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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE MESSIER c. FRANCE
(Requête no 25041/07)
ARRÊT
STRASBOURG
30 juin 2011
DÉFINITIF
30/09/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Messier c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Dean Spielmann, président,
Elisabet Fura,
Jean-Paul Costa,
Boštjan M. Zupančič,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Ann Power,
Angelika Nußberger, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 19 mai 2009 et 7 juin 2011,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25041/07) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Jean-Marie Messier (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 juin 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par la S.C.P. Piwnica et Molinié, avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant se plaignait de la procédure menée contre lui devant l’Autorité des marchés financiers.
4. Par une décision du 19 mai 2009, la chambre a déclaré la requête partiellement irrecevable.
5. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond du restant de la requête.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Le requérant est né en 1956 et réside à New York. Il était, jusqu’au 1er juillet 2002, date de sa démission, président-directeur général de la société Vivendi Universal.
1. La procédure devant la COB et l’AMF
7. Le 3 juillet 2002, le directeur général de la Commission des opérations de bourse (COB) décida d’ouvrir une enquête sur l’information financière délivrée par Vivendi Universal à compter du 1er décembre 2000. Cette décision fut étendue le 10 juillet 2002 au marché des titres Vivendi Universal et Vivendi Environnement. Elle s’inscrivait dans le cadre d’une crise de confiance dans l’entreprise et sa direction. Le but de cette enquête était de déterminer si l’information financière qui avait été délivrée au marché depuis la fusion avec un groupe canadien en décembre 2000 était exacte, précise et sincère et si le management avait, le plus tôt possible, porté à la connaissance du public tout fait important susceptible, s’il était connu, d’avoir une incidence significative sur le cours de l’action.
8. Le chef du service de l’inspection de la COB acheva son rapport le 4 septembre 2003.
9. Le 5 septembre 2003, un membre de la COB fut désigné comme rapporteur. Ce rapporteur notifia des griefs, au requérant notamment, le 12 septembre 2003. Compte tenu du volume exceptionnel des pièces de la procédure et des nécessités de leur reproduction, il fut indiqué aux mis en cause que celles-ci seraient mises à leur disposition ultérieurement et qu’ils disposeraient d’un délai de trois mois après la date à laquelle les pièces leur seraient accessibles pour présenter leurs observations. Ces pièces furent mises à leur disposition le 29 octobre 2003.
10. Suite à l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003 de sécurité financière, l’Autorité des marchés financiers (AMF) succéda à la COB, au Conseil des marchés financiers et au Conseil de discipline de la gestion financière, dont elle reprit les missions, les compétences et les moyens. Le pouvoir de sanction de 1’AMF fut conféré par la nouvelle loi à un organe ad hoc, la commission des sanctions, totalement indépendante du collège. La continuité entre les anciennes autorités et l’AMF fut assurée par les dispositions transitoires de la loi de 2003, en application desquelles les membres de la COB furent maintenus dans leurs fonctions jusqu’à la première réunion du collège de l’AMF le 24 novembre 2OO3. S’agissant spécialement du pouvoir de sanction, cette même loi disposa que les procédures en cours devant la COB étaient « poursuivies de plein droit » devant la commission des sanctions de I’AMF.
11. Un rapporteur fut nommé le 28 novembre 2003 et les mis en cause en furent informés par lettres du 23 décembre 2003. Ayant obtenu des délais supplémentaires du rapporteur, le requérant déposa ses observations le 8 mars 2004. Il fut entendu, à sa demande, par le rapporteur le 24 mai 2004. En réponse à sa demande, le rapporteur convoqua le 13 juillet 2004 Mme G., directrice de la presse et des relations publiques de Vivendi Universal. Toutefois, cette dernière ne se présenta pas et le rapporteur estima qu’elle pourrait être entendue par la commission des sanctions, en séance. Le requérant produit sur ce point un courrier adressé par Mme G. à son avocat, dans lequel elle apporte des précisions. Elle expose qu’elle a été entendue une première fois à la COB en août 2002 sans recevoir de convocation écrite et sans qu’un procès-verbal ne soit établi à l’issue de cette audition. Elle ajoute qu’elle a été convoquée par lettre du 15 juillet 2004 pour être entendue le 9 septembre 2004 et qu’elle a été avertie par courrier le 8 septembre en fin d’après-midi que cette audition était reportée au 28 octobre.
12. Le 13 juillet 2004, le rapport signé du rapporteur fut adressé aux mis en cause et le 26 août suivant, une lettre de convocation à la séance du 28 octobre 2004 leur fut remise par acte d’huissier. Par lettre du 20 octobre 2004, Mme G. fut invitée à se présenter le 28 octobre suivant devant la Commission des sanctions de l’AMF.
13. Dans ses observations écrites présentées le 10 septembre 2004, le requérant fit valoir, à titre liminaire, que la procédure soumise à la commission des sanctions avait été conduite partialement et en violation des droits de la défense. Il exposait que l’AMF disposait dans ses propres services d’éléments (notes, compte-rendu, avis) qu’elle dissimulait aux mis en cause, portant ainsi atteinte tant à la manifestation de la vérité qu’aux droits de la défense. Il ajoutait que l’AMF avait procédé à des auditions sans verser au dossier les procès-verbaux y afférents. Il citait notamment Mme G., entendue en septembre 2002, sans qu’aucune convocation écrite ni qu’aucun procès-verbal ne figurent au dossier. En outre, après que le requérant ait sollicité son audition, Mme G. fut convoquée le 9 septembre 2004, soit après la rédaction du rapport et son audition fut finalement remise au jour de l’audience devant la commission, réduisant ainsi selon le requérant l’exercice du contradictoire aux plaidoiries à l’audience.
Le requérant se plaignait encore de ce que la situation était la même concernant la première audition de M. G., dont il ignorait le contenu lors de sa réponse à la notification de griefs, lors de son audition par le rapporteur et pour la rédaction de ses observations écrites. Il ajoutait que l’audition de MM. G. et M., respectivement président de CEGETEL (une société de télécommunication) et membre du conseil d’administration de Vivendi Universal, avaient été refusées.
Il concluait que semblaient systématiquement écartés de l’enquête et du dossier tous les éléments qui pourraient lui être favorables, que ce soit les documents de la COB sur le suivi des comptes et de l’information, le procès-verbal d’audition de Mme G., ou les témoignages de MM. G. et M. Il exposait que le caractère partiel et partial de cette procédure ne pouvait qu’entraîner sa nullité pour violation des droits de la défense et invoquait l’article 6 § 3 de la Convention. Il ajoutait que la procédure n’avait pas été menée avec impartialité et invoquait l’article 6 § 1
Il demandait en outre que la Commission sursoie à statuer jusqu’à la fin de l’information judiciaire en cours afin que certaines pièces du dossier pénal puissent lui être présentées. En effet, le juge d’instruction en charge de l’information avait procédé à une perquisition à l’AMF, saisissant des documents ainsi que des disques durs d’ordinateurs. Il avait également procédé à des auditions. Or, le requérant était dans l’impossibilité de produire ces éléments, couverts par le secret de l’instruction.
14. La commission des sanctions de 1’AMF examina cette affaire dans sa séance du 28 octobre 2004, au cours de laquelle furent entendus, outre le rapporteur, d’une part les personnes à qui des griefs avaient été notifiés, la société Vivendi Universal prise en la personne de son président, M. F., le requérant, M. H., directeur financier et directeur général adjoint de Vivendi Universal et leurs avocats et, d’autre part, Mme G. et M. T. La commission mit l’affaire en délibéré et rendit sa décision le 3 novembre 2004.
15. Dans celle-ci, la commission se prononça d’abord sur les demandes du requérant. Elle estima qu’il ne saurait être fait grief à l’enquête de ne pas avoir organisé une procédure contradictoire qui, à ce stade, n’était exigée par aucun texte. Elle rappela que le principe du contradictoire doit s’appliquer à partir du moment où un rapporteur est désigné et s’applique aux seules pièces figurant dans le dossier dont celui-ci est saisi. Elle constata qu’en l’espèce tous les mis en cause avaient eu communication du dossier, avaient été entendus par le rapporteur et avaient pu produire les documents qu’ils estimaient utiles à leur défense. Pour ce qui est des personnes susceptibles d’apporteur leur témoignage, la commission releva qu’elle avait répondu favorablement à toutes les demandes, que Mme G. notamment avait été entendue et qu’elle avait également déposé des documents écrits. Elle releva encore que MM. G. et M. ne s’étaient pas présentés à l’audience mais qu’ils avaient déposé des documents écrits qui avaient été joints à la procédure et que « le principe du débat contradictoire [avait] donc été pleinement respecté ».
Quant à la demande de sursis à statuer, elle releva que le code de procédure pénale permettait aux avocats du requérant de demander au procureur de la République de les autoriser, avec l’accord du magistrat instructeur, à verser dans une autre procédure certaines pièces de l’information en cours et que ceux-ci ne paraissaient pas avoir fait de demande dans ce sens. Elle conclut que, dès lors, ils ne sauraient obtenir un sursis à statuer dont ils ne justifiaient aucunement l’utilité.
Sur le fond, la commission se prononça comme suit :
« Considérant que, si les manquements d’initiés ne sont pas caractérisés, il demeure que, durant la période d’octobre 2000 à avril 2002 où les difficultés financières du groupe augmentaient au rythme de ses acquisitions (...), M. Jean-Marie Messier, président directeur général de V.U., a délibérément diffusé au nom de cette société, à propos de la consolidation de TELCO, ainsi que des dettes, des cash flow et des perspectives d’avenir du groupe, des informations inexactes et abusivement optimistes ; qu’il a trompé le public, surpris la confiance du marché et porté préjudice aux actionnaires ; que seront prononcées, à son égard et à celui de la société V.U. qu’il représentait, des sanctions proportionnées à la gravité des manquements visés aux articles 2 à 4 du règlement COB No 98-07 et L.621-14-I du code monétaire et financier qui ont été commis ; »
Le requérant fut condamné à une sanction pécuniaire d’un million d’euros.
2. La procédure devant la cour d’appel de Paris
16. Il fit appel de la décision du 3 novembre 2004. Il demandait l’annulation de la procédure d’enquête et de la décision de la commission des sanctions de l’AMF en invoquant des irrégularités commises au cours de l’enquête, la violation des droits de la défense et du principe du contradictoire. Il exposait que l’essentiel des griefs de l’AMF portait sur la communication du groupe et que, dès lors, il était essentiel que soit versée au dossier l’intégralité de la correspondance échangée entre Vivendi Universal et la COB. Il estimait que la COB, puis l’AMF, disposaient, dans leurs services, d’éléments démontrant leur intervention, notamment dans la communication financière du groupe et l’établissement de ses comptes et que ces éléments avaient été dissimulés à la défense.
Il ajoutait que l’AMF avait choisi les personnes à entendre et que la commission des sanctions avait validé le fait que les services d’inspection aient procédé à des auditions sans dresser de procès-verbal.
Il indiquait que le juge d’instruction avait fait entendre un certain nombre de participants à l’enquête de l’AMF par la brigade financière et que leurs déclarations et les pièces qu’ils avaient remises aux enquêteurs éclairaient « d’une manière crue les violations répétées et volontaires des droits de la défense ainsi que les manipulations destinées à dissimuler ces faits. »
Il citait des extraits de messages électroniques d’employés du service de l’inspection de l’AMF et notamment d’une co-enquêtrice qui établissait, le 26 août 2003, à l’intention de sa hiérarchie une liste de documents envoyés par les États-Unis et que la COB n’avait pas souhaité verser au dossier. Il citait également un courriel d’un autre employé de l’AMF, daté du même jour, qui indiquait qu’il n’avait pu « que constater les manques de pièces dans ce dossier, notamment des pièces qui avaient été consignées dans des procès-verbaux de remise de documents. » Il soutenait que des pièces réunies par les enquêteurs avaient disparu, que d’autres n’avaient, délibérément, pas été versées aux débats, qu’il avait été procédé à des auditions sans procès-verbal et que certains procès-verbaux avaient été établis de manière irrégulière. Il ajoutait qu’il était mentionné dans un autre courriel du 22 juin 2004 que deux CD-Rom contenant la messagerie de certains dirigeants de Vivendi Universal n’avaient pas été intégrés dans le dossier de l’AMF, ni remis au parquet et dans un autre, du 23 juin 2004, qu’en outre certaines pièces qui figuraient au dossier n’avaient pas été cotées ni intégrées dans le dossier final, bien qu’elles aient été recueillies dans le cadre de l’enquête.
17. Dans ses observations, l’AMF se prononça comme suit sur ce point :
« Ces supports informatiques n’ont pas été remis aux requérants au moment de la remise de la photocopie des dizaines de milliers de pages composant le dossier. Cette omission a-t-elle pour autant porté une atteinte aux droits de la défense ? La question ne pourrait se poser que si ces supports informatiques avaient été dissimulés aux requérants et contenaient des éléments inconnus d’eux et retenus à charge à leur encontre. Rien de tel. »
L’AMF exposait ensuite que l’existence de ces supports entre les mains de la COB n’avait pas été dissimulée, que les requérants ne pouvaient pas en ignorer le contenu puisqu’il s’agissait de leurs agendas et des échanges de courriels créés et reçus par eux, qu’ils n’avaient pas réclamé la remise de ces supports lorsque la copie du dossier d’enquête leur avait été remise, que les supports en cause étaient des copies et que les requérants détenaient eux-mêmes, non seulement les originaux des courriels et agendas, mais également la copie de ces supports informatiques qu’ils s’étaient abstenus de verser au dossier. Elle concluait qu’elle répondrait positivement à toute demande de la cour d’appel et/ou des requérants tendant à la communication de ces supports.
18. Dans sa réplique, le requérant demandait notamment que soient admis des procès-verbaux du dossier pénal en cours d’instruction, que la décision de l’AMF soit annulée en raison des violations de procédure qui l’affectaient et, en toute hypothèse, que la décision de l’AMF soit réformée.
Il contestait encore le fait que l’on puisse admettre que le dossier de poursuites soit « expurgé » des éléments à décharge avant la phase contradictoire.
19. La cour d’appel de Paris se prononça par arrêt du 28 juin 2005.
Elle rappela tout d’abord qu’aucun texte ne limite le droit des parties sanctionnées de soulever des moyens d’annulation devant la cour d’appel, investie de la plénitude de juridiction.
Elle releva ensuite que si l’irrégularité de forme d’un procès-verbal était établie, elle ne serait de nature qu’à justifier son annulation, sans entraîner l’annulation de la procédure dans son ensemble. Elle nota qu’au demeurant, les requérants ne visaient aucun procès-verbal en particulier.
En ce qui concerne les auditions, elle considéra que ne portent pas atteinte aux droits de la défense le défaut d’audition, au cours de l’enquête, de certaines personnes ou l’audition informelle de certaines autres dont les déclarations - non reproduites - n’ont pas servi à la poursuite. Elle estima que les droits de la défense étaient suffisamment garantis dès lors que les personnes poursuivies avaient été mises en mesure d’obtenir, au moins devant la juridiction de jugement, l’audition de toute personne dont le témoignage leur paraissait utile à la manifestation de la vérité, ce qui avait été le cas en l’espèce.
Pour ce qui est des pièces, la cour constata qu’ayant enquêté sur l’ensemble de la communication publique du groupe Vivendi Universal à partir du 31 décembre 2000, l’AMF avait nécessairement collecté des documents sans rapport avec les griefs notifiés et qu’il ne saurait dès lors lui être reproché de ne pas avoir versé au dossier constitué pour la nécessité des poursuites la totalité des documents qu’elle détenait concernant le groupe, pas plus que les notes de travail établies dans l’accomplissement de sa mission et qui n’avaient pas vocation à être rendues publiques.
Ainsi, la cour d’appel considéra que le fait que l’AMF ait procédé à une sélection des pièces du dossier finalement soumis à la commission des sanctions n’était, selon elle, pas, en soi, de nature à vicier la procédure, à moins qu’il ne soit démontré que, manquant à son devoir de loyauté, elle n’ait distrait des éléments de nature à influer sur l’appréciation du bien-fondé des griefs retenus. En l’espèce, en admettant même que des pièces détenues par l’AMF aient disparu, ce qui n’était pas établi aux yeux de la cour, les requérants, qui en fournissaient la liste détaillée, ne précisaient pas en quoi ces pièces auraient été de nature à influer sur l’appréciation des faits et se bornaient à faire valoir qu’il était vraisemblable, compte tenu de leur absence au dossier, qu’elles contenaient des éléments à décharge.
La cour d’appel releva enfin que les requérants connaissaient l’identité de partie, sinon de la totalité, des auteurs des pièces prétendument manquantes et qu’ils pouvaient demander leur audition devant la Commission des sanctions de l’AMF ou devant elle-même, ce qu’ils n’avaient pas fait. Elle écarta donc ce moyen.
20. Sur le fond, la cour d’appel réforma partiellement la décision déférée et condamna le requérant à une sanction de 500 000 euros.
3. La procédure devant la Cour de cassation
21. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Il invoquait tout d’abord l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention : il alléguait que, si l’AMF décide librement de la nature et de l’étendue des investigations auxquelles elle entend procéder, elle ne saurait, sans violer le principe de l’égalité des armes, juger unilatéralement du sort des pièces examinées ou recueillies dans le cadre de l’enquête et, partant, du contenu du dossier transmis à la Commission des sanctions, seul accessible à la personne poursuivie ; qu’en énonçant qu’il ne saurait être reproché à l’AMF de ne pas avoir versé au dossier la totalité des documents qu’elle détenait, la cour d’appel avait violé les articles 6§§ 1 et 3 de la Convention.
Il alléguait ensuite que l’AMF ne saurait, sans violer le principe de l’égalité des armes, entendre de manière informelle des personnes, de sorte qu’aucun procès-verbal ne puisse être versé au dossier transmis à la commission des sanctions, seul accessible à la personne poursuivie ; qu’en énonçant que l’audition informelle de personnes pendant l’enquête ne portait pas atteinte aux droits de la défense, la cour d’appel avait encore violé les articles 6-1 et 6-3 de la Convention.
Il se plaignait encore de ce que la cour d’appel n’avait pas recherché si un témoignage à décharge entendu à l’audience à une date où la partie poursuivie ne pouvait plus présenter d’observations écrites ni bénéficier d’un délai pour analyser ce témoignage, pouvait être utile à cette partie.
Il ajoutait qu’en l’espèce, l’AMF reconnaissait expressément dans ses écritures que les CD-Rom, contenant copie de l’ensemble des agendas et des messageries des dirigeants de la société Vivendi Universal , bien qu’inclus dans le dossier de poursuite, ne lui avaient pas été communiqués et qu’en se bornant, pour rejeter la demande d’annulation de la procédure, à affirmer, sans autre indication, qu’il n’était pas établi "en l’état des documents régulièrement soumis à la cour" que des pièces détenues par l’AMF avaient disparu, la cour d’appel n’avait pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur le respect du principe de la contradiction, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard des articles 6-1 et 6-3 de la Convention.
Il alléguait enfin qu’en énonçant que, faute de préciser en quoi les pièces litigieuses auraient été de nature à influer sur l’appréciation des faits sanctionnés et alors que le requérant qui connaissait l’identité des auteurs de ces pièces pouvaient demander leur audition devant la commission, aucune atteinte au principe du contradictoire n’aurait été caractérisée, la cour d’appel avait encore violé les articles 6-1 et 6-3 de la Convention.
22. Par arrêt du 19 décembre 2006, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.
Elle approuva en tout point le raisonnement de la cour d’appel et estima qu’en l’état de ces constatations et appréciations, dont elle avait exactement déduit qu’il n’avait pas été porté atteinte au principe de la contradiction, la cour d’appel avait légalement justifié sa décision ;
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
23. Les extraits pertinents du code de commerce, de la loi du 1er août 2003, du code monétaire et financier, tel que modifié par la loi du 1er août 2003 et des arrêts du Conseil d’État sont reproduits dans la décision partielle sur la recevabilité de la présente affaire, adoptée par la Cour le 19 mai 2009.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 DE LA CONVENTION
24. Sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, le requérant se plaint de ce que le principe de l’égalité des armes n’a pas été respecté et de ce qu’il n’a pas bénéficié d’une procédure contradictoire car on lui a refusé le droit à la communication de l’ensemble des pièces recueillies dans le cadre de l’enquête, ainsi que de celles transmises à la commission des sanctions de l’AMF. Selon lui, les enquêteurs de l’AMF sont obligés de verser au dossier transmis aux autorités de jugement et aux personnes poursuivies l’ensemble des pièces qu’ils ont examinées ou recueillies dans le cadre de leur enquête et de dresser procès-verbal de toute audition. Il souligne sur ce point la différence de moyens entre l’AMF et la personne poursuivie. Il rappelle notamment qu’il n’a pas obtenu la communication des CD-Rom et des DVD, contenant copie de l’ensemble des messageries et agendas des différents dirigeants de Vivendi Universal, officiellement cotés et figurant dans le dossier constitué pour la nécessité des poursuites. Il argue également du fait que des témoignages recueillis n’auraient pas été joints au dossier. Il ajoute qu’il ne disposait pas de recours pour obtenir l’accès à l’ensemble des documents rassemblés par la COB et l’AMF.
L’article 6 se lit, dans ses dispositions pertinentes, comme suit :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3. Tout accusé a droit notamment à :
(...)
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
(...) »
A. Sur l’exception de non-épuisement des voies de recours internes.
25. Le Gouvernement soulève tout d’abord une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes.
Il souligne que le requérant, tant devant la commission des sanctions que devant la cour d’appel, ne s’est plaint que de façon abstraite et théorique des griefs qu’il soulève maintenant devant la Cour. En effet, soit il s’est abstenu de demander le versement au dossier de pièces qu’il prétend être déterminantes, soit, s’agissant notamment de l’audition de témoins, il a été fait droit à ses demandes. Il expose qu’à l’appui de ses allégations, le requérant s’est en effet borné à solliciter la nullité de la procédure suivie à son encontre, sans demander l’audition des auteurs des pièces qui, selon lui, étaient à décharges. Il fait observer que la cour d’appel a d’ailleurs relevé ce point dans son arrêt. Le Gouvernement se réfère à cet égard à l’affaire Bouchikhi c. France (déc.), no 26718/04 CEDH, 13 mai 2008).
26. Le requérant souligne que, dans ses écritures en date du 10 septembre 2004 devant la commission des sanctions de l’AMF, il s’est plaint de ce que l’enquête menée par l’AMF était partiale et méconnaissait des règles du contradictoire pour avoir refusé d’entendre trois témoins à décharge, Mme G., et MM. G. et M.
Il rappelle qu’il avait sollicité un délai supplémentaire pour pouvoir déposer des observations utiles en ayant connaissance du contenu du procès-verbal de l’audition de Mme G. par le rapporteur qui devait avoir lieu le 9 septembre 2004, mais que ce délai lui a été refusé et que Mme G. a finalement été entendue le jour même de l’audience. Il souligne que c’est donc à la demande de l’AMF que Mme G., témoin à décharge, et convoquée par lettre du 15 juillet 2004, ne s’est pas présentée devant le rapporteur à la date convenue du 9 septembre 2004.
27. Il ajoute qu’il a également sollicité une audition supplémentaire de M. G., président de CEGETEL, qui avait déjà été entendu préalablement par le rapporteur et que cette demande a été rejetée sans justification.
Concernant enfin M. M., le requérant expose qu’il a demandé son audition, mais le rapporteur a refusé de l’entendre au motif qu’il avait déjà procédé à l’audition d’un autre membre du conseil d’administration de Vivendi Universal.
28. Pour ce qui est des pièces, le requérant fait observer qu’il est ressorti des investigations menées par la brigade financière que l’ensemble de la procédure d’enquête de l’AMF a fait l’objet de manipulations de la part des services de l’AMF qui auraient écarté des pièces du dossier, n’en ont pas intégré d’autres et ont maquillé ces agissements. Ainsi, notamment, les CD-Rom et DVD contenant les mails du requérant, son agenda, son carnet d’adresses, ses notes et ses tâches, conservés dans le bureau du responsable des enquêtes de l’AMF qui en avait la garde exclusive, ont disparu sans qu’aucune explication sérieuse ne soit donnée, et l’intégralité des documents contenus dans ces CD Rom n’a pas été éditée sous format papier et n’a pas été intégrée dans les pièces du dossier.
Il estime que, dans ces conditions, il ne saurait lui être reproché de n’avoir pas sollicité la communication des pièces du dossier qui pouvaient être utiles à sa défense, l’AMF les ayant «égarées » et ne pouvant par conséquent pas les produire.
Il estime dès lors qu’il ne pouvait que soulever la nullité de la procédure devant la cour d’appel de Paris en produisant les procès-verbaux d’audition des enquêteurs de l’AMF, ce qu’il a fait devant la cour d’appel.
29. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. La finalité de la règle précitée est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser – normalement par la voie des tribunaux – les violations alléguées contre eux avant qu’elles ne soient soumises à la Cour. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que l’article 35 § 1 a pour finalité de ménager en principe aux États contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre lui (Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, § 36). Cette disposition n’exige pas seulement la saisine des juridictions nationales compétentes et l’exercice de recours destinés à combattre une décision déjà rendue : elle oblige, en principe, à soulever devant ces mêmes juridictions, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite à Strasbourg, et commande en outre l’emploi des moyens de procédure propres à empêcher une violation de la Convention (ibidem, § 34).
Cette disposition doit toutefois s’appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif » ; il suffit que l’intéressé ait soulevé devant les autorités nationales « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne » les griefs qu’il entend formuler par la suite à Strasbourg (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, §§ 65-69, et Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999‑I).
30. En l’espèce, la Cour constate que le requérant a demandé entre mai et juillet 2004 l’audition de Mme G. au rapporteur nommé par l’AMF. Il demanda également à une date non précisée l’audition de MM. G. et M. qui fut refusée (paragraphe 11 ci-dessus).
Par ailleurs, le requérant a soulevé dès le 10 septembre 2004, dans ses observations écrites devant l’AMF, le fait que certaines pièces n’avaient pas été communiquées aux mis en cause (paragraphe 11 ci-dessus).
31. La Cour relève d’ailleurs sur ce point que, dans sa décision du 3 novembre 2004, la commission des sanctions de l’AMF a estimé qu’aucun texte ne prescrivait que la procédure soit contradictoire au stade de l’enquête.
La cour d’appel quant à elle rejeta les arguments soulevés par le requérant sur le fait que certaines personnes n’aient pas été entendues ou aient été entendues de manière informelle mais dont les auditions n’avaient pas servi à la poursuite.
En ce qui concerne les pièces, la cour d’appel estima que le fait que l’AMF ait procédé à une sélection des pièces soumises à la commission des sanctions n’était pas de nature à vicier la procédure.
La Cour de cassation, quant à elle, confirma la décision prise par la cour d’appel sur ces deux points.
32. Dans ces conditions, la Cour estime que les circonstances sont différentes de celles de l’affaire Bouchikhi à laquelle se réfère le Gouvernement. En effet, dans cette affaire, le requérant n’avait jamais demandé à être confronté à l’agent infiltré, mais avait simplement soulevé une exception de nullité avant sa défense au fond.
Or, dans la présente affaire, le requérant a demandé l’audition des témoins devant les juridictions internes et s’est plaint de ce que certaines pièces ne figuraient pas au dossier.
Partant, il convient de rejeter cette exception soulevée par le Gouvernement.
33. Le Gouvernement souligne par ailleurs les spécificités de l’application de l’article 6 de la Convention à la procédure devant la commission des sanctions de l’AMF. Il expose qu’il ne s’agit pas d’une juridiction répressive et que les sanctions qui peuvent être prononcées sont d’ordre disciplinaire ou pécuniaire. Il ajoute que le requérant disposait d’un recours devant la cour d’appel, qui avait plénitude de juridiction.
Il invite dès lors la Cour à déclarer les griefs du requérant irrecevables.
34. Le requérant se réfère à l’arrêt Dubus S.A. c. France (no 5242/04, 11 juin 2009), dans lequel la Cour a estimé que l’article 6 trouvait à s’appliquer.
35. La Cour rappelle qu’elle a déjà conclu dans sa décision partielle rendue le 19 mai 2009 dans la présente affaire que l’article 6 était applicable à la procédure litigieuse. Se référant aux arguments figurant dans cette décision ainsi que dans l’arrêt Dubus précité (§ 38), elle ne voit aucun élément susceptible de la conduire à revenir sur cette décision.
La Cour constate que le restant de la requête n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de déclarer le restant de la requête recevable.
B. Sur le fond
36. Le requérant se réfère à la jurisprudence de la Cour et rappelle d’emblée que le principe de l’égalité des armes s’applique à toutes les phases de la procédure et notamment à l’instruction (Lamy c. Belgique, 30 mars 1989, série A no 151). Il ajoute que le droit à un procès pénal contradictoire implique, pour l’accusation comme pour la défense, la faculté de prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l’autre partie. De surcroît l’article 6 § 1 exige que les autorités de poursuite communiquent à la défense toutes preuves pertinentes en leur possession, à charge comme à décharge (Jasper c. Royaume-Uni [GC], no 27052/95, 16 février 2000).
37. Le requérant estime que les investigations sur commission rogatoire menées par la brigade financière ont montré que l’ensemble de la procédure d’enquête a fait l’objet de manipulations de la part des services de l’AMF qui n’ont pas hésité à distraire des pièces du dossier, à ne pas en intégrer d’autres et à maquiller ces agissements pour ne pas être trahis par la cotation du dossier, et, ce, à son détriment.
38. Le requérant rappelle qu’il avait déjà démissionné et était donc absent lorsque les enquêteurs de l’AMF ont procédé à la saisie de documents au siège de la société le 8 juillet 2002. Ceux-ci ont emporté tous les documents se trouvant dans son coffre-fort et ont procédé à l’enregistrement sur CD-Rom et DVD des contenus des messageries de tous les dirigeants de Vivendi Universal, y compris les siens ainsi que son agenda, son carnet d’adresses et ses notes.
Toutefois, en raison de sa démission, le requérant, à la différence des autres dirigeants de Vivendi Universal, n’a pu disposer ni de l’intégralité de la version papier des documents copiés sur CD Rom et DVD par les enquêteurs de l’AMF, ni d’une copie du support informatique détenu par la société Vivendi Universal, également poursuivie devant la Commission des sanctions de l’AMF.
39. Le requérant estime que cette impossibilité d’obtenir l’intégralité de la version papier ou une copie du support informatique propriété de la société Vivendi Universal, l’a privé du droit de disposer des éléments de preuve à décharge. Il se réfère à différents courriels échangés entre des agents de la COB et des inspecteurs des douanes (paragraphe 16 ci-dessus).
40. Pour ce qui est de l’absence de procès-verbal d’audition de Mme G., entendue en août 2002, le requérant conclut qu’il a été privé d’un élément à décharge.
Il ajoute qu’en invitant Mme G. à venir témoigner à l’audience du 28 octobre 2004 et non le 9 septembre 2004 comme il avait été initialement convenu, l’AMF ne lui a pas permis de tirer avantage de son témoignage. En effet, il n’a pu, compte tenu de l’ampleur du dossier et de sa grande complexité, l’interroger sur les conditions exactes dans lesquelles la COB avait été amenée à valider les communiqués de presse litigieux de la société Vivendi Universal ou à en demander la modification.
41. Le requérant conclut que l’article 6 de la Convention doit trouver à s’appliquer à la phase d’enquête préalable et ce d’autant plus que les éléments recueillis par le service d’enquêtes de l’AMF ont déterminé ultérieurement la nature et l’étendue des poursuites.
42. Selon le Gouvernement, le principe de l’égalité des armes a été scrupuleusement respecté : le collège, le rapporteur, les membres de la commission des sanctions n’ont pas eu connaissance d’autres éléments que ceux figurant dans le dossier et le rapport d’enquête, celui du rapporteur et la décision de sanction ne mentionnent que les éléments tirés du dossier. En outre, celui-ci a été, tout au long de la procédure, à la disposition des personnes mises en cause.
43. Il précise que le contenu des messageries électroniques est stocké sur le réseau informatique de l’entreprise et ne peut donc être consulté par les enquêteurs que si une copie sur support informatique leur en est remise. Dès lors, le responsable informatique de l’entreprise a procédé lui-même à la copie sur CD-Rom ou DVD. Les enquêteurs ont pris connaissance de l’ensemble des courriers figurant sur le disque, et fait un tirage papier de ceux présentant un lien avec l’enquête, seul ce tirage papier étant coté et versé au dossier. La remise des disques a été constatée par des procès- verbaux. Signataire de ce procès-verbal et ayant accès au dossier, le requérant était donc informé de l’existence de ce DVD et il lui était loisible de demander que d’autres éléments y figurant soient versés au dossier.
44. Pour ce qui est de l’absence au dossier de pièces et documents que la société Vivendi Universal avait spontanément adressés aux enquêteurs, le Gouvernement fait observer qu’ils étaient relatifs à la filiale américaine de la société et ne présentaient aucun lien avec les faits en cause. Leur versement au dossier aurait donc été inutile et leur absence n’a constitué aucune violation du principe du contradictoire. Il souligne que le requérant était informé du contenu de ces documents, mais n’a jamais fait valoir leur intérêt pour sa défense.
45. Le Gouvernement soutient par ailleurs que tous les témoignages issus des auditions auxquelles l’AMF a procédé durant son enquête ont été, sans exception, joints au dossier transmis à la commission des sanctions et, par conséquent, se sont trouvés à la disposition de toutes les parties intéressées.
46. Quant aux autres témoignages que le requérant aurait souhaité voir versés aux débats, il a obtenu satisfaction s’agissant de sa demande d’audition de Mme G. devant la commission des sanctions et n’a formulé aucune demande d’audition devant la cour d’appel.
47. Le Gouvernement rappelle que, s’agissant d’une enquête préalable, elle n’a pas à être soumise aux exigences de l’article 6 de la Convention. Il se réfère à une décision de la Commission (Abas c. Pays-Bas no 27943/95, 26 février 1997) où s’agissant d’une enquête fiscale, celle-ci a estimé que « l’enquête menée par l’inspecteur des impôts directs sur l’affaire du requérant n’était pas de nature à relever de l’article 6 de la Convention ».
Il ajoute qu’il est également constant dans la jurisprudence de la Cour que, si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne.
48. Le Gouvernement en conclut que l’article 6 de la Convention ne trouve pas à s’appliquer à la recherche des preuves, a fortiori dans la phase préalable à la notification de l’accusation, sauf si les circonstances dénoncées avaient eu une incidence effective sur l’équité de la phase juridictionnelle de la procédure.
49. Or, il fait observer que le requérant ne précise pas en quoi le versement au dossier d’autres pièces que celles qui y figuraient, aurait pu avoir une incidence sur l’appréciation des manquements qui lui étaient reprochés.
50. Le Gouvernement souligne enfin que les juridictions internes ont scrupuleusement suivi la jurisprudence de la Cour.
51. La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 (Edwards c. Royaume-Uni, 16 décembre 1992, série A no 247-B, § 33). Eu égard aux circonstances de l’espèce, elle juge superflu d’examiner séparément sous l’angle du paragraphe 3 les allégations du requérant, celles-ci s’analysant en un grief selon lequel l’intéressé n’a pas bénéficié d’un procès équitable. Aussi se bornera-t-elle à rechercher si, considérée dans son ensemble, la procédure a revêtu un caractère équitable (Fitt c. Royaume-Uni [GC], no 29777/96, § 43, CEDH 2000‑II).
52. Tout procès pénal, y compris ses aspects procéduraux, doit revêtir un caractère contradictoire et garantir l’égalité des armes entre l’accusation et la défense : c’est là un des aspects fondamentaux du droit à un procès équitable. Le droit à un procès pénal contradictoire implique, pour l’accusation comme pour la défense, la faculté de prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l’autre partie (Brandstetter c. Autriche, 28 août 1991, série A no 211, §§ 66-67). De surcroît, l’article 6 § 1 exige que les autorités de poursuite communiquent à la défense toutes les preuves pertinentes en leur possession, à charge comme à décharge (Edwards précité, § 36).
53. Ce principe vaut pour les observations et pièces présentées par les parties, mais aussi par un magistrat indépendant tel que le commissaire du Gouvernement (Kress c. France [GC], no 39594/98, § 74, CEDH 2001‑VI, et APBP c. France, no 38436/97, 21 mars 2002), par une administration (Krčmář et autres c. République tchèque, no 35376/97, § 44, 3 mars 2000) ou par la juridiction auteur du jugement entrepris (Nideröst-Huber c. Suisse, § 24, 18 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I).
54. Par ailleurs, les parties doivent avoir la possibilité d’indiquer si elles estiment qu’un document appelle des commentaires de leur part. Il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice : elle se fonde, entre autres, sur l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur toute pièce au dossier (voir Nideröst-Huber, précité, §§ 27 et 29, F.R. c. Suisse, no 37292/97, §§ 37 et 39, 28 juin 2001, et Güner Çorum c. Turquie, no 59739/00, §§ 31-32, 31 octobre 2006).
55. La Cour relève que, dans la présente affaire, le requérant se plaint, d’une part, de ne pas avoir eu accès à certains documents et, d’autre part, de ne pas avoir pu entendre certains témoins.
56. Pour ce qui est des documents, elle constate que le requérant soutient que des pièces du dossier rassemblées par l’AMF en ont été retirées ou n’y ont pas été versées (paragraphe 37 ci-dessus). Celui-ci ajoute que, du fait qu’il avait démissionné avant la saisie des pièces, il n’avait plus de possibilité d’y avoir accès et que cela l’a privé du droit de disposer d’éléments de preuve à décharge.
57. La Cour l’a affirmé à maintes reprises, la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles de droit interne, et il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles. La mission confiée à la Cour par la Convention consiste à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 50, Recueil 1997-III, Morel c. France (no2), no43284/98, § 63, 12 février 2004 et Ünel c. Turquie, no 35686/02, § 45, 27 mai 2008).
58. En ce qui concerne tout d’abord le fait que tous les documents collectés n’auraient pas été versés au dossier, la Cour relève qu’il ressort des différentes écritures que la COB puis l’AMF rassemblèrent de très nombreux documents au cours de leur enquête. Ainsi, le rapporteur de la COB se référa lui-même au volume exceptionnel des pièces de la procédure réunies au cours de l’enquête et accorda aux mis en cause un délai de trois mois pour étudier le dossier et présenter leurs observations (paragraphe 9 ci-dessus). L’AMF quant à elle, mentionna « des dizaines de milliers de pages » composant le dossier et dont la photocopie avait été remise aux mis en cause (paragraphe 17 ci-dessus).
La cour d’appel quant à elle, constata que l’enquête avait porté sur l’ensemble de la communication du groupe Vivendi Universal depuis le 31 décembre 2000 et que l’AMF avait nécessairement collecté des documents sans rapport avec l’enquête en cours, qu’on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir versé au dossier la totalité des documents qu’elle détenait concernant le groupe ou les notes établies pour la réalisation de sa mission et qui n’avaient pas vocation à être rendues publiques.
59. Pour ce qui est des pièces figurant au dossier, la Cour note que la Commission des sanctions de l’AMF précisa que tous les mis en cause avaient eu accès au dossier (paragraphe 15 ci-dessus).
Elle constate d’ailleurs sur ce point que le requérant ne soutient pas que le dossier communiqué à la commission des sanctions de l’AMF contenait des documents auxquels l’accès lui aurait été refusé.
60. Concernant en particulier le contenu des messageries électroniques de l’entreprise, le requérant a signé un procès-verbal attestant de la remise des disques sur lesquels leur contenu avait été copié. Or, il ne ressort pas du dossier qu’il ait émis des réserves sur le fait que l’intégralité du contenu de ces disques n’avait pas été imprimée et versée au dossier.
Ainsi, dans ses observations devant la cour d’appel, l’AMF fit remarquer que les supports en cause étaient des copies, que les requérants détenaient les originaux des courriels et des agendas ainsi que des supports informatiques. Elle indiqua également qu’elle répondrait positivement à toute demande, émanant notamment du requérant, tendant à la communication de ces supports.
Or, il ne ressort pas du dossier que le requérant ait formulé une telle demande devant la cour d’appel.
61. Elle relève encore que le requérant n’indique pas en quoi des éléments qui n’auraient pas été versés au dossier auraient pu contribuer à sa défense. Il convient de noter sur ce point que la cour d’appel releva que le requérant fournissait la liste détaillée des pièces manquantes mais n’indiquait pas en quoi elles auraient été de nature à influer sur l’issue de l’affaire (paragraphe 19 ci-dessus).
En outre, selon la cour d’appel, le requérant, qui connaissait les auteurs des pièces « prétendument » manquantes, aurait pu demander leur audition devant la commission des sanctions ou devant elle, ce qu’il n’a pas fait.
62. La Cour note enfin que le requérant a eu l’occasion de faire valoir ces griefs successivement devant la cour d’appel et la Cour de cassation, juridictions judiciaires qui ont examiné les arguments soulevés avant de les rejeter.
63. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant n’a pas démontré que le fait que certaines pièces aient été collectées au cours de l’enquête et non versées au dossier aurait porté atteinte au contradictoire et à l’équité de la procédure et qu’il ne disposait d’aucun recours pour obtenir le versement au dossier de pièces qui auraient été nécessaires pour sa défense.
64. Pour ce qui est de l’audition des témoins, la Cour rappelle que les éléments de preuve doivent en principe être produits devant l’accusé en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, les paragraphes 1 et 3 d) de l’article 6 commandent d’accorder à l’accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d’en interroger l’auteur, au moment de la déposition ou plus tard (Lüdi c. Suisse, 15 juin 1992, § 49, série A no 238).
65. Dans la présente affaire, la Cour note que le requérant se plaint de ce que Mme G. aurait été entendue par les enquêteurs de l’AMF en août 2002, sans qu’un procès-verbal ait été dressé. Il ajoute que le fait que l’audition de ce témoin ait été reportée pour avoir lieu finalement le jour de l’audience devant la Commission des sanctions ne lui a pas permis de tirer le meilleur parti de ce témoignage.
66. La Cour constate qu’en l’espèce, pour ce qui est de Mme G., celle-ci a bien été entendue à l’audience devant la commission des sanctions de l’AMF, à laquelle le requérant participa, assisté de ses avocats.
Or, le requérant ne fournit aucun argument à l’appui de sa thèse selon laquelle l’audition de ce témoin seulement au stade de l’audience aurait nui à sa défense. Il ne demanda par ailleurs pas à ce que celle-ci soit à nouveau entendue devant la cour d’appel, pas plus que MM. G. et M., qui avaient déposé par écrit devant la commission des sanctions de l’AMF.
67. En conclusion, il ne ressort pas des éléments dont dispose la Cour que la non-communication de pièces ou les conditions d’audition des témoins aient porté atteinte aux droits de la défense et à l’égalité des armes. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Rejette l’exception de non-épuisement du Gouvernement et déclare le restant de la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 juin 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Dean Spielmann
Greffière Président