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TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 29423/03
présentée par Francois MARCOS IRLES
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 7 juin 2007 en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
C. Bîrsan,
J.-P. Costa,
Mme A. Gyulumyan,
M. David Thór Björgvinsson,
Mmes I. Ziemele,
I. Berro-Lefèvre, juges,
et de M. S. Quesada, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 1er septembre 2003,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. François Marcos Irles, est un ressortissant français, né en 1970 et résidant à Carpentras. Il est gérant et associé unique de la SCI Truffi, et est représenté devant la Cour par Me Lechevallier, avocate à Strasbourg. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 23 mars 2000, M. et Mme M. signèrent avec la société civile immobilière « SCI Truffi », au capital social de 1 000 francs (soit 152 euros), un compromis de vente en vue de l’acquisition d’une maison individuelle et d’un terrain à Carpentras au prix initialement convenu de 750 000 francs (114 329 euros). Il fut convenu entre les parties qu’une somme de 100 000 francs (15 243 euros) serait versée à charge pour le vendeur, la SCI Truffi dont le requérant était le gérant, de réaliser une liste de travaux telle qu’annexée au compromis de vente, au plus tard le 15 mai 2000. Cette somme de 100 000 francs fut versée entre les mains du notaire. Il était prévu à l’acte notarié une clause dite de négociation qui stipulait que « sous condition suspensive de l’exécution des travaux dont une liste est demeurée ci-jointe, la date d’achèvement doit être au plus tard le 15 mai 2000 ; passé cette date, les acquéreurs pourraient décider d’acquérir à la condition de séquestrer une partie du prix jusqu’à achèvement desdits travaux ».
Le 28 septembre 2000, les époux M. assignèrent la SCI Truffi devant le tribunal de grande instance de Carpentras. Ils demandaient au tribunal de constater leur droit de propriété sur la maison et de condamner la société à leur verser diverses sommes pour inexécution des travaux, et préjudices.
Par un jugement du 13 mars 2001, le tribunal de grande instance de Carpentras constata le droit de propriété des époux M. sur la maison litigieuse. Il rejeta d’abord l’invocation par la SCI de plusieurs compromis de vente, le premier en date du 16 mars 2000, le second en date du 23 mars 2000 et le troisième en date du16 mai 2000, estimant qu’un seul compromis avait été versé aux débats, « quand bien même ce document aurait-il été transmis par fax de diverses sources ». Le tribunal constata ensuite l’obligation de la SCI Truffi de réaliser certains travaux suivant description annexée au compromis de vente et, avant dire droit sur le montant des sommes dues par la SCI Truffi à titre de dommages et intérêts pour inexécution de l’obligation de faire souscrite, ordonna une mesure d’expertise. Il condamna également la société à verser aux époux M. une somme de 100 000 francs (soit 15 244 euros) à titre de provision à valoir sur le montant des travaux mis à sa charge, une somme correspondant au préjudice subi du fait du versement par les époux M. d’un loyer mensuel de 3 200 francs (soit 488 euros) depuis le 15 mai 2000 ce jusqu’à achèvement et réception des travaux, une somme de 30 000 francs (4 573 euros) à titre de dommages et intérêts pour le préjudice matériel et moral subi du fait du retard dans l’entrée en jouissance du bien immobilier considéré et de la nécessité pour les époux M. de louer un appartement et, enfin, une somme de 10 000 francs (soit 1 524 euros) par application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
La SCI interjeta appel du jugement. L’avocat plaidant pour elle évoqua dans ses observations orales l’intervention volontaire du requérant ; il ne déposa des conclusions en ce sens qu’après la date de clôture des débats fixée au 22 mars 2002. La SCI demanda entre autres d’ordonner un sursis à statuer en vertu de l’article 4 alinéa 4 du code de procédure pénale en l’état de la plainte avec constitution de partie civile déposée le 11 mai 2002 à l’encontre des époux M. pour escroquerie et faux en écriture publique (le requérant n’a pas fourni d’informations sur le développement de cette procédure). Elle demanda également la constatation de la nullité de la vente en vertu de la renonciation des époux M. à leur achat. Par un arrêt du 13 juin 2002, la cour d’appel de Nîmes déclara irrecevable l’intervention volontaire du requérant comme étant tardive, rejeta la demande de sursis à statuer, confirma le jugement et, y ajoutant, condamna la SCI à verser 1 000 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile. Elle motiva sa décision en ces termes :
« Il n’est pas discuté qu’à la date du 15 mai 2000 les travaux, dont la liste était annexée à cet acte du 23 mars 2000, n’étaient pas exécutés par la SCI Truffi. Celle-ci ne peut soutenir que leur inexécution ne serait pas de son fait mais parce que les futurs acquéreurs avaient renoncé à leur achat. Par une lettre du 16 mai 2000, postérieure au terme fixé pour la complète exécution des travaux convenus, les époux M. ont effectivement écrit au notaire pour alors tirer les conséquences de l’inexécution constatée des obligations du vendeur et s’en prévaloir pour obtenir restitution des 100 000 francs versés. La SCI ne peut donc soutenir que c’est par le fait des époux M. qu’elle n’avait pas elle-même exécuté complètement des obligations à la date du 15 mai 2000 fixées dans le compromis puisque leur lettre au notaire est postérieure à cette date et a précisément alors pour objet de tirer les conséquences de l’inexécution ;
C’est donc à juste titre que le tribunal a estimé que la réalisation de la vente était imputable au seul fait de la SCI Truffi, qu’elle était parfaite et que les époux M., qui n’ont jamais obtenu restitution de l’acompte, pouvaient dès lors agir en exécution forcée de la promesse synallagmatique de vente, tout en ordonnant une expertise pour chiffrer contradictoirement le montant des travaux dont l’exécution incombait au vendeur puisque le chiffrage proposé par les époux M. procédait d’un simple devis. (...) »
Le 3 septembre 2002, la SCI et le requérant, représentés par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, formèrent un pourvoi en cassation.
Le 26 décembre 2002, les époux M., sur le fondement de l’article 1009-1 du nouveau code de procédure civile, demandèrent le retrait du pourvoi du rôle de la Cour de cassation en raison de l’inexécution du dispositif de l’arrêt d’appel du 13 juin 2002.
Le 31 janvier 2003, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat aux Conseils, déclara auprès du greffe des pourvois avec représentation de la Cour de cassation, « se désister purement et simplement » de son pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 13 juin 2002 ; il en fut pris acte par le greffe le jour même.
A une date non déterminée, la SCI déposa un mémoire en défense devant la Cour de cassation dans lequel elle demandait que son pourvoi soit maintenu au rôle. Le 7 mars 2003, elle déposa des « observations complémentaires en défense » en vue d’établir l’impossibilité dans laquelle elle se trouvait d’exécuter l’arrêt d’appel. Ce faisant, elle produisit la situation de son compte de résultat pour l’exercice de l’année 2001, de laquelle il ressortait « un déficit de 871 168 francs à raison des condamnations judiciaires prononcées à son encontre et du transfert de propriété du bien immobilier litigieux ». Sur la page de garde desdites observations figurait la date de l’audience relative au retrait du pourvoi du rôle de la Cour de cassation, fixée au 12 mars 2003.
Par une ordonnance du 2 avril 2003, le premier président de la Cour de cassation, après avoir recueilli l’avis de l’avocat général, retira l’affaire du rôle en motivant sa décision comme suit :
« Attendu que, par arrêt du 13 juin 2002, la requérante a été condamnée par la cour d’appel de Nîmes à payer à M. et Mme M. la somme provisionnelle de 100 000 francs [soit 15 244 euros] outre une somme représentative des loyers et 80 000 francs [12 195 euros] à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que la SCI fait valoir que pour l’année 2001 elle a enregistré un déficit de 871 168 francs ; qu’elle ne produit aucun élément pouvant établir la réalité de sa situation patrimoniale ; qu’elle n’a procédé à aucun règlement ; Qu’en cet état, elle ne saurait suivre sur l’instance en cassation ouverte par sa déclaration de pourvoi ; »
B. Le droit et la pratique internes pertinents
Le droit et la pratique internes pertinents sont exposés dans l’affaire Carabasse c. France (no 59765/00, §§ 27-36, arrêt du 18 janvier 2005).
Les dispositions pertinentes du nouveau code de procédure civile, en vigueur à l’époque des faits, sont les suivantes :
Article 386
« L’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. »
Article 1009-1
« Hors les matières où le pourvoi empêche l’exécution de la décision attaquée, le premier président ou son délégué décide, à la demande du défendeur et après avoir recueilli l’avis du procureur général et les observations des parties, le retrait du rôle d’une affaire lorsque le demandeur ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée de pourvoi, à moins qu’il ne lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives. La demande du défendeur doit, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, être présentée avant l’expiration des délais prescrits aux articles 982 et 991. La décision de retrait du rôle n’emporte pas suspension des délais impartis au demandeur au pourvoi par les articles 978 et 989. »
Article 1009-2
« Le délai de péremption court à compter de la notification de la décision ordonnant le retrait du rôle. Il est interrompu par un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter. »
Article 1009-3
« Le premier président ou son délégué autorise, sauf s’il constate la péremption, la réinscription de l’affaire au rôle de la cour sur justification de l’exécution de la décision attaquée.
Les délais impartis au défendeur par les articles 982 et 991 courent à compter de la notification de la réinscription de l’affaire au rôle. »
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint de n’avoir pas eu un accès effectif à la Cour de cassation du fait du retrait du rôle de son pourvoi en cassation. Il se plaint également de l’absence de motivation de l’ordonnance de retrait et allègue une violation des articles 6 et 13 de la Convention. Toujours sous l’angle de l’article 6, le requérant se plaint de n’avoir pas eu communication de l’avis de l’avocat général concernant la demande de retrait de son pourvoi du rôle de la Cour de cassation, en violation du principe du contradictoire.
2. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint d’une violation de son droit au respect de ses biens. Il explique que la cour d’appel de Nîmes n’a pas tiré les conclusions qui s’imposaient en raison de la renonciation des époux M. à l’achat de son bien dont il a été dépossédé en raison de l’impossibilité financière de pouvoir exécuter la décision judiciaire ayant ordonné l’exécution forcée de la vente. Il expose en outre que la violation de cette disposition découle du défaut d’accès à un tribunal, le privant ainsi de la possibilité de recouvrir toute possession sur son bien.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de la radiation de son pourvoi du rôle de la Cour de cassation qui a porté atteinte à son droit d’accès à la Cour de cassation, ainsi qu’à son droit à un recours effectif. Il invoque les articles 6 et 13 de la Convention, qui se lisent respectivement comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Toujours sur le fondement de l’article 6 § 1, le requérant se plaint également de n’avoir pas eu communication de l’avis de l’avocat général concernant la demande de retrait de son pourvoi du rôle de la Cour de cassation en violation du principe du contradictoire.
A. Thèses des parties
1. Le Gouvernement
Le Gouvernement soulève tout d’abord trois exceptions d’irrecevabilité de la requête.
Il soutient que le désistement du requérant de son pourvoi en cassation peut être interprété soit comme une perte de la qualité de victime du requérant puisque celui-ci n’était plus partie à la procédure, soit comme un non-épuisement des voies de recours internes. En outre, même à supposer que l’acte de désistement ne soit pas intervenu, le requérant ne pourrait se prévaloir de la qualité de victime alors que la personne condamnée par l’arrêt d’appel du 13 juin 2002 était la SCI Truffi, personne morale disposant, conformément à l’article 1842 alinéa 1 du code civil, d’une personnalité juridique, d’un patrimoine ainsi que de droits et d’obligations propres et distincts de celle de ses membres ; sur ce point, le Gouvernement fait valoir que c’est vainement que le requérant croit pouvoir invoquer l’article 1857 dudit code puisque ce texte ne prévoit qu’une possible responsabilité, subsidiaire, des associés à proportion de leur part dans la société et après des poursuites préalables et vaines de cette société. Enfin, le Gouvernement estime que, le requérant s’étant abstenu de solliciter la réinscription de son pourvoi au rôle de la Cour de cassation avant l’expiration du délai de péremption, il n’a pas épuisé les voies de recours internes, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention.
A titre subsidiaire, sur le bien-fondé de la requête, le Gouvernement, après avoir rappelé la jurisprudence pertinente de la Cour en matière d’accès à un tribunal, considère que le retrait du pourvoi formé par la SCI du rôle de la Cour de cassation n’a pas constitué une entrave disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal. Il relève que la SCI n’a pas apporté la preuve de sa situation matérielle l’empêchant d’exécuter la condamnation financière mise à sa charge, dans la mesure où elle s’est bornée à produire une déclaration pour l’année 2001 de laquelle il résultait un déficit de 871 168 euros « à raison des condamnations prononcées à son encontre et du transfert de propriété du bien immobilier litigieux », selon les termes de ses écritures devant la Cour de cassation. Il souligne que le magistrat délégué par le premier président, dans son ordonnance du 2 avril 2003, a constaté qu’elle ne produisait aucun élément pouvant établir la réalité de sa situation patrimoniale, et observe que devant la Cour européenne, aucune pièce supplémentaire relative à la situation financière de la société ou du requérant n’a été apportée.
Quant au grief tiré du défaut allégué de communication de l’avis de l’avocat général, le Gouvernement soutient en premier lieu que l’article 6 § 1 de la Convention ne trouve pas à s’appliquer à la procédure litigieuse, celle prévue par l’article 1009-1 du nouveau code de procédure civile ne pouvant être considérée comme une procédure destinée à trancher une « contestation sur des droits et obligations de caractère civil ». Il s’agit selon lui d’une mesure administrative, d’ailleurs provisoire, puisque l’affaire pourrait être réinscrite sur justification de l’exécution de l’arrêt attaqué. Ce caractère de simple mesure d’administration judiciaire a été précisé par le premier président dans deux ordonnances du 12 octobre 1989 qui disposent qu’elle est « une mesure de régulation destinée à rappeler le caractère extraordinaire du recours en cassation et à faire assurer au bénéficiaire d’une décision de justice exécutoire la pleine effectivité des prérogatives qui lui ont été reconnues par les juges du fond ». En toute hypothèse, le Gouvernement estime que la procédure litigieuse respecte les principes posés par l’article 6 § 1 de la Convention, en particulier le principe du contradictoire dans la mesure où, à l’audience relative à la demande de retrait du rôle, les avocats des parties, informés de sa date, peuvent répondre aux arguments développés par eux, ainsi qu’à l’avis verbal donné par l’avocat général à l’audience. Il précise sur ce point que cet avis ne peut être que sommaire car portant sur des questions de pur fait sur lesquels il ne dispose d’aucun élément particulier. L’affaire est ensuite mise en délibéré et l’ordonnance, rendue dans un délai d’environ trois semaines, est notifiée par le greffe aux avocats des parties. En l’espèce, il n’apparaît pas que ceux-ci se soient présentés à l’audience du 12 mars 2003, se contentant de leurs observations écrites, alors que l’avocat général, présent à l’audience, a donné son avis, lequel aurait pu faire l’objet d’une discussion auquel les avocats auraient pu répondre, soit verbalement soit par une note en délibéré.
2. Le requérant
Le requérant conteste les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Gouvernement. Il soutient tout d’abord s’agissant de son désistement, que seules des considérations économiques liées à la gestion financière de deux pourvois, portant sur le même objet et dont l’issue aurait emporté les mêmes conséquences financières, ont guidé ce choix. Il estime ensuite que la qualité de victime indirecte du requérant, en sa qualité d’associé unique et de gérant, résulte du système juridique français et de son application in concreto à l’égard de la SCI. Rappelant qu’à l’égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité ou au jour de la cessation de paiements (article 1857 du code civil), le requérant considère que l’exécution de l’arrêt d’appel, par les montants de la condamnation, emportent un déficit évident qui ne peut conduire en termes économiques qu’à la liquidation judiciaire, rendue inéluctable, de la SCI, celle-ci ne disposant que de l’immeuble litigieux dont elle a été dépossédée par voie judiciaire, accusant de surcroît le remboursement d’un prêt bancaire d’un montant de 450 000 francs (soit environ 68 597 EUR) dont le requérant s’était porté caution en son nom personnel, souscrit en vue de permettre l’acquisition dudit immeuble. Le Gouvernement ne peut donc soutenir que la responsabilité de l’unique associé de la SCI ne serait pas engagée. En outre, le requérant soutient que les organes de la Convention ont eu l’occasion de préciser que l’actionnaire détenteur d’une majorité substantielle d’actions de la société contre laquelle étaient menée des actions judiciaires ou en possession d’une participation décisive pouvait se prévaloir de sa qualité de victime indirecte. Enfin, le requérant estime que la demande de réinscription au rôle du pourvoi constitue un recours inutile et inefficace au sens de l’article 35 de la Convention, et que l’exception d’irrecevabilité soulevée se confond avec le fond du grief tiré du défaut d’accès à la Cour de cassation, comme la Cour l’a indiqué dans son arrêt de principe Annoni di Gussola et autres c. France, du 14 novembre 2000.
Sur la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du retrait du rôle du pourvoi formé par la SCI, le requérant fait valoir que la SCI, au capital social modeste de 1000 francs, avait souscrit un prêt bancaire de 450 000 francs afin de se porter acquéreur du bien litigieux, et que suite à la renonciation des époux M., elle avait souscrit des engagements auprès d’acquéreurs tiers. Il souligne que si les époux M. étaient redevables envers la SCI du paiement du solde du prix de la vente, établi à 650 000 francs, cette créance se voyait imputée, par compensation, d’une somme de 64 000 francs de loyers mensuels, de 30 000 francs de dommages-intérêts et encore de 100 000 francs au titre des travaux à exécuter. Il expose en sus que la SCI était privée des revenus locatifs qu’elle tirait de la possession de l’immeuble litigieux, et que tous ces éléments étaient connus du premier président de la Cour de cassation puisqu’ils ressortent du dispositif même de l’arrêt d’appel du 13 juin 2002, et conclut à la violation de la Convention.
Sur la violation de l’article 6 § 1 du fait de la non-communication de l’avis de l’avocat général et du défaut d’avis d’audience, le requérant estime tout d’abord que cette disposition trouve à s’appliquer à la procédure relative au retrait du rôle, dans la mesure où celle-ci est fondamentale quant à l’issue de la procédure en cassation, elle-même déterminante sur ses droits de caractère civil, à savoir la caducité de la vente de l’immeuble litigieux. Le requérant soutient ensuite que ni lui ni le conseil de la SCI ne furent avisés de l’avis de l’avocat général ou de la tenue d’une audience, ce qui conduit à une violation de la Convention.
B. Appréciation de la Cour
La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Gouvernement dans la mesure où, même à supposer que le requérant puisse se prévaloir de la qualité de victime, que les voies de recours aient été valablement épuisées et que l’article 6 § 1 de la Convention trouve à s’appliquer, cette partie de la requête est irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en tout état de cause. Il en résulte par ailleurs que l’article 6 § 1, qui constitue en l’espèce une lex specialis par rapport à l’article 13 dont les garanties se trouvent absorbées par celle-ci (voir les arrêts Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, § 41 et Cordova (no 2) c. Italie, no 45649/99, § 71, CEDH 2003), est ici seul pertinent, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le grief tiré de la violation de l’article 13. La Cour examinera donc la requête sous le seul angle de l’article 6 § 1.
1. Sur le grief relatif au défaut allégué d’accès à un tribunal
La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné, à plusieurs reprises, la question de savoir si une mesure de retrait du pourvoi du rôle de la Cour de cassation française ou de refus de réinscription prononcée en application des articles 1009-1 et suivants du nouveau code de procédure civile était susceptible de restreindre l’accès à un tribunal ouvert à un individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même (voir, entre autres, Annoni di Gussola et autres c. France, nos 31819/96 et 33293/96, § 53, CEDH 2000‑XI et, dernièrement, Ong c. France, no 348/03, 14 novembre 2006).
Dans l’arrêt Annoni di Gussola et autres c. France, [§ 50], après avoir rappelé les buts poursuivis par l’obligation d’exécution d’une décision de justice visée à l’article 1009-1 précité, la Cour a apprécié si les mesures de retrait s’analysaient en une entrave proportionnée au droit d’accès à la haute juridiction. Elle a retenu, pour ce faire, les situations matérielles respectives des requérants, le montant des condamnations et l’effectivité de leur examen par le premier président dans son appréciation des possibilités d’exécution de l’arrêt frappé de pourvoi. Même si elle n’a pas retenu le critère du caractère sérieux des moyens de cassation soulevés comme déterminant dans la mesure où l’appréciation des « conséquences manifestement excessives » se fait indépendamment de ce paramètre, elle n’en a pas moins soulevé son lien avec le risque de paralysie d’un pourvoi dont l’issue s’annoncerait favorable au demandeur (§ 58). Elle releva qu’aucun début d’exécution des condamnations au paiement de montants s’élevant à près de 100 000 FRF et 150 000 FRF (soit environ 15 000 et 22 727 EUR) n’était envisageable de la part des intéressés, vu la faiblesse de leurs revenus, et en déduisit que les conséquences du retrait du pourvoi du rôle de la Cour de cassation étaient « manifestement excessives» (§§ 55-58). Par la suite, d’autres éléments ont été retenus par la Cour dans son appréciation du caractère proportionné de l’entrave au droit d’accès à la Cour de cassation, qu’il s’agisse du fait que les ordonnances de retrait du pourvoi et de refus de le réinscrire n’étaient pas suffisamment motivées et ne permettaient pas de s’assurer que le requérant avait bénéficié d’un examen effectif et concret de sa situation (voir Mortier c. France, no 42195/98, §§ 36-37, 31 juillet 2001), de l’âge particulièrement avancé du requérant (Carabasse précité, § 59), ou de la carence de celui-ci à fournir au premier président les éléments lui permettant d’apprécier si le retrait du pourvoi était manifestement excessif et sans rapport de proportionnalité (voir Durreche c. France (déc.), no 59521/00, 7 septembre 2004).
Il appartient à la Cour de rechercher si dans la présente affaire le requérant se trouvait dans une situation telle qu’elle excluait l’exécution de la condamnation financière mise à la charge de la SCI dont il était l’unique associé et le gérant.
En l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le montant de la condamnation prononcée contre la société civile immobilière « SCI Truffi » n’est pas, en soi, important (celui-ci représentant 30 000 EUR environ toutes causes confondues), ce qui donne à penser qu’un tel montant n’excluait pas, de prime abord, l’exécution intégrale et immédiate de l’arrêt d’appel attaqué. Elle relève ensuite qu’aucun début d’exécution, même partiel, n’a été entamé, le requérant n’ayant d’ailleurs fait aucune offre de paiement échelonné des indemnités dont sa société était redevable.
En tout état de cause, la Cour constate qu’il ne fut pas démontré au premier président de la Cour de cassation que le retrait du pourvoi aurait entraîné pour la SCI des « conséquences manifestement excessives », au sens de l’article 1009-1 du nouveau code de procédure civile. En effet, il ressort de l’ordonnance du 2 avril 2003 que la SCI n’a pas apporté au magistrat les éléments de nature à permettre une évaluation complète de sa situation patrimoniale et n’a, dès lors, pas permis à ce dernier de procéder à l’examen de proportionnalité entre les ressources et la somme due. A cet égard, le seul document produit à l’appui des prétentions de la SCI, est la situation de son compte de résultat réalisé pour l’année 2001 sur laquelle elle avait fait figurer un déficit de 871 168 francs (soit 132 800 euros), décomposé en une « condamnation judiciaire » de 221 500 francs (soit 33 765 euros) et un transfert de propriété de 650 000 francs (soit 99 085 euros), sans plus de détails, alors qu’il apparaît que les époux M. étaient toujours redevables de cette dernière somme, comme l’admet le requérant lui-même dans ses observations écrites en réponse à celles du Gouvernement. Par ailleurs, dans la mesure où le requérant, unique sociétaire de la SCI, estime que les répercussions financières de la condamnation pécuniaire de sa société emportent les mêmes effets sur sa situation personnelle, il y a lieu d’observer qu’aucun élément ne fut soumis à l’examen de la Cour de cassation quant à sa situation matérielle et financière personnelle, susceptible d’être prise en compte dans l’évaluation des « conséquences manifestement excessives » susmentionnées. En outre, les éléments produits devant la Cour, relatifs à un prêt bancaire souscrit par la SCI d’un montant de 345 023 francs (soit 52 595 euros) – et non à hauteur de 450 000 francs (soit 68 597 EUR) comme allégué par le requérant – et à la privation du produit locatif découlant de la dépossession de l’immeuble litigieux, ne furent pas soumis à l’examen du premier président de la Cour de cassation, de sorte qu’ils ne sauraient être pris en considération à ce stade de la procédure.
Enfin, malgré le peu d’éléments en sa possession, et à la différence de l’arrêt Mortier c. France no 42195/98, §§ 36-37, 31 juillet 2001, le refus du premier président de la Cour de cassation d’accéder à la demande de la société SCI est intervenu sur la base de ce qu’il savait de la situation de la société et du déroulement de la procédure. Dans son ordonnance du 2 avril 2003, le premier président a procédé à un examen effectif et concret des documents versés, et a mis en exergue la difficulté de cet examen du fait de la carence de ladite société à lui fournir les pièces justificatives de sa situation patrimoniale.
Au vu de l’ensemble de ces circonstances, la Cour considère que la décision de retrait du pourvoi du rôle de la Cour de cassation n’a pas constitué une mesure disproportionnée au regard du but visé, et que l’accès effectif de l’intéressé à la haute juridiction ne s’en est pas trouvé entravé au point qu’il ait été porté atteinte à la substance même de son droit à un tribunal. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée par application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Sur le grief relatif à la non-communication de l’avis de l’avocat général près la Cour de cassation
La Cour rappelle que, dans son arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998 (Recueil 1998‑II, § 106), elle a relevé que, devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, lorsque les parties sont représentées par un avocat au conseil d’Etat et à la Cour de cassation, l’avocat général informe celui-ci avant le jour de l’audience du sens de ses propres conclusions, de sorte que lorsque, à la demande dudit avocat aux Conseils, l’affaire est plaidée, ce dernier a la possibilité de répliquer aux conclusions oralement ou par une note en délibéré. Elle a estimé que cette pratique était « de nature à offrir [aux parties] la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes » (ibidem) et a, par la suite, conclu au défaut manifeste de fondement des griefs de cette nature (voir, par exemple, Mac Gee c. France (déc.), no 46802/99, 10 juillet 2001). La Cour a constaté que cette pratique est suivie par toutes les chambres de la Cour de cassation (voir, mutatis mutandis, Crochard et autres c. France (déc.), no68255/01, 27 mai 2003). Dans l’arrêt Voisine c. France du 8 février 2000 (no 27362/95, §§ 25 et suivants), la Cour a constaté que, les parties qui ont choisi de se défendre sans la représentation d’un avocat aux Conseils ne bénéficient pas de cette pratique, et a jugé que cela n’était pas compatible avec les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention ; cette jurisprudence a été par la suite confirmée par la Grande Chambre (arrêt Meftah et autres précité, §§ 49 et suivants).
La Cour relève que le Gouvernement soutient que la procédure de retrait du rôle se déroule autrement en ce que, notamment, l’avocat général ne présente qu’un avis sommaire et oral lors de l’audience publique y relative, – et non pas des conclusions écrites.
Il n’en reste pas moins que le droit à une procédure contradictoire au sens de l’article 6 § 1, tel qu’interprété par la jurisprudence, implique en principe le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir, par exemple, Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996, Recueil 1996-I, p. 215, § 31). Cela vaut en matière « civile » comme en matière « pénale » (voir Vermeulen c. Belgique, du 20 février 1996, Recueil 1996-I, § 33, et Kress c. France [GC], no 39594/98, § 94).
Or, à supposer l’article 6 applicable à la procédure en cause, la Cour observe que la SCI était non seulement représentée par un avocat aux Conseils mais également qu’elle a été convoquée à l’audience publique du 12 mars 2003, tel que cela ressort des faits de l’espèce – contrairement à ce que soutient le requérant dans ses observations. Ainsi, aux yeux de la Cour, la SCI avait la possibilité de répondre oralement ou par une note en délibéré à l’avis verbal de l’avocat général présenté lors de l’audience publique, ce qui permet, et c’est là un élément fondamental pour la Cour, de contribuer au respect du principe du contradictoire et donc à l’équité de la procédure (voir, mutatis mutandis, Fabre c. France, no 69225/01, §§ 23-26, 2 novembre 2004, pour ce qui est des conclusions de l’avocat général développées oralement à l’audience publique devant la Cour de cassation ; voir aussi, mutatis mutandis, Eisenchteter c. France, no 17306/02, 16 janvier 2007, §§ 18 et s., et Fretté c. France, no 36515/97, § 50, CEDH 2002-I, pour ce qui est des conclusions du commissaire du gouvernement devant le Conseil d’Etat présentées oralement et pour la première fois lors de l’audience publique y afférente).
Dans ces conditions, cette partie de la requête apparaît également manifestement mal fondée, et doit être rejetée par application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint enfin d’une violation de son droit au respect de ses biens. Il explique que la cour d’appel de Nîmes n’a pas tiré les conclusions qui s’imposaient en raison de la renonciation des époux M. à l’achat de son bien dont il a été dépossédé en raison de l’impossibilité financière de pouvoir exécuter la décision judiciaire ayant ordonné l’exécution forcée de la vente. Il expose en outre que la violation de cette disposition découle du défaut d’accès à un tribunal, le privant ainsi de la possibilité de recouvrer toute possession sur son bien.
Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation de l’article 1 du Protocole no 1, l’examen du dossier ne permettant pas de faire ressortir un quelconque arbitraire ou abus de droit de la part des juridictions.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, et doit être rejetée de ce chef, par application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. Il convient, dès lors, de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič
Greffier Président