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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE TUDOR c. ROUMANIE
(Requête no 29035/05)
ARRÊT
STRASBOURG
17 janvier 2008
DÉFINITIF
17/04/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Tudor c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,
Corneliu Bîrsan,
Elisabet Fura-Sandström,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Isabelle Berro-Lefèvre, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 décembre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 29035/05) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Alina Tudor (« la requérante »), a saisi la Cour le 2 août 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Mme A. Tăulescu. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R.H. Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 12 mai 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. La requérante est née en 1980 et réside à Bucarest.
5. La requérante est l'héritière de sa grand-mère, N.E., dont les parents étaient les propriétaires d'une maison comprenant plusieurs appartements et du terrain attenant à cette maison, sis à Bucarest, au no 127, Şoseaua Bucureşti-Ploieşti. En 1950, l'Etat prit possession de cet immeuble en vertu du décret de nationalisation no 92/1950.
6. Le 24 juillet 1996, N.E. déposa auprès de la mairie du premier arrondissement de Bucarest une demande d'indemnisation pour la maison qui avait été nationalisée à ses parents, se fondant sur la loi no 112/1995. Cette demande demeura sans suite.
7. Par un contrat de vente du 24 octobre 1996, conclu en vertu de la loi no 112/1995, la société commerciale Herăstrău Nord S.A. (« la S.C. Herăstrău »), gérante des biens appartenant à l'Etat, vendit aux époux I., qui occupaient la maison en tant que locataires, l'appartement no 1 ainsi qu'une superficie de 62,58 m2 du terrain attenant à la maison.
8. Le 2 février 1999, N.E. décéda et la requérante fut déclarée son héritière.
9. Le 28 juin 2001, en vertu de la loi nº 10/2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l'Etat entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989 (« loi no 10/2001 »), la requérante demanda à la S.C. Herăstrău la restitution de l'appartement et du terrain vendus aux époux I.
A ce jour, la requérante n'a pas reçu de réponse à sa demande.
10. Le 7 août 2002, la requérante assigna devant le tribunal de première instance du 1er arrondissement de Bucarest la S.C. Herăstrău, la mairie de Bucarest et les époux I. Faisant valoir que la nationalisation de l'immeuble litigieux était illégale puisque ses arrière-grands-parents ne faisaient pas partie des catégories de personnes auxquelles s'appliquait le décret nº 92/1950, la requérante demanda au tribunal de constater qu'au moment de la vente, l'Etat ne détenait pas de titre valable de propriété de l'immeuble litigieux et que, de ce fait, le contrat de vente du 24 octobre 1996 était frappé de nullité absolue.
11. Par un jugement du 14 mars 2003, le tribunal de première instance du 1er arrondissement constata que l'appropriation par l'Etat de l'immeuble en litige avait été illégale, puisque le décret nº 92/1950 était contraire aux dispositions de la Constitution de 1948 ainsi qu'aux traités internationaux auxquels la Roumanie était partie à l'époque, et conclut à l'absence d'un titre valable de l'Etat sur le bien litigieux. Le tribunal rejeta toutefois la demande d'annulation du contrat de vente du 24 octobre 1996 au motif que les acquéreurs avaient été de bonne foi au moment de la vente.
12. La requérante fit appel de ce jugement, faisant grief à la juridiction en premier ressort d'avoir à tort jugé que l'Etat pouvait disposer de l'immeuble en question en l'absence d'un titre valable de propriété et d'avoir rejeté sa demande d'annulation du contrat de vente du 24 octobre 1996.
13. Par un arrêt du 24 septembre 2003, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l'appel de la requérante jugeant qu'en vertu de l'article 46 de la loi no 10/2001, le contrat de vente susmentionné était valable, puisqu'à sa conclusion les acheteurs avaient été de bonne foi.
14. Le recours formé par la requérante contre l'arrêt précité fut rejeté pour défaut de fondement par un arrêt du 3 février 2005 rendu par la cour d'appel de Bucarest.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
15. Les dispositions légales et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31-33), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, CEDH 2005-VII, §§ 19‑26) et Păduraru c. Roumanie (no 63252/00, §§ 38‑53, 1er décembre 2005).
16. La loi no 10/2001 du 14 février 2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l'État entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989 a été modifiée par la loi no 247 publiée au Journal officiel du 22 juillet 2005. La nouvelle loi élargit les formes d'indemnisation en permettant aux bénéficiaires de choisir entre une compensation sous forme de biens et services et une compensation sous forme de dédommagement pécuniaire équivalant à la valeur marchande du bien qui ne peut pas être restitué en nature au moment de l'octroi de la somme.
17. Les dispositions pertinentes de la loi no 10/2001 (republiée) telles que modifiées par la loi no 247/2005 se lisent ainsi :
Article 1
« 1. Les immeubles que l'État (...) s'est approprié abusivement entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, de même que ceux pris par l'Etat en vertu de la loi no 139/1940 sur les réquisitions, et non encore restitués, feront l'objet d'une restitution en nature.
2. Si la restitution en nature n'est pas possible, il y a lieu d'adopter des mesures de réparation par équivalence. Il peut s'agir de la compensation par d'autres biens ou services (...), avec l'accord du demandeur, ou d'un dédommagement pécuniaire octroyé selon les dispositions spéciales concernant la détermination et le paiement de dédommagements pour les biens immeubles acquis abusivement.
(...) »
Article 10
« 1) Lorsque les bâtiments tombés dans le patrimoine de l'État d'une manière abusive ont été démolis totalement ou partiellement, la restitution en nature est ordonnée pour le terrain libre et pour les constructions qui n'ont pas été démolies, tandis que des mesures réparatrices par équivalence seront fixées pour les terrains occupés et pour les constructions démolies.
(...)
8) La valeur des constructions que l'Etat s'est abusivement appropriées et qui ont été démolies est déterminée en fonction de leur valeur vénale au jour où l'administration statue sur la demande, établie selon les normes internationales d'évaluation à partir des informations à la disposition des évaluateurs.
9) La valeur des constructions qui n'ont pas été démolies et des terrains y afférents que l'Etat s'est abusivement appropriés et qui ne peuvent pas être restitués en nature est déterminée en fonction de leur valeur vénale au jour où l'administration statue sur la demande, conformément aux normes internationales d'évaluation. »
Article 20
« 1) Les personnes qui se sont vu octroyer des dédommagements en vertu de la loi no 112/1995 peuvent, sauf dans le cas où l'immeuble a été vendu [à des tiers] avant l'entrée en vigueur de la présente loi, en solliciter la restitution en nature, à charge pour elles de rembourser le montant reçu au titre des dédommagements, corrigé en fonction du taux de l'inflation.
2) Dans le cas où l'immeuble a été vendu [à des tiers] dans les conditions prévues par la loi no 112/1995 (...), le demandeur a droit à des mesures de réparation par équivalence, à hauteur de la valeur vénale de l'immeuble, incluant le terrain et les constructions, déterminée conformément aux normes internationales d'évaluation. Lorsque le demandeur a reçu des dédommagements en vertu de la loi no 112/1995, il a droit à la différence entre la valeur vénale du bien et le montant reçu au titre desdits dédommagements, corrigé en fonction du taux d'inflation.
(...) »
18. Les articles 13 et 16 du titre VII de la loi no 247/2005, également pertinents dans la présente affaire, se lisent ainsi :
Article 13
« 1) En vue d'arrêter le montant final des dédommagements à octroyer selon la présente loi, sera créée une Commission centrale des dédommagements, ci-après la Commission centrale, placée sous l'autorité du Premier ministre (...)
Article 16
« 1) Les décisions délivrées par les autorités compétentes pour restituer le bien mentionnant des sommes à titre de dédommagement (...) seront envoyées au secrétariat de la Commission centrale au plus tard 60 jours après l'entrée en vigueur de la présente loi.
2) Les demandes de restitution déposées en vertu de la loi no 10/2001 (...) qui n'ont pas reçu de réponse au moment de l'entrée en vigueur de la loi seront envoyées (...) au secrétariat de la Commission centrale (...) dans un délai de 10 jours à compter de la date de la délivrance des décisions des autorités compétentes pour restituer le bien.
5) Le secrétariat de la Commission centrale dressera la liste des dossiers mentionnés aux alinéas 1 et 2 dans lesquels la demande de restitution en nature a été rejetée. Ces dossiers seront ensuite transmis à l'autorité chargée de l'évaluation, qui rédigera le rapport d'évaluation.
6) (...) L'autorité chargée de l'évaluation rédigera le rapport d'évaluation selon la procédure prévue à cet effet et le transmettra à la Commission centrale. Le rapport contiendra le montant du dédommagement à octroyer.
7) Sur la base du rapport d'évaluation, la Commission centrale prononcera la décision d'octroi de dédommagement ou renverra le dossier pour une nouvelle évaluation. »
19. Le fonctionnement de la société par actions « Proprietatea » est décrit dans l'affaire Radu c. Roumanie (no 13309/03, §§ 18‑20, 20 juillet 2006).
20. La loi no 247/2005 a été modifiée en dernier lieu par l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 81 du 28 juin 2007, publiée au Journal Officiel du 29 juin 2007 et portant sur l'accélération de la procédure d'indemnisation pour les immeubles pris abusivement par l'Etat.
Selon l'article 181 du titre I de l'ordonnance, lorsque la Commission centrale a décidé l'octroi des dédommagements dont le montant ne dépasse pas 500 000 nouveaux lei roumains (« RON »), les bénéficiaires peuvent opter entre des actions à « Proprietatea » et l'octroi des dédommagements pécuniaires. Pour les montants supérieurs à 500 000 RON, les intéressés peuvent réclamer des dédommagements pécuniaires à hauteur de 500 000 RON, et se verront octroyer des actions à « Proprietatea » pour la différence.
Selon l'article 7 du titre II de l'ordonnance, dans les six mois à compter de l'entrée en vigueur de l'ordonnance, le Gouvernement devra établir les règles de désignation de la société gérante de « Proprietatea ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
21. Invoquant l'article 1 du Protocole no 1, la requérante se plaint d'avoir subi une atteinte à son droit au respect de ses biens, en raison des décisions des tribunaux internes qui, tout en constatant l'illégalité de la nationalisation et l'absence de titre valable de l'Etat sur l'immeuble en question, ont validé la vente par l'Etat de l'appartement no 1 de cet immeuble. L'article 1 du Protocole no 1 dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
22. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle observe par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun motif d'irrecevabilité et le déclare donc recevable.
B. Sur le fond
23. Le Gouvernement estime qu'il est loisible à la requérante d'obtenir une indemnité en vertu de la loi no 10/2001 modifiée par la loi no 247/2005, ce qui répond aux exigences de l'article 1 du Protocole no 1. Il considère que dans des situations complexes telles qu'en l'espèce, où les dispositions législatives ont un impact économique sur l'ensemble du pays, les autorités nationales doivent bénéficier d'un pouvoir discrétionnaire non seulement pour choisir les mesures visant à garantir le respect des droits patrimoniaux mais également pour leur mise en œuvre. Il expose que la dernière réforme en la matière, à savoir la loi no 247/2005, pose le principe de l'octroi de dédommagements équitables et non plafonnés, fixés par une décision de la commission administrative centrale sur la base d'une expertise, et accélère la procédure de restitution ou d'indemnisation. Cette loi prévoit que, dans le cas où la restitution de l'immeuble n'est pas possible, l'indemnisation se fait par l'émission de titres de participation à un organisme collectif de valeurs mobilières (Proprietatea), à hauteur de la valeur du bien établie par expertise. Selon le Gouvernement, le nouveau mécanisme institué par la loi no 247/2005 assure une indemnisation effective, conforme aux exigences de la Convention.
24. Le Gouvernement estime qu'en tout état de cause un éventuel retard dans l'octroi d'une indemnité, dans le contexte d'un dédommagement non plafonné, ne rompt pas le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété des individus et les exigences de l'intérêt général et n'oblige pas la requérante à supporter une charge excessive.
25. La requérante conteste la thèse du Gouvernement. Rappelant les constats de la Cour dans l'affaire Păduraru, précitée, elle maintient que les « circonstances exceptionnelles » évoquées par le Gouvernement ne sont que la conséquence de l'incohérence de la législation et de la pratique des juridictions nationales en matière de restitution des biens pris par l'Etat pendant le régime communiste, qui a rendu possible l'existence simultanée de deux titres de propriété sur le même bien.
26. Quant à la possibilité d'obtenir une indemnisation en vertu de la loi no 10/2001 modifiée par la loi no 247/2005, la requérante conteste le caractère réel et effectif du système de compensation mis en place par les lois précitées, soulignant que Proprietatea n'est pas encore fonctionnel.
27. La Cour observe que la requérante a obtenu une décision définitive constatant l'illégalité de l'appropriation par l'Etat de son bien et le fait que ce dernier n'était pas propriétaire de ce bien lors de sa vente. Malgré ce constat, les tribunaux internes ont refusé d'annuler la vente du bien, au motif que la requérante n'a pas apporté la preuve de la mauvaise foi des acquéreurs (paragraphe 11 ci-dessus).
28. Compte tenu du constat des tribunaux internes, non réfuté par les parties, la Cour estime qu'en l'espèce, la requérante est titulaire d'un bien protégé par l'article 1 du Protocole no 1 (Gabriel c. Roumanie, no 35951/02, § 25, 8 mars 2007 ; Florescu c. Roumanie, no 41857/02, § 27, 8 mars 2007).
29. Elle rappelle avoir déjà jugé que la vente par l'État d'un bien d'autrui à des tiers même lorsqu'elle était antérieure à la confirmation en justice de façon définitive du droit de propriété d'autrui et que les tiers étaient de bonne foi, s'analyse en une privation de propriété. Une telle privation, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, est contraire à l'article 1 du Protocole no 1 (Străin précité, §§ 39, 43 et 59).
30. De surcroît, la Cour a également constaté dans une autre affaire que l'Etat avait manqué à son obligation positive de réagir en temps utile et avec cohérence face à la question d'intérêt général que constitue la restitution ou la vente des immeubles entrés en sa possession en vertu des décrets de nationalisation. Elle a considéré que l'incertitude générale ainsi créée s'était répercutée sur le requérant, qui s'était vu dans l'impossibilité de recouvrer l'ensemble de son bien alors qu'il disposait d'un arrêt définitif condamnant l'Etat à le lui restituer (Păduraru, précité, § 112).
31. En l'espèce, la Cour n'aperçoit pas de motif pour s'écarter de la jurisprudence précitée, la situation de fait étant sensiblement la même. Alors qu'il n'était pas propriétaire légitime du bien, l'Etat l'a vendu à des tiers, et le droit interne ne permet toujours pas à la requérante d'obtenir une indemnisation.
32. La Cour observe que la vente du bien de la requérante, en vertu de la loi no 112/1995, l'empêche de jouir de son droit de propriété et qu'aucun dédommagement ne lui a été octroyé pour cette privation.
33. Pour autant que le Gouvernement fait valoir qu'il lui est loisible d'obtenir des titres de participation à un organisme collectif de valeurs mobilières (Proprietatea) sur la base de la loi no 10/2001, à hauteur de la valeur du bien établie par expertise, la Cour note que la demande de la requérante déposée en vertu de la loi no 10/2001 n'a pas été encore examinée par les autorités compétentes.
La Cour réitère en outre son constat antérieur selon lequel Proprietatea ne fonctionne actuellement pas d'une manière susceptible d'aboutir à l'octroi effectif d'une indemnité à la requérante (voir, parmi d'autres, les affaires Radu, précitée, et Ruxanda Ionescu c. Roumanie, no 2608/02, § 39, 12 octobre 2006). De surcroît, ni la loi no 10/2001, ni la loi no 247/2005 la modifiant ne prennent en compte le préjudice subi du fait d'une absence prolongée d'indemnisation par les personnes qui, comme la requérante, se sont vu priver de leurs biens (Porteanu c. Roumanie, no 4596/03, § 34, 16 février 2006, et Florescu, précité, § 32).
34. Dès lors, la Cour considère que le fait que la requérante a été privée de son droit de propriété sur son bien, combiné avec l'absence totale d'indemnisation depuis presque trois ans, lui a fait subir une charge disproportionnée et excessive, incompatible avec le droit au respect de ses biens garanti par l'article 1 du Protocole no 1.
35. Dès lors, il y a eu en l'espèce violation de cette disposition.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
A. Sur la recevabilité
36. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante estime que le rejet de son action en annulation du contrat de vente du 24 octobre 1996 a porté atteinte à son droit à un procès équitable.
37. La Cour rappelle qu'elle n'a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes, puisqu'il incombe au premier chef aux autorités nationales et, notamment, aux cours et tribunaux, d'interpréter la législation interne (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2955, § 31). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation.
38. En l'espèce, la Cour note que l'action de la requérante en annulation des contrats de vente litigieux a été examinée par plusieurs juridictions internes devant lesquelles l'intéressée a pu exposer les allégations et moyens de défense qu'elle a estimés utiles. Elle observe que les décisions critiquées sont intervenues à la suite d'une procédure contradictoire. Dès lors, et compte tenu également de l'absence d'arbitraire des décisions en cause, la Cour estime que la procédure en question a revêtu un caractère équitable.
39. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
40. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
a) Dommage matériel
41. Pour ce qui est du préjudice matériel, la requérante sollicite à titre principal la restitution du bien litigieux. Au cas où l'Etat ne pourrait le restituer, l'intéressée réclame une somme équivalant à la valeur vénale du bien qui, selon un rapport d'expertise accompagnant ses observations soumises à la Cour le 30 décembre 2006, s'élèverait à 77 730 EUR.
42. Le Gouvernement conteste l'évaluation de la valeur de l'immeuble faite par l'expert désigné par la requérante. Le Gouvernement n'a pas soumis une expertise permettant d'établir la valeur vénale du bien ; en revanché, il a présenté un rapport contenant des commentaires au sujet de l'expertise soumise par la requérante. Selon ce rapport, la valeur hypothétique de l'immeuble en question s'élèverait à 23 948 EUR.
43. Dans une lettre du 3 février 2007, la requérante fait valoir que la valeur avancée par le Gouvernement n'est pas réaliste, car, d'une part, l'expert mandaté par le Gouvernement n'a pas visité la maison, et, d'autre part, le coefficient de dépréciation pris en compte dans le rapport soumis par le Gouvernement n'est pas applicable aux bâtiments à destination d'habitation. Par ailleurs, elle estime la valeur actualisée de l'immeuble la somme de 129 000 EUR.
La requérante joint à sa lettre l'avis de l'expert ayant effectué l'expertise qu'elle a soumise à la Cour, sur lequel elle fonde ses observations.
44. La Cour rappelle qu'elle a conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de la vente par l'Etat du bien de la requérante à des tiers, combinée avec l'absence totale d'indemnisation.
45. La Cour estime, dans les circonstances de l'espèce, que la restitution de l'appartement no 1 de la maison sise à Bucarest au no 127, Şoseaua Bucureşti-Ploieşti et du terrain attenant de 62,58 m2, placerait la requérante autant que possible dans une situation équivalant à celle où elle se trouverait si les exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues.
46. A défaut pour l'Etat défendeur de procéder à pareille restitution dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, la Cour décide qu'il devra verser à la requérante, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur actuelle du bien.
47. La Cour observe que l'avis soumis par l'expert du Gouvernement est fondé sur une valeur hypothétique, puisque l'expert n'a pas visité le bien. Compte tenu de l'expertise fournie par la requérante ainsi que des informations dont la Cour dispose sur les prix du marché immobilier local, elle estime la valeur vénale actuelle du bien à 75 000 EUR.
48. Par conséquent, statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue à la requérante la somme de 75 000 EUR.
b) Dommage moral
49. La requérante réclame également 10 000 EUR au titre du dommage moral comme réparation du préjudice qui lui a été causé par la durée de la procédure, par les humiliations subies ainsi que par la frustration de ne pas pouvoir regagner la possession d'un bien dont elle est la propriétaire légitime.
50. Le Gouvernement conteste l'existence d'un lien de causalité entre la prétendue violation et le préjudice moral que la requérante allègue du fait de la durée de la procédure. Pour le reste, le Gouvernement estime qu'un constat de violation de l'article 1 du Protocole no 1 constituerait par lui‑même, une réparation satisfaisante du préjudice moral allégué.
51. La Cour relève que la requérante na pas soulevé devant elle de grief tiré de la durée de la procédure sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, de sorte qu'aucune réparation de ce chef ne saurait lui être accordée.
52. En revanche, la Cour considère que les événements en cause ont pu provoquer à la requérante un état d'incertitude et des souffrances qui ne peuvent pas être compensés par le constat de violation de l'article 1 du Protocole no 1. Elle estime que la somme de 2 000 EUR représente une réparation équitable du préjudice moral subi par la requérante.
B. Frais et dépens
53. La requérante n'a formulé aucune demande à ce titre.
54. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où il l'a demandé. Dès lors, en l'espèce, la Cour n'octroie à la requérante aucune somme à ce titre.
C. Intérêts moratoires
55. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit
a) que l'État défendeur doit restituer à la requérante l'appartement no 1 de la maison sise à Bucarest au no 127, Şoseaua Bucureşti-Ploieşti et le terrain attenant de 62,58 m2, dans les trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention ;
b) qu'à défaut d'une telle restitution, l'État défendeur doit verser à la requérante, dans le même délai de trois mois, 75 000 (soixante-quinze mille euros) pour dommage matériel ;
c) qu'en tout état de cause, l'Etat défendeur doit verser à la requérante 2 000 EUR (deux mille euros) pour préjudice moral ;
d) qu'il convient d'ajouter aux sommes susmentionnées tout montant pouvant être dû à titre d'impôt et que les sommes en question seront à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
e) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 janvier 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič
Greffier Président