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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ANASTASOPOULOS ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 25833/04)
ARRÊT
STRASBOURG
24 avril 2008
DÉFINITIF
24/07/2008
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Anastasopoulos et autres c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,
Christos Rozakis,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 mars 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25833/04) dirigée contre la République hellénique par vingt-huit ressortissants de cet Etat, dont les noms figurent en annexe (« les requérants ») qui ont saisi la Cour le 2 juillet 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. Y. Halkias, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat et Mme S. Trekli, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3. Le 20 septembre 2005, la Cour a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le 31 mai 1994, les requérants saisirent le tribunal administratif d’Athènes d’une action contre la Caisse d’entraide de l’Armée de l’air tendant à l’obtention d’un complément de retraite oscillant entre 1 500 à 4 636 euros, pour la période allant de juillet 1989 à décembre 1992.
5. Le 21 mai 1996, le tribunal administratif d’Athènes rejeta leur demande (décision no 8626/1996).
6. Le 15 novembre 1996, les requérants interjetèrent appel.
7. Le 12 mars 1999, la cour administrative d’appel d’Athènes confirma la décision attaquée (arrêt no 1085/1999).
8. Le 19 mars 1999, le ministre de la Défense adressa une lettre au Parlement grec, l’informant qu’un projet de loi qui accorderait le complément de retraite en cause pour la période incriminée serait déposé prochainement.
9. Le 19 octobre 1999, les requérants se pourvurent en cassation.
10. Le 26 janvier 2004, le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi en cassation comme irrecevable. En particulier, la haute juridiction nota, d’une part, que le 17 avril 2003, les requérants avaient déposé près le greffe du Conseil d’Etat une déclaration de désistement du pourvoi en cassation sans remplir les conditions exigées par la législation pertinente. Le Conseil d’Etat conclut que la dite déclaration n’avait pas entraîné l’annulation de l’instance. D’autre part, la haute juridiction constata que les requérants n’étaient ni présents lors de l’audience pour déposer le pouvoir de l’avocat ayant initialement signé le pourvoi en cassation, ni représentés par un autre avocat, conditions requises par la législation pertinente quant à la recevabilité d’une affaire (arrêt no 132/2004).
11. Il ressort du dossier que la procédure en cause a respecté le principe du contradictoire et qu’au cours de celle-ci, les requérants ont eu la possibilité de présenter tous les arguments pour la défense de leur cause.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
12. Les requérants allèguent que la durée de la procédure en cause a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
13. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il affirme que la durée de la procédure litigieuse, menée avec célérité, ne prête pas à critique. Il ajoute que l’enjeu de l’affaire n’était pas si important pour les requérants. Pour le Gouvernement, cette dernière constatation est confirmée par leur attitude devant le Conseil d’Etat, du fait qu’ils ont initialement déposé une déclaration de désistement, puis qu’ils ne se sont pas présentés lors de l’audience de leur affaire.
A. Sur la recevabilité
14. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
1. Période à prendre en considération
15. La période à considérer a débuté le 31 mai 1994, avec la saisine du tribunal administratif d’Athènes et a pris fin le 26 janvier 2004, avec l’arrêt no 132/2004 du Conseil d’Etat. Elle a donc duré neuf ans et plus de huit mois pour trois instances.
2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
16. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
17. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Tzaggaraki et autres c. Grèce, no 17965/03, §§ 17-20, 26 janvier 2006).
18. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. En particulier, la Cour note que l’affaire est restée pendante devant le Conseil d’Etat pour une période supérieure à quatre ans, délai qui, dans les circonstances de l’espèce, est en soi déraisonnable pour un seul degré de juridiction. Certes, il est vrai que l’enjeu de la procédure devant le Conseil d’Etat ne semble pas avoir été important pour les requérants ; ceux-ci ont initialement déposé une déclaration de désistement, puis n’ont pas assisté à l’audience de leur affaire. Toutefois, la Cour ne perd pas de vue que, depuis le 17 avril 2003, date à laquelle les requérants ont averti le greffe du Conseil d’Etat de leur intention de se désister de l’affaire, la haute juridiction a mis plus de huit mois pour se prononcer sur celle-ci par un arrêt d’irrecevabilité. Le Gouvernement ne fournit aucune explication valable pour justifier ce retard.
19. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse a été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
20. Les requérants se plaignent, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, que lors de la litispendance, le ministre de la Défense s’immisça dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire, en envoyant une lettre au Parlement l’informant d’un arrangement éventuel de la question en cause. En outre, les requérants se plaignent, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, d’une atteinte au droit au respect de leurs biens du fait que les juridictions internes ne les ont pas reconnus titulaires du complément de retraite sollicité.
Sur la recevabilité
21. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. En particulier, s’agissant du grief tiré de l’équité de la procédure en cause, la Cour note que les requérants n’étayent aucunement la manière dont la lettre que le pouvoir exécutif adressa au Parlement aurait pu influencer le résultat de la procédure judiciaire en cause. En outre, la Cour ne décèle aucun indice d’arbitraire dans le déroulement de la procédure litigieuse, qui a respecté le principe du contradictoire et au cours de laquelle les requérants ont eu la possibilité de présenter tous les arguments pour la défense de leur cause.
22. Quant au grief tiré du droit au respect des biens, la prétendue créance des requérants ne peut pas passer pour un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, puisqu’elle n’a pas été constatée par une décision judiciaire ayant force de chose jugée. Telle est pourtant la condition pour qu’une créance soit certaine et exigible et, partant, protégée par cette disposition (voir Raffineries Grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A, no 301-B, p. 84, § 59).
23. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
24. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage et frais et dépens
25. Les requérants réclament un montant forfaitaire de 6 360 euros (EUR) chacun au titre du préjudice matériel et moral qu’ils auraient subi ainsi que des frais et dépens.
26. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il affirme notamment qu’il n’existe aucun lien de causalité entre un préjudice matériel potentiel et la violation constatée. En outre, s’agissant du dommage moral, le Gouvernement affirme qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante. Enfin, s’agissant de la somme sollicitée au titre des frais et dépens, le Gouvernement note que les requérants ne formulent aucune demande séparée à ce titre. Il ajoute qu’ils ne produisent aucune facture pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes.
27. La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle est parvenue résulte exclusivement d’une méconnaissance du droit des intéressés à voir leurs causes entendues dans un « délai raisonnable ». Dans ces conditions, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont les requérants auraient eu à souffrir.
28. En revanche, la Cour considère que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du « délai raisonnable » a causé aux requérants un tort moral certain justifiant l’octroi d’une indemnité. La Cour prend à ce titre en considération le nombre des requérants, la nature de la violation constatée ainsi que la nécessité de fixer les sommes de façon à ce que le montant global cadre avec sa jurisprudence en la matière et soit raisonnable à la lumière de l’enjeu de la procédure en cause (Arvanitaki-Roboti et autres c. Grèce [GC], no 27278/03, § 36, 15 février 2008). Elle tient aussi compte de l’absence de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont les requérants auraient eu à souffrir. Au vu de ce qui précède, la Cour alloue 3 180 EUR à chacun des requérants au titre du dommage moral subi, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
29. S’agissant des frais et dépens, la Cour note que les requérants ne formulent aucune demande distincte à ce titre. De surcroît, ils ne produisent aucune facture ou note d’honoraires. Il convient donc d’écarter leur demande sur ce point.
B. Intérêts moratoires
30. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 180 EUR (trois mille cent quatre-vingt euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 avril 2008 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Nina Vajić
Greffier Présidente
Liste des requérants
1. Ilias ANASTASOPOULOS
2. Ilias ANTONAKOS
3. Sofoklis VALSAMIDIS
4. Nikolaos GEORGILAS
5. Ioannis GEORGOUDAS
6. Athanassios GAMPOURAS
7. Nikolaos DIAGOMAS
8. Diogenis KAMPOURAKIS
9. Aristidis KAPETANAKIS
10. Dimitrios KOTRIDIS
11. Vaios KOSTARELOS
12. Konstantinos MERKOURIS
13. Panayotis BERTOLIS
14. Grigorios BRISKAS
15. Aristidis NATHANAIL
16. Konstantinos XANTHOPOULOS
17. Ioannis PANTELOPOULOS
18. Evangelos PAPANIKOLAOU
19. Ioannis PYRGIANOS
20. Ioannis ROUSAKIS
21. Emmanouil SOKORELIS
22. Periklis SYKAS
23. Akrivos TSOLAKIS
24. Andreas MELISTAS
25. Ilias SASSARIS
26. Konstantinos SIOUMIS
27. Efstratios STAVRELIS
28. Georgios STROUMPAS