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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 44096/05
présentée par Lidiya Ivanova NOZHAROVA
et 50 autres requêtes contre la Bulgarie
(liste des requérants en annexe)
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 25 août 2009 en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Karel Jungwiert,
Rait Maruste,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu les requêtes susmentionnées, introduites entre le 24 novembre 2005 et le 25 décembre 2005,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Cinquante des requérants sont des personnes physiques, titulaires de diplômes d’enseignement secondaire spécialisé dans le domaine du bâtiment et des travaux publics (BTP). Ils exerçaient le métier de dessinateur projeteur en bâtiment (проектант), élaborant à ce titre différents types de plans de construction et d’urbanisme, certains à leur propre compte, d’autres en travaillant pour des architectes ou des ingénieurs. Le dernier requérant, l’« Association des spécialistes titulaires d’un diplôme de fin d’études secondaires de BTP» (Съюз на техниците със средно специално образование по специалностите архитектура, Ел, ВиК и геодезия), ci‑après l’association requérante, fondée en 2004 à Varna, a pour but principal de défendre les intérêts de ladite catégorie de professionnels. Plusieurs des cinquante autres requérants sont membres de cette association.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
Jusqu’en 2003, le statut de la profession de dessinateur projeteur en bâtiment était régi par une ordonnance de 1987, adoptée en application de la loi sur l’urbanisme de 1973 (Наредба № 6 за техническата правоспособност в проектирането и строителството). L’ordonnance permettait l’exercice de cette profession tant par les titulaires de diplômes universitaires d’architecte et d’ingénieur que par les titulaires de diplômes de fin d’études secondaires de BTP.
L’exercice de la profession de dessinateur projeteur par les titulaires de diplômes de fin d’études secondaires était assujetti à un certain nombre de conditions et de restrictions supplémentaires : les spécialistes en architecture et urbanisme, par exemple, devaient avoir une expérience professionnelle d’au moins cinq ans et ne pouvaient pas élaborer de manière autonome des plans de construction pour les immeubles dépassant les 250 m².
En 2001, l’Assemblée nationale adopta la nouvelle loi sur l’urbanisme (Закон за устройство на територията) qui remplaça l’ancienne loi de 1973. La nouvelle loi ne régissait pas expressément le statut et les conditions d’exercice de la profession de dessinateur projeteur en bâtiment.
Le 17 février 2003, l’Assemblée nationale adopta la loi sur la chambre des architectes et des ingénieurs en BTP (Закон за камарата на архитектите и инженерите в инвестиционното проектиране). L’article 7 de la loi prévoyait que seules les personnes titulaires de diplômes universitaires d’architecte ou d’ingénieur pouvaient élaborer des plans de construction et d’urbanisme. La loi ne prévoyait aucune mesure transitoire régissant le statut des dessinateurs projeteurs qui n’avaient pas de diplôme universitaire. Elle entra en vigueur le 7 mars 2003.
Par une ordonnance du 11 avril 2003, le ministre de l’Urbanisme abrogea l’ordonnance de 1987 régissant le statut de la profession de dessinateur projeteur.
Le 17 mai 2004, à Varna, soixante-deux dessinateurs projeteurs en bâtiment, titulaires de diplômes de fin d’études secondaires, fondèrent l’association requérante. Celle-ci se donna comme but principal d’entreprendre des démarches administratives et judiciaires afin d’obtenir l’amendement de la nouvelle législation régissant l’exercice du métier de dessinateur projeteur.
En 2005, à une date non communiquée, l’association requérante saisit la Cour administrative suprême d’une demande d’annulation de l’ordonnance ministérielle du 11 avril 2003. Devant la haute juridiction administrative, le représentant de l’association soutint que l’ordonnance ministérielle litigieuse reposait sur l’article 7 de la loi sur la chambre des architectes et des ingénieurs en BTP qui limitait l’accès à la profession de dessinateur projeteur aux seules personnes titulaires d’un diplôme universitaire. Or cette restriction aurait été contraire à l’article 19 de la Constitution qui garantissait la liberté d’entreprendre. Il demanda à la Cour administrative suprême de suspendre la procédure et de saisir la Cour constitutionnelle afin qu’elle établisse l’inconstitutionnalité de la disposition législative en cause.
Par un arrêt du 11 juillet 2005, la Cour administrative suprême rejeta la demande de l’association requérante. Elle constata que l’ordonnance du ministre était conforme à la nouvelle réglementation dans le domaine de l’urbanisme : celle-ci prévoyait l’exercice de la profession de dessinateur projeteur en bâtiment uniquement par les personnes titulaires d’un diplôme universitaire. Par ailleurs, ni l’article 7 de la loi sur la chambre des architectes et des ingénieurs en BTP, ni l’ordonnance ministérielle du 11 avril 2003, n’étaient contraires à la Constitution. La haute juridiction administrative estima notamment qu’il s’agissait d’une nouvelle réglementation des conditions d’exercice de la profession de dessinateur projeteur en bâtiment, ce qui n’était pas incompatible avec la liberté d’entreprendre, telle qu’elle était garantie par l’article 19 de la loi fondamentale.
B. Le droit interne pertinent
Selon l’article 13 de la loi sur les actes normatifs, l’abrogation d’une loi entraîne l’abrogation des règlements et ordonnances ministérielles pris pour son application. La législateur peut néanmoins autoriser expressément l’application d’anciens règlements ou ordonnances ministérielles dans la mesure où ces derniers ne sont pas contraires à la nouvelle loi adoptée en la matière (ibidem).
En vertu de l’article 5 de la loi sur la Cour administrative suprême, en vigueur à l’époque des faits, cette juridiction était chargée de veiller, entre autres, à la légalité des ordonnances adoptées par les ministres. Ces actes ministériels pouvaient être contestés, sans limite de temps et par toute personne concernée, devant une formation de cinq juges de la Cour administrative suprême qui se prononçait par un arrêt définitif (article 13, alinéa 1 et article 23 de la loi).
Le droit bulgare ne confère pas aux particuliers la possibilité de s’adresser directement à la Cour constitutionnelle pour contester la constitutionnalité d’une loi ou pour faire valoir leurs droits fondamentaux (pour un résumé du droit interne pertinent en la matière, voir également Petkov et autres c. Bulgarie, nos 77568/01, 178/02 et 505/02, § 35, 11 juin 2009). Néanmoins, si au cours de l’examen d’une affaire administrative, la Cour administrative suprême constatait qu’une disposition législative était contraire à la Constitution, elle pouvait suspendre la procédure et saisir la Cour constitutionnelle (article 10 de la même loi).
GRIEF
Sans invoquer un article particulier de la Convention, les requérants se plaignent qu’ils ont été privés de la possibilité d’exercer leur métier de dessinateur projeteur en bâtiment suite à l’adoption, en 2003, de la nouvelle législation interne en la matière.
EN DROIT
1. La Cour constate que les 51 requêtes sont similaires en ce qui concerne les faits et les griefs soulevés. En conséquence, elle juge approprié de procéder à leur jonction, en application de l’article 42 § 1 de son règlement.
2. Les requérants allèguent que, suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle législation régissant l’exercice du métier de dessinateur projeteur en bâtiment et à l’adoption de l’ordonnance ministérielle du 11 avril 2003, ils ont été arbitrairement privés de la possibilité d’exercer leur profession.
La Cour estime que l’exercice du métier de dessinateur projeteur, notamment dans le cas des requérants qui travaillaient à leur propre compte, pouvait s’analyser en une valeur patrimoniale, donc en un bien au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, libellé ainsi :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. ».
La Cour estime qu’elle doit se pencher sur la question de savoir si les cinquante et une requêtes qu’elle est appelée à examiner en l’occurrence ont été soumises dans le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention. Elle doit donc établir en premier lieu à quel moment est intervenue la « décision interne définitive » aux termes de ladite disposition de la Convention. A cet égard, elle rappelle que lorsqu’une ingérence dans les droits et libertés garantis par la Convention et ses Protocoles résulte directement d’une loi, et que les personnes concernées ne disposent d’aucune voie de recours interne pour contester les dispositions législatives litigieuses, l’entrée en vigueur de la loi en cause est normalement considérée comme la « décision interne définitive » (X c. Royaume-Uni, no 7379/76, décision de la Commission du 10 décembre 1976, Décisions et rapports (DR) 8, pp. 211 à 213 ; X c. Royaume-Uni, no 8206/78, décision de la Commission du 10 juillet 1980, DR 25, pp. 147 à 152 ; Miconi c. Italie (déc.), no 66432/01, CEDH, le 6 mai 2004).
Se tournant vers le cas d’espèce, la Cour observe que la nouvelle réglementation de la profession de dessinateur projeteur en bâtiment a imposé comme condition préalable à l’exercice de ce métier l’obtention d’un diplôme universitaire d’architecte ou d’ingénieur. Par conséquent elle a eu comme résultat d’exclure de l’exercice de cette profession les praticiens titulaires de diplômes de fin d’études secondaires.
La Cour constate que cette ingérence est survenue en vertu de la nouvelle loi sur la chambre des architectes et des ingénieurs en BTP qui est entrée en vigueur le 7 mars 2003 : dans son article 7, le législateur a posé de nouvelles conditions pour l’exercice du métier de dessinateur projeteur en bâtiment. Il est vrai que pendant une certaine période suivant l’adoption de ladite loi, l’ordonnance de 1987, qui permettait aux requérants de continuer d’exercer leur métier, est restée en vigueur. Néanmoins, selon la législation interne, les règles établies par une ordonnance ministérielle antérieure à la nouvelle loi, et se trouvant en contradiction avec celle-ci, ne pouvaient pas continuer d’exister (voir le droit interne pertinent ci-dessus). Ainsi, comme il était évident dans le cas d’espèce que l’ancienne ordonnance contredisait les nouvelles dispositions législatives en la matière, son abrogation par le ministre de l’Urbanisme était une conséquence directe et prévisible de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Par ailleurs, la Cour observe que, pendant la procédure engagée devant la Cour administrative suprême, le représentant de l’association requérante a soutenu lui-même que l’abrogation de l’ordonnance de 1987 reposait en effet sur l’article 7 de la nouvelle loi sur la chambre des architectes et des ingénieurs en BTP.
La Cour doit ensuite rechercher à établir si les requérants disposaient de voies de recours internes effectives pour contester les effets de cette nouvelle législation. Elle note que le droit interne ne leur permettait pas de saisir directement la Cour constitutionnelle pour contester la constitutionnalité de la nouvelle loi. Il est vrai que l’association requérante a tenté d’obtenir la saisine de la Cour constitutionnelle par le biais de la Cour administrative suprême en soulevant une exception d’inconstitutionnalité pendant la procédure devant cette dernière juridiction. Toutefois, il appartenait à la haute juridiction administrative de déterminer s’il était nécessaire de saisir la Cour constitutionnelle. Par conséquent, l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant la juridiction suprême administrative ne peut pas être considérée comme une voie de recours interne dont l’épuisement serait requis par l’article 35 de la Convention (voir Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 42, CEDH 1999‑V). Par ailleurs, à la connaissance de la Cour, il n’existait en droit bulgare aucune autre voie de recours susceptible de remédier à la violation alléguée en cause.
En conclusion, au vu des circonstances particulières de l’espèce et compte tenu de sa jurisprudence concernant l’application de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour estime que la date d’entrée en vigueur de la loi sur la chambre des architectes et des ingénieurs en BTP, à savoir le 7 mars 2003, constitue en l’occurrence le point de départ pour le délai de six mois.
La Cour constate ensuite que les requérants ont introduit leurs requêtes entre les 24 novembre et 25 décembre 2005, soit plus de six mois après l’entrée en vigueur de la loi litigieuse. Il s’ensuit que les cinquante et une requêtes sont tardives et doivent être déclarées irrecevables en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Décide de joindre les requêtes ;
Déclare les requêtes irrecevables.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président
ANNEXE
Liste des requérants
No de requête | Date d’introduction | Noms des requérants | |
1 | 44096/05 | 25/11/2005 | Lidiya Ivanova NOZHAROVA |
2 | 44132/05 | 25/11/2005 | Galina Ancheva GEORGIEVA |
3 | 44159/05 | 30/11/2005 | Ivan Ivanov BOGDANOV |
4 | 44196/05 | 25/11/2005 | Todorka Todorova DIMITROVA |
5 | 44202/05 | 25/11/2005 | Tsanka Svetozarova KUTSAROVA |
6 | 44258/05 | 24/11/2005 | Nikolay Nenov NENOV |
7 | 44280/05 | 24/11/2005 | Krasimira Ivanova STOYNEVA |
8 | 44281/05 | 28/11/2005 | Zhivka Katelieva BELCHEVA |
9 | 44282/05 | 24/11/2005 | Iliyan Petkov KOSTOV |
10 | 44331/05 | 25/11/2005 | Zhelyazka Mihaylova SIMEONOVA |
11 | 44332/05 | 25/11/2005 | Stoyanka Koleva VASILEVA |
12 | 44333/05 | 25/11/2005 | Yanka Marinova PANKOVA |
13 | 44335/05 | 25/11/2005 | Mitka Dimitrova GEORGIEVA |
14 | 44635/05 | 24/11/2005 | UNION OF TECHNICIANS |
15 | 44637/05 | 24/11/2005 | Antoan Petkov GEORGIEV |
16 | 44765/05 | 05/12/2005 | Stefanka Ivanova DOSHKOVA |
17 | 44767/05 | 05/12/2005 | Mariya Ilieva TODOROVA |
18 | 44777/05 | 02/12/2005 | Savina Georgieva SAVOVA |
19 | 390/06 | 23/12/2005 | Angel Dimitrov TSONKOV |
20 | 454/06 | 25/12/2005 | Nadezhda Stefanova YORDANOVA |
21 | 458/06 | 10/12/2005 | Kyana Boeva ZHEKOVA |
22 | 462/06 | 07/12/2005 | Dimitar Mihaylov TSITSELKOV |
23 | 464/06 | 07/12/2005 | Sasha Pavlova DIMITROVA |
24 | 477/06 | 09/12/2005 | Tsanka Ivanova KOLEVA |
25 | 488/06 | 08/12/2005 | Mincho Kirev MINCHEV |
26 | 540/06 | 17/12/2005 | Iva Marinova PETROVA |
27 | 542/06 | 15/12/2005 | Zhivka Dobreva KIROVA |
28 | 1008/06 | 20/12/2005 | Rosen Nikolov ARSOV |
29 | 1012/06 | 20/12/2005 | Tsvetanka Georgieva KARAGYOZOVA-GATEVA |
30 | 1569/06 | 07/12/2005 | Gergana Mitkova YOSIFOVA |
31 | 1582/06 | 10/12/2005 | Vladka Momcheva PETKOVA |
32 | 1584/06 | 08/12/2005 | Margarita Borisova ZLATAROVA |
33 | 1634/06 | 10/12/2005 | Rumyana Zhechkova OLYANOVA |
34 | 1644/06 | 09/12/2005 | Valentin Aleksandrov KIRILOV |
35 | 1685/06 | 21/12/2005 | Tsvetanka Petrova NIKOLOVA-GERASIMOVA |
36 | 1708/06 | 14/12/2005 | Bistra Dimitrova GRIGOROVA |
37 | 1718/06 | 09/12/2005 | Boris Nikolov BOYADZHIEV |
38 | 2051/06 | 17/12/2005 | Vasilka Krasteva KINDEKOVA |
39 | 2090/06 | 17/12/2005 | Yuliya Strahilova POPOVA |
40 | 2124/06 | 06/12/2005 | Stoyanka Nikolova ANTONOVA |
41 | 2326/06 | 14/12/2005 | Snezhanka Nikolova MALINOVA |
42 | 2415/06 | 23/12/2005 | Rumen Borisov CHIFLIKCHIEV |
43 | 2606/06 | 16/12/2005 | Kiril Georgiev STOYANOV |
44 | 2630/06 | 23/12/2005 | Petar Velinov PESHEV |
45 | 2745/06 | 20/12/2005 | Dobrinka Dimitrova POPOVSKA-PETROVA |
46 | 2851/06 | 19/12/2005 | Valentina Metodieva ALEKSANDROVA |
47 | 3077/06 | 21/12/2005 | Konstantsa Stefanova TSONKOVA |
48 | 3085/06 | 19/12/2005 | Stefka Nenova ZAREVA |
49 | 3114/06 | 22/12/2005 | Angelina Dimitrova EVSTATIEVA |
50 | 3171/06 | 20/12/2005 | Marieta Stancheva STANKULOVA |
51 | 5947/06 | 07/12/2005 | Stefan Borisov STAYKOV |