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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
3.5.2007
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE SİNAN TANRIKULU ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 50086/99)

ARRÊT

STRASBOURG

3 mai 2007

DÉFINITIF

03/08/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Sinan Tanrıkulu et autres c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
R. Türmen,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mmes L. Mijović,
P. Hirvelä, juges,
et de Mme F. Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 avril 2007,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 50086/99) dirigée contre la République de Turquie et dont six ressortissants de cet État, MM. Sinan Tanrıkulu, Yusuf Tosun, Mahmut Vefa, Mehmet Mansur Reşitoğlu et Mehmet Selim Kurbanoğlu ainsi que Mme Ferda Pokerce les requérants »), ont saisi la Cour le 10 juillet 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me Mustafa Sezgin Tanrıkulu, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n'a pas désigné d'agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. Le 4 juillet 2000, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Le 1er avril 2003, se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. Les requérants sont nés respectivement en 1966, 1965, 1964, 1970, 1970 et 1975, et résident à Diyarbakır. Ils sont avocats au barreau de Diyarbakır.

5. A l'époque des faits, MM. Tanrıkulu et Reşitoğlu étaient membres du Parti de la démocratie du peuple (Halkın Demokrasi Partisi, « HADEP ») et de l'Association des droits de l'homme de Diyarbakır. MM. Tosun et Kurbanoğlu étaient respectivement membre et vice-président du conseil d'administration local de ce parti.

6. Le 16 février 1999 vers 18 h 30, les requérants Vefa, Reşitoğlu, Tanrıkulu, Kurbanoğlu et Pokerce furent arrêtés par des policiers à la sortie des locaux du HADEP. Les procès-verbaux d'arrestation ne mentionnent pas les raisons pour lesquelles ils furent arrêtés.

7. Le 17 février 1999, la direction de la sûreté de Diyarbakır s'adressa au procureur de la République près la cour de sûreté de l'État en vue d'obtenir un mandat de perquisition auprès du juge assesseur de cette juridiction.

Elle indiqua que des individus s'étaient réunis le 16 février 1999 dans les locaux du HADEP et qu'elle les suspectait de préparer des actions de protestation et des attaques armées à la suite de l'arrestation d'Abdullah Öcalan, ancien chef de l'organisation illégale PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Pour cela, elle s'était fondée sur des appels téléphoniques anonymes ainsi que des émissions diffusées par la télévision pro-kurde MED TV, dont les passages pertinents sont comme suit :

« Il y a les élections dans un mois, si le peuple kurde a de l'honneur, il doit élever le HADEP dans les élections, [l'élever] à 15 % » – « Vous devez mener des actions importantes dans les métropoles turques, il n'est d'ailleurs pas trop tard, nous devons agir à tout moment contre les grands de la République de Turquie. »

8. Le même jour, le juge assesseur délivra un mandat de perquisition après avoir pris en considération la probabilité de la planification d'actions de protestation dans les locaux du HADEP.

9. M. Tosun fut arrêté le 17 février 1999 vers 7 heures à l'issue de la perquisition menée dans les locaux du parti. Le procès-verbal d'arrestation et de perquisition ne mentionne pas les motifs de l'arrestation.

10. Le 20 février 1999, le juge assesseur prolongea la garde à vue des requérants de deux jours.

11. Les requérants furent interrogés par des policiers le lendemain sur les accusations dirigées à leur encontre.

12. Le 22 février 1999, les requérants furent libérés après avoir été entendus par le procureur de la République. MM. Reşitoğlu et Vefa indiquèrent que les policiers avaient affirmé les avoir arrêtés à titre préventif.

13. Le l3 avril 1999, le procureur de la République releva l'absence de preuve quant à l'appartenance des requérants à une organisation illégale et rendit une ordonnance de non-lieu.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

14. Les requérants allèguent le défaut de légalité de leur arrestation, dans la mesure où il n'existait pas de raisons plausibles de les soupçonner d'avoir commis une infraction, et se plaignent de ne pas avoir été informés des raisons de leur arrestation. Ils dénoncent la durée excessive de leur garde à vue ainsi que l'absence d'un recours pour contester celle-ci et obtenir une réparation. Ils y voient une violation de l'article 5 §§ 1 c), 2, 3, 4 et 5 de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ; (...)

2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires (...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

A. Sur la recevabilité

1. Article 5 § 1 c)

15. Les requérants soutiennent avoir été privés de leur liberté sans raison plausible de les soupçonner d'avoir commis une infraction.

16. Selon le Gouvernement, l'arrestation des requérants était régulière dans la mesure où la police avait des raisons plausibles de les soupçonner d'inciter la population à des actions de protestation. L'arrestation était nécessaire pour empêcher la commission d'infractions.

17. La Cour rappelle que la « plausibilité » des soupçons sur lesquels doit se fonder une arrestation constitue un élément essentiel de la protection offerte par l'article 5 § 1 c) contre les privations de liberté arbitraires. L'existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que l'individu en cause peut avoir accompli l'infraction. Ce qui peut passer pour « plausible » dépend toutefois de l'ensemble des circonstances (voir Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, arrêt du 30 août 1990, série A no 182, p. 16, § 32).

18. L'absence d'inculpation et de renvoi en jugement n'implique pas nécessairement qu'une privation de liberté ne poursuit pas un objectif conforme à l'article 5 § 1 c). L'existence d'un tel but doit s'envisager indépendamment de sa réalisation et l'alinéa c) de l'article 5 § 1 ne présuppose pas que la police ait rassemblé des preuves suffisantes pour porter des accusations, soit au moment de l'arrestation, soit pendant la garde à vue (voir Brogan et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145B, p. 29, § 53). Un interrogatoire pendant une détention au titre de l'alinéa c) de l'article 5 § 1 vise à compléter l'enquête pénale en confirmant ou en écartant les soupçons concrets fondant l'arrestation. Ainsi, les faits donnant naissance à des soupçons ne doivent pas être du même niveau que ceux nécessaires pour justifier une condamnation ou même pour porter une accusation, ce qui intervient dans la phase suivante de la procédure de l'enquête pénale (voir Murray c. Royaume-Uni, arrêt du 28 octobre 1994, série A no 300A, p. 27, § 55).

19. En l'espèce, les procès-verbaux d'arrestation n'apportent aucune précision quant aux raisons qui ont conduit les policiers à procéder à l'arrestation des requérants. Toutefois, tel qu'il ressort de la demande de la direction de la sûreté de Diyarbakır du 17 février 1999, la police avait relevé que des individus s'étaient réunis le 16 février 1999 dans les locaux du HADEP. A la suite d'appels téléphoniques anonymes ainsi que la diffusion d'émissions sur MED TV, la police avait craint que ces individus organisent des actions de protestation et des attaques armées en raison de l'arrestation de l'ancien chef du PKK.

20. Dans ces circonstances, la Cour admet que les informations détenues par les forces de l'ordre pouvaient objectivement être prises au sérieux eu égard aux circonstances particulières de l'époque. C'est pourquoi, elle considère que les soupçons qui ont conduit à l'arrestation des requérants atteignaient le niveau exigé car ils étaient fondés sur des faits concrets (dénonciations et émissions télévisées appelant à des manifestations). La privation de liberté avait pour finalité de confirmer ou dissiper les soupçons pesant sur les intéressés (voir, en ce sens, Çelik et Yıldız c. Turquie, no 51479/99, § 21, 10 novembre 2005, et Tanrıkulu et autres c. Turquie, nos 29918/96, 29919/96 et 30169/96, § 30, 6 octobre 2005).

21. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Article 5 § 2

22. Les requérants allèguent n'avoir été informés des raisons de leur arrestation et des accusations portées contre eux qu'à l'issue de leur interrogatoire du 21 février 1999, soit plusieurs jours après avoir été arrêtés, ce contrairement à l'exigence de promptitude inscrite au paragraphe 2.

23. La Cour note que M. Tosun a été arrêté le 17 février 1999 à l'issue de la perquisition menée dans les locaux du HADEP. S'il est vrai que le procès-verbal de perquisition et d'arrestation ne mentionne pas expressément les raisons de l'arrestation, il n'en demeure pas moins que la perquisition s'est faite avec un mandat, lequel énonçait le motif pour lequel il a été délivré. Il n'est pas établi ni d'ailleurs allégué que le requérant n'a pas été en mesure de prendre connaissance du contenu du mandat de perquisition.

24. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé dans sa partie concernant M. Tosun et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

25. S'agissant des autres requérants, la Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.

3. Article 5 §§ 3 et 4

26. Le Gouvernement soutient que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 35 de la Convention faute d'avoir présenté leur grief dans le cadre de la procédure devant la cour de sûreté de l'État.

27. La Cour note qu'aucune procédure pénale n'a été engagée à l'encontre des requérants dans la mesure où le procureur de la République a rendu une ordonnance de non-lieu. Partant, elle rejette l'exception du Gouvernement.

28. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que ceux-ci ne se heurtent à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

4. Article 5 § 5

29. La Cour estime que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé. Elle déclare donc ce grief recevable.

B. Sur le fond

1. Article 5 § 2

30. Les requérants Tanrıkulu, Vefa, Reşitoğlu, Kurbanoğlu et Pokerce se plaignent de n'avoir été informés des raisons de leur arrestation qu'à l'issue de leur interrogatoire du 21 février 1999.

31. Le Gouvernement allègue qu'un protocole d'arrestation a été rempli concernant les requérants et signé par ceux-ci. Il est donc évident qu'ils ont été informés des raisons de leur arrestation.

32. La Cour rappelle que l'article 5 § 2 énonce une garantie élémentaire : toute personne arrêtée doit savoir les raisons de son arrestation. Intégré au système de protection qu'offre l'article 5, il oblige à signaler à une telle personne, dans un langage simple et accessible pour elle, les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté, afin qu'elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu du paragraphe 4. Elle doit bénéficier de ces renseignements « dans le plus court délai » mais le policier qui l'arrête peut ne pas les lui fournir en entier sur-le-champ. Pour déterminer si elle en a reçu assez et suffisamment tôt, il faut avoir égard aux particularités de l'espèce (voir Fox, Campbell et Hartley, précité, § 40).

33. En l'espèce, les requérants ont été appréhendés le 16 février 1999 dans la rue, à la sortie des locaux du HADEP. Les procès-verbaux d'arrestation ne précisent pas les raisons pour lesquelles ils ont été arrêtés. La police a procédé à leur interrogatoire le 21 février 1999, soit cinq jours après, et c'est à cette occasion qu'ils ont été informés des raisons de leur arrestation. Il ne ressort pas des éléments du dossier qu'ils en aient eu connaissance avant. A cet égard, si le Gouvernement soutient qu'un protocole d'arrestation a été rempli concernant les requérants et signé par eux, les seuls documents relatifs à leur arrestation sont les procès-verbaux, lesquels n'en indiquent pas les raisons.

34. Par ailleurs, rien dans le dossier ne permet pas d'affirmer que les requérants avaient compris pourquoi ils avaient été appréhendés. Au moment de leur arrestation, ils ne se trouvaient pas dans une situation où ils pouvaient se reprocher un acte infractionnel (comparer avec Dikme c. Turquie, no 20869/92, § 54, CEDH 2000VIII). A cet égard, il convient de noter que l'enquête pénale s'est terminée par une ordonnance de non-lieu et qu'aucune poursuite pénale n'a été diligentée à l'encontre des intéressés.

35. Dès lors, la Cour conclut que les requérants n'ont pas été informés des raisons de leur arrestation avec la promptitude voulue par l'article 5 § 2 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

2. Article 5 § 3

36. Les requérants dénoncent la durée excessive de leur garde à vue.

37. Le Gouvernement soutient que de la durée de la garde à vue des requérants était en conformité avec la législation en vigueur à l'époque des faits. Il ajoute que la prolongation de la durée initiale de la garde à vue était nécessaire vu le nombre de personnes arrêtées et la quantité de preuves recueillies.

38. En l'espèce, la garde à vue de M. Tosun a débuté le 17 février 1999 et celle des autres requérants le 16 février 1999, date de leur arrestation. Elle a pris fin le 22 février 1999 avec leur libération. La garde à vue de M. Tosun a ainsi duré cinq jours et celle des autres requérants six jours.

39. La Cour rappelle que, dans l'affaire Brogan et autres (précité, § 62), elle a jugé qu'une période de garde à vue de quatre jours et six heures sans contrôle judiciaire allait au-delà des strictes limites de temps fixées par l'article 5 § 3, même quand elle a pour but de prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme.

40. Elle ne saurait admettre, dans la présente affaire, qu'il ait été nécessaire de détenir les requérants pendant cinq à six jours avant qu'ils ne soient entendus par le procureur de la République et libérés.

41. Partant, il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

3. Article 5 § 4

42. Les requérants se plaignent de n'avoir disposé d'aucun moyen de recours qui aurait pu leur permettre de faire contrôler la légalité des mesures qui leur ont été imposées.

43. Le Gouvernement fait observer que les requérants disposait d'un droit à réparation selon la loi no 466 relative à l'indemnisation des personnes ayant subi une privation de liberté irrégulière.

44. La Cour estime que le fait d'exiger des requérants, placés en garde à vue sans contrôle judiciaire rapide et automatique, d'introduire un recours en dommages-intérêts modifierait la nature de la garantie offerte par le paragraphe 4 de l'article 5, qui est distincte de celle prévue par l'article 5 § 5 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Yağcı et Sargın c. Turquie, arrêt du 8 juin 1995, série A no 319, p. 17, § 44).

45. S'agissant du recours prévu par l'article 128 § 4 de l'ancien code de procédure pénale qui permettait de saisir le juge d'instance pour faire contrôler la légalité de l'arrestation et la durée de la garde à vue, la Cour rappelle que dans son arrêt Öcalan c. Turquie ([GC], no 46221/99, §§ 6472, CEDH 2005...), elle a considéré que le contrôle effectué par le juge national sur la légalité de la détention en vertu de l'article 128 § 4 du code de procédure pénale ne respectait pas les exigences de l'article 5 § 4. En outre, soulignant notamment que les accusations portées contre le requérant revêtaient une certaine gravité et que la durée de sa garde à vue était conforme à la législation nationale, elle a jugé qu'une opposition sur ce point devant un juge d'instance était loin de présenter des chances d'aboutir à une remise en liberté (ibidem, § 70).

46. La Cour estime que ces considérations valent également pour la présente espèce et conclut qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention.

4. Article 5 § 5

47. Les requérants se plaignent de ne pas disposer d'un recours pour obtenir réparation. Ils soutiennent que le recours prévu à l'article 1 de la loi no 466 sur l'octroi d'indemnités aux personnes arrêtées ou détenues illégalement ne saurait passer pour une voie de droit adéquate et effective.

48. La Cour rappelle que le paragraphe 5 de l'article 5 se trouve respecté dès lors que l'on peut demander réparation du chef d'une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1, 2, 3 ou 4 (Wassink c. Pays-Bas, arrêt du 27 septembre 1990, série A no 185A, p. 14, § 38). Le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose qu'une violation de l'un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention.

49. En l'espèce, la Cour a conclu à la violation des paragraphes 2, 3 et 4 de l'article 5 de la Convention parce que les requérants (à l'exception de M. Tosun) n'ont pas été informés des raisons de leur arrestation ainsi qu'en raison de la durée excessive de leur garde à vue et de l'absence de recours effectif à cet égard (paragraphes 35, 41 et 46 ci-dessous). Reste à déterminer si les intéressés disposaient de la possibilité de demander réparation pour le préjudice subi.

50. La Cour note que selon les termes de l'article 1 de la loi no 466, les requérants avaient la possibilité d'introduire une demande d'indemnisation dans la mesure où l'enquête menée par le parquet s'est terminée par une ordonnance de non-lieu. Dans ce cas de figure, les juridictions internes se fondent sur le simple constat de non-lieu pour accorder une réparation. Celle-ci est une conséquence automatique de l'ordonnance de non-lieu et n'équivaut nullement à constater l'irrégularité de la privation de liberté.

51. Par conséquent, la Cour n'est pas convaincue que le droit turc offrait aux requérants un droit à réparation pour les violations alléguées. Partant, il y a eu violation de l'article 5 § 5 de la Convention.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

52. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

53. Les requérants réclament chacun 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'ils auraient subi.

54. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

55. La Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer 500 EUR au requérant Yusuf Tosun et 1 500 EUR à chacun des cinq autres.

B. Frais et dépens

56. Les requérants demandent 3 560 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. À titre de justificatif, ils fournissent une convention d'honoraires qui se réfère au barème du barreau de Diyarbakır et un décompte horaire.

57. Le Gouvernement conteste ce montant.

58. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

Compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l'accorde aux requérants conjointement.

C. Intérêts moratoires

59. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête irrecevable quant aux griefs tirés de l'article 5 §§ 1 c) (tous les requérants) et 2 (en ce qui concerne M. Tosun) de la Convention, et recevable pour le surplus ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 2 de la Convention ;

3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;

4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention ;

5. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 5 de la Convention ;

6. Dit

a) que l'État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement :

i. 500 EUR (cinq cents euros) à M. Tosun et 1 500 (mille cinq cents euros) à chacun des cinq autres requérants pour dommage moral ;

ii. 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens aux six requérants conjointement ;

iii. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 mai 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Fatoş Aracı Nicolas Bratza
Greffière adjointe Président