s’exerce plus. La Cour ne peut se dispenser d’appliquer la règle des six mois au seul motif que le Gouvernement n’a pas formulé d’exception préliminaire fondée sur celle-ci (Walker c. Royaume-Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000‑I). La requête ayant été introduite le 21 novembre 1998, la Cour ne peut connaître que des décisions relatives aux demandes d’accès au dossier intervenues après le 21 mai 1998. La première décision entrant dans le champ d’examen de la Cour est donc celle du 18 novembre 1998 prise en vertu du nouvel article 61 ter.
L’objet de son examen ainsi limité, la Cour rappelle qu’elle a déjà considéré que l’article 6 de la Convention s’appliquait au stade de l’instruction préliminaire et pouvait notamment jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si et dans la mesure où son inobservation initiale risquait de compromettre gravement le caractère équitable du procès. Elle a aussi souligné que pour déterminer si le résultat voulu par l’article 6 – un procès équitable – avait été atteint, il convenait de prendre en compte l’ensemble des procédures menées dans l’affaire considérée (en ce sens Dikme c. Turquie, no 20869/92, §§ 108-109, 11 juillet 2000 et les références à la jurisprudence antérieure).
Dans les circonstances particulières de l’affaire, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur l’objection du Gouvernement selon laquelle il serait prématuré de statuer sur l’observation du procès équitable, puisque, en tout état cause, elle considère, eu égard à l’état actuel de la procédure interne, le grief mal fondé pour les raisons suivantes.
Selon le principe de l’égalité des armes – l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable –, chaque partie doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire (voir notamment Foucher c. France, arrêt du 21 novembre 1997, Recueil 1997-II, p. 465 § 34). La nécessité de préserver les droits des victimes et la place qui leur revient dans le cadre des procédures pénales a été reconnue par la Cour. Si les impératifs inhérents à la notion de « procès équitable » ne sont pas nécessairement les mêmes dans les litiges relatifs à des droits et obligations de caractère civil que dans les affaires concernant des accusations en matière pénale, ainsi qu’en atteste l’absence, pour les premiers, de clauses détaillées semblables aux paragraphes 2 et 3 de l’article 6, il n’en résulte pas pour autant que la Cour doive se désintéresser du sort des victimes et minorer leurs droits (Perez précite, § 72).
S’agissant plus particulièrement de l’accès au dossier par une partie civile, la Cour a déjà considéré que, même lorsque les exigences de l’article 6 § 3 de la Convention ne trouvent pas à s’appliquer, il y a lieu de se conformer au principe plus général de l’égalité de armes, impliqué par l’article 6 § 1. Or, les obstacles mis à l’accès au dossier de l’instruction en ce qui concerne les parties civiles ne sont pas nécessairement justifiés au regard de ce principe du seul fait qu’elles n’ont pas, en tant que partie civile, qualité pour bénéficier de l’article 6 § 3 (Frangy c. France, no 42270/98, § 40, 1er février 2005).
Toutefois, la Cour considère que l’article 6 de la Convention ne confère pas à la partie civile un droit inconditionnel d’accès à un dossier répressif en cours d’instruction préparatoire, ni d’obtention, à ce stade, de copie de tout ou partie de ce dossier. En l’espèce, la question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si, en n’autorisant que partiellement et selon des modalités déterminées l’accès des requérants et de leurs conseils au dossier répressif ouvert suite à l’enlèvement de leur fille, Elisabeth Brichet, les autorités belges ont méconnu l’article 6 de la Convention.
Il résulte du dossier qu’en application de la nouvelle loi, les requérants ont eu accès, conformément à la décision du 18 novembre 1998, à la partie du dossier concernant les faits ayant conduit à leur constitution de partie civile et que, munis de cette autorisation, ils ont consulté le dossier à maintes reprises. En outre, le 24 avril 2000, leur avocat obtint l’autorisation du parquet général de lever copie du dossier, à l’exception de certaines chemises. Pour la Cour, les critiques formulées par les requérants à l’encontre des conditions d’accès qui leur ont été réservées ne sont pas concrètement justifiées. D’ailleurs, devant elle, les requérants n’ont invoqué aucun élément particulier qui aurait été, compte tenu de ces modalités d’accès, de nature à porter gravement atteinte à l’équité de la procédure.
Pour ces raisons, la Cour estime que la phase de l’instruction, envisagée sous l’angle de l’accès au dossier répressif et au vu de l’état de la procédure interne, n’a pas été entachée d’iniquité en raison de l’absence d’un droit d’accès au dossier aussi large que ne l’auraient souhaité les requérants. En conséquence, le grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief tiré de la violation de l’article 6 et relatif à la durée de la procédure litigieuse ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
F. Elens-Passos A.B. Baka
Greffière adjointe Président